Affaire Geneviève Lhermitte : "les psychiatres ont écouté la volonté de l’accusée qui demandait à être punie"

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Guillaume Perrodeau , modifié à
Chez Christophe Hondelatte, le docteur Paul Bensussan, expert psychiatre agréé par la Cour de cassation, revient sur l'affaire Geneviève Lhermitte et notamment la responsabilité de l'accusée.

Cette affaire criminelle a marqué toute la Belgique. Elle a même inspiré un film, À perdre la raison, sorti en 2012. En février 2007, une mère de famille, Geneviève Lhermitte, égorge un à un ses cinq enfants. Les enjeux de ce dossier sont essentiellement psychiatriques : Geneviève Lhermitte était-elle, oui ou non, en état de démence au moment des faits et donc irresponsable de ses actes ? Chez Christophe Hondelatte lundi, le docteur Paul Bensussan, expert psychiatre agréé par la Cour de cassation et par la Cour pénale internationale, revient sur ce fait divers.

"J'ai pris ma décision de partir avec mes enfants". Le 28 février 2007 en Belgique, il est 14 heures lorsqu'un habitant de la ville de Nivelle trouve deux enveloppes dans sa boîte aux lettres. L'une d'elle contient des bijoux. L'autre une lettre, adressée à sa petite amie et signée d'une des voisines qu'il connaît bien : Geneviève Lhermitte. "J'ai pris ma décision de partir avec mes enfants très loin et pour toujours", peut-on lire sur le courrier. Le voisin se précipite immédiatement chez Geneviève Lhermitte mais lorsqu'il arrive, il est déjà trop tard. Celle-ci a tué ses cinq enfants, âgés de 4 à 14 ans, profitant d'un voyage de son mari à l'étranger pour passer à l'acte. Elle a tenté de se donner la mort mais a raté son suicide.

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La juge d’instruction en charge de l'affaire demande évidemment une expertise psychiatrique pour déterminer si Geneviève Lhermitte était responsable de ses actes au moment des faits. Sept psychiatres, qui vont longtemps hésiter. Au début, cinq d'entre eux penchent pour l’irresponsabilité, avant de se ranger à l'avis des deux autres confrères.

De son côté, Geneviève Lhermitte souhaite être jugée, elle veut être "punie" pour son crime. Le collège de psychiatre estime finalement qu'elle est bien responsable de ses actes. En 2008, elle est condamnée à la perpétuité.

"Les plus grands malades mentaux refusent d’être considérés comme fous". "Les psychiatres ont écouté la volonté de l’accusée qui demandait à être punie", estime le docteur Paul Bensussan au micro d'Europe 1. "Les plus grands malades mentaux refusent d’être considérés comme fous et demandent à être responsabilisés : est-ce pour autant que l’expert psychiatre doit aller dans le sens de son patient ? Je ne le crois pas", affirme-t-il. De plus, à l'époque, la Belgique sortait à peine de l'affaire Marc Dutroux. Un contexte qui a évidemment compté, au moment de décider si l'auteure d'un quintuple infanticide devait éviter un procès.

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Le docteur Paul Bensussan et Christophe Hondelatte © Europe 1

Paul Bensussan, qui a notamment pris connaissance des lettres qu'écrivaient Geneviève Lhermitte à son psychiatre avant son geste, estime qu'elle aurait dû être déclarée irresponsable. "Ces lettres sont extrêmement évocatrices de la mélancolie, la forme la plus grave et la plus suicidogène de dépression. C’est pratiquement un cas de manuel scolaire d’irresponsabilité pénale", explique-t-il. La mélancolie dépressive en psychiatrie est évidemment très éloignée du sens commun et romantique que le grand public connaît. Elle se caractérise notamment par la certitude d'une absence d’issue. "Non seulement l'avenir est sombre, mais il n'y en a pas", détaille l'expert.

Autre élément notable présent dans ces lettres, la vision de l'infanticide. "Elle dit que cela peut être un geste d’amour. Dans la thématique mélancolique, il serait lâche de se donner la mort en vouant à l’enfer les enfants, ceux qu’on aime le plus", relate Paul Bensussan. "Nous associons le crime fou à un coup de folie, quelque chose que l’on n’a pas anticipé la seconde d’avant. Dès qu’on voit une élaboration, une préméditation, on a un peu tendance à écarter l’hypothèse du crime fou alors que non, un crime fou peut être commis avec préméditation et s’inscrire dans une durée du passage à l’acte", rappelle justement l'expert.