ZOOM - Comment la police a tracé le suspect

Parmi les pistes suivies figurait en effet celle d'un rendez-vous donné au parachutiste tué le 11 mars à Toulouse, en réponse à une petite annonce diffusée sur internet pour la vente d'une moto.
Parmi les pistes suivies figurait en effet celle d'un rendez-vous donné au parachutiste tué le 11 mars à Toulouse, en réponse à une petite annonce diffusée sur internet pour la vente d'une moto. © MAX PPP
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avec Alain Acco , modifié à
La traque a commencé sur Internet, il y a 10 jours, après le premier meurtre à Toulouse.

Travail de terrain, recoupement de fichiers, plusieurs enquêtes menées en parallèle. La traque de Mohamed Merah, suspect principal des tueries de Toulouse et Montauban a nécessité minutie et mobilisé différents services de police depuis 10 jours, car le tueur au scooter était en réalité pisté depuis son premier meurtre, à Toulouse. Europe1.fr retrace le fil de l'enquête.

Une enquête "classique" au départ

Tout commence le dimanche 11 mars, avec le meurtre isolé d'un militaire en civil, tué sur un parking près de sa moto, d'une balle dans la tête. Un guet-apens puisque la victime avait passé une annonce sur un site Internet, Leboncoin.fr, afin de vendre sa moto.

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La PJ de Toulouse mène au départ une enquête classique. La priorité des enquêteurs est alors de s'intéresser à la personnalité de la victime. Enquêtes de voisinages, réquisition auprès des opérateurs téléphoniques, l'objectif des autorités de police est de repérer d'éventuelles communications. "7 millions de données téléphoniques ont été vérifiées", selon le procureur de Paris François Molins. 

Les pistes se multiplient

Quatre jours plus tard, l'enquête prend une autre tournure. Trois militaires sont pris pour cible à Montauban. Cette fois-ci, le mode opératoire, le scooter, les cibles militaires, attirent l'attention des enquêteurs qui commencent vraiment à s'interroger. Vendredi dernier, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) est sollicitée d'une manière informelle, pour travailler en collaboration avec la DPSD, la sécurité militaire. Les enquêteurs s'interrogent à ce moment-là sur l'environnement militaire puisque trois parachutistes ont été pris pour cible en quelques jours, certains d'entre eux appartenant à des régiments revenus d'Afghanistan.

Les autorités pensent à un éventuel trafic d'armes, ou d'héroïne (très présente en Afghanistan). La piste d'un règlement de comptes est alors privilégiée.

Mais on s'aperçoit rapidement que les victimes sont des soldats sans histoire, qui n'ont rien à se reprocher. On pense alors en haut lieu qu'il s'agit peut-être d'un crime raciste. On remet en avant l'origine des victimes. L'une est née aux Antilles. Deux d'entre elles sont de confession musulmane. A ce moment-là, la piste islamiste est certes envisagée, mais elle n'est pas privilégiée.

Rattrapé par une connexion Internet

Tout bascule avec la tuerie devant une école juive de Toulouse lundi. La DCRI est officiellement saisie de l'enquête aux côtés de la DCPJ. Une mobilisation de tous les services de police. Plusieurs éléments commencent à remonter aux enquêteurs de plusieurs endroits différents. En fin de journée lundi et dans la nuit de lundi à mardi, une première piste apparaît après que les enquêteurs sont remontés jusqu'à l'ordinateur ayant servi à contacter la première victime du tueur présumé.

Sont alors passées au crible 570 connexions sur le site Internet Leboncoin.fr pour voir qui avait consulté cette annonce (700 connexions Internet étudiées en tout, selon le procureur de Paris François Molins). Les enquêteurs de la PJ repèrent alors dans ces listes l'adresse IP d'un ordinateur appartenant à une mère de famille d'origine algérienne dont deux enfants ont déjà attiré l'attention des autorités.

Les deux aînés des cinq enfants sont connus des services de police. Selon le procureur de Paris, le premier, Abdelkader, 29 ans, était apparu en 2007 comme étant impliqué dans une filière d'acheminement de djihadistes en Irak. L'autre frère figure dans les dossiers de la DCRI. C'est là que les services du renseignement et les services de la Police judiciaire connectent leurs informations et s'aperçoivent que Mohamed Merah n'est pas un inconnu. Il présente un profil différent. Alors qu'il était encore mineur, il a été condamné à quinze reprises par le tribunal pour enfants de Toulouse. Il présente par la suite au fil des années un profil d'"autoradicalisation salafiste atypique". Il apparaît qu'il avait effectué deux séjours en Afghanistan où il y était allé par ses propres moyens et sans passer par les "facilitateurs" ciblés par les services spécialisés et les pays habituellement surveillés. Il a été intercepté à Kandahar en 2010, par les services afghans qui l'ont signalé à l'ambassade de France et donc à la DGSE. Le deuxième séjour dans la zone pakistano-afghane est intervenu en 2011. Un séjour de deux mois écourté en raison d'une hépatite A. 

On s'aperçoit aussi qu'en 2009, à Toulouse, entre deux séjours en Afghanistan, Mohamed Merah, a postulé deux fois pour entrer dans l’armée française. Une première fois en 2008, à Lille, où il s'était présenté au CIRFA de l’Armée de Terre et une seconde fois dans la Légion étrangère en 2010. Il s’était alors rendu au PILE de Toulouse. Il n'avait alors pas été retenu en raison de ses antécédents judiciaires et de son instabilité psychologique. Aux yeux des enquêteurs, la piste des frères Merah est intéressante, mais mérite d'être encore travaillée selon eux, car il ne s'agit que d'une connexion et qu'ils n'ont pas encore à ce stade la preuve d'un contact entre les frères Merah et le parachutiste abattu à Montauban. Par ailleurs, ces deux frères ne sont pas localisés géographiquement à ce moment-là.

Une conjonction de facteurs 

Lundi soir, sont surveillées huit lignes téléphoniques appartenant à la mère des frères Merah, et à certains membres de sa famille sur ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris. Mais la piste des frères Merah connaît en réalité une accélération mardi, en raison d'une conjonction de facteurs, selon le procureur de Paris François Molins : l'analyse des vidéos (les enregistrements de vidéosurveillance de l’école, nldr), l'analyse du profil psychologique de Mohamed Merah (profil psychologique violent allié à des troubles du comportement lorsqu'il était mineur, qui peut apparaître compatible avec l'extrême violence démontrée par l'auteur présumé des tueries de Toulouse et Montauban) et d'autre part, les investigations diligentées par les enquêteurs et qui vont les amener à s'intéresser à tous les concessionnaires Yamaha qui vendent des T-Max sur la région toulousaine (le tueur a utilisé un maxi-scooter Yamaha T Max à Toulouse et Montauban, nldr).

Les investigations se révèlent efficaces. Mardi après-midi, un concessionnaire révèle aux services de police qu'il a reçu la visite d'un des frères Merah (sans savoir lequel) qui, prétextant avoir besoin d'un renseignement pour un ami, lui a demandé comment désactiver un "traqueur" (dispositif de géolocalisation en cas de vol) pour repeindre le scooter. A ce stade, la piste "Merah" se confirme. Les investigations se poursuivent. Mohamed Merah sera finalement localisé mardi après-midi, tout comme son frère, mais plus tard dans l'après-midi.