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Séverine Mermilliod , modifié à
Dans les jardins de Versailles se cache depuis 2016 un arbre planté un an tout pile après l'attentat de "Charlie Hebdo". Il rend hommage à "ce qu'étaient l'humour et la liberté d'expression dans les années 2000", expliquent Patrick Pelloux et Alain Baraton, dimanche, sur Europe 1.
INTERVIEW

Dans une partie privée des jardins du château de Versailles se trouve un arbre un peu particulier. Il s'agit d'un chêne, planté un an après les attentats de Charlie Hebdo, dont l'emplacement n'est connu que de rares personnes. Patrick Pelloux, urgentiste qui avait collaboré au journal satyrique, et Alain Baraton, jardinier en chef du domaine de Trianon et du Grand parc du château de Versailles, en font partie. Pascale Clark s'est baladée avec eux dimanche pour Europe 1.

Un message "pour la postérité"

"Ça a été l'idée d'Alain Baraton après l'attentat de Charlie Hebdo. Un jour, il m'a dit 'Mais tu sais, on pourrait planter un chêne et suivre une tradition des artistes jardiniers de Versailles, qui est de mettre quelque chose au fond'", confie Patrick Pelloux. "La tradition veut qu'à Versailles, pour des arbres importants, on glisse sous la souche, avant la plantation, un message pour la postérité", ajoute le jardinier Alain Baraton. "A Versailles, un arbre ne peut mourir que de sa belle mort - on ne va pas le couper pour tracer une route. L'arbre le plus vieux de France à 1.800 ans, donc je souhaite qu'il vive 1.000 ans et plus !"

L'arbre est planté le 7 janvier 2016, un an jour pour jour après les attentats. "Personne ne sait que c'est celui-là, personne ne sait où il est", poursuit l'urgentiste. Les jardiniers de Versailles creusent alors "un énorme trou, puis au fond un petit trou", dans lequel sont placés des souvenirs en hommage à l'esprit Charlie. "On avait emballé tous les exemplaires de Charlie de 2015, dans trois ou quatre sacs poubelle. Et Alain avait gardé une bouteille, un Magnum qu'on avait bu avec Charb, un soir où on n'a pas bu d'eau. Et j'ai mis une lettre. Dans 300, ou 400 ans, quand l'arbre va s'effondrer, ils trouveront une bouteille avec quelqu'un qui leur dit de profiter de la vie."

Aujourd'hui ce chêne, Quercus robur de son nom latin, a quatre ans. Sa durée de vie devrait "raisonnablement" être de "trois ou quatre cents ans", "mais ce que l'on espère, bien évidemment, c'est que dans trois ou quatre siècles, voire avant malheureusement si la tempête venait à soulever ce végétal, on retrouve en dessous des traces de Charlie. Et que les générations qui le découvriront sachent ainsi ce qu'il en était pour l'humour, pour la liberté d'expression dans les années 2000", explique Alain Baraton.

Le secret bien gardé pour éviter le vandalisme

Pour Patrick Pelloux, il s'agit aussi de ne "pas oublier. On n'a pas assez de symboles et d'actes comme ça. Il ne faut jamais oublier ce que nous sommes, ce que nous avons été, ceux qui sont passés sur terre et qui s'en sont allés. Je ne suis pas nostalgique ni dépressif, mais c'est hyper important, surtout avec ce qu'on connaît à l'heure actuelle, les séries d'attentats et surtout les attentats de janvier 2015 et de Charlie Hebdo, qui ont vraiment façonné la politique et l'état d'esprit en France".

L'emplacement de l'arbre ne sera jamais révélé, car comme le rappelle Alain Baraton, "Versailles peut parfois devenir un lieu de culte". Les arbres que la reine Marie-Antoinette avait demandés "sont régulièrement soit gravés, soit coupés, avec des branches cassées pour que quelques fanatiques partent avec un morceau du chêne de Marie-Antoinette. Je n'ai pas envie, demain, que cet arbre devienne sujet à dégradations, vandalisme", confie le jardinier. "J'aime aussi ce côté un peu mystérieux parce que je crois que de temps en temps, il faut laisser retomber dans l'oubli les grandes tragédies pour qu'elles réapparaissent avec davantage de dimension encore. Je suis très inquiet pour l'avenir, pour ne rien vous cacher, et je n'ai pas du tout envie que demain, l'arbre soit coupé en toute légalité."