Ils transformaient l'argent français du cannabis en or

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La police a démantelé l'un des plus gros réseaux de blanchiment de l'argent de la drogue jamais mis au jour en France. Un réseau international qui avait des ramifications jusqu'en Inde.

DE L'OR EN BARRETTES. 170 millions d'euros récoltés en espèces sur un an : voici ce que révèle la "trésorerie" de ce qui constitue à ce jour l'un des plus importants réseaux de blanchiment de l'argent du trafic de résile cannabis jamais démantelé en France. Aux manettes de cette organisation millimétrée, au moins treize individus, Français et Indiens, ont été interpellés samedi et lundi dernier par les hommes de l'Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) de la direction centrale de la PJ. Le point d'orgue d'une information judiciaire ouverte il y a un an pour "blanchiment en bande organisée", "blanchiment de stupéfiants" et "trafic de stupéfiants".

Cette enquête, nommée "Retrovirus", a permis de mettre au jour un impressionnant circuit de blanchiment mondialisé avec, depuis le Maroc et la France, des ramifications en Belgique, à Dubaï et en Inde, où l'argent sale, transformé en lingot ou en poudre d'or, était finalement blanchi à bénéfice maximum.

Un réseau de collecteurs d'argent du "shit" en France. A la base du système "Retrovirus" figurent de gros trafiquants de résine de cannabis, basés au Maroc. Leur problématique est simple : ils doivent récupérer les bénéfices générés par leur trafic en France. Ils font alors appel à un intermédiaire marocain, que l'on appelle dans le jargon "un banquier". Depuis le Maroc, cet homme téléguide par téléphone un réseau pyramidal de collecteurs de l'argent de la drogue sur le territoire français.

feuille de cannabis

© Reuters

Au sommet de la pyramide, les "grands collecteurs" centralisent et conditionnent l'argent. Ces intermédiaires, Français, "sont des individus relativement insérés, parfois avec un passé de petit délinquant", explique à Europe 1 le procureur de Paris, François Molins. Ainsi, "le gérant d'une société d'ambulances utilisait son local professionnel pour compter, avec une machine fonctionnant jour et nuit, les billets de banque, et les conditionner", raconte le magistrat. Une fois empaquetées, ces sommes sont remises à un second réseau chargé quant à lui du blanchiment.

Un blanchisseur indien implanté en Seine-Saint-Denis. C'est ici que Sayed entre scène. Cet Indien de 32 ans, sans emploi ni revenu déclaré, vit chichement, sans signe extérieur de richesse, en Seine-Saint-Denis. L'homme est pourtant propriétaire d'un beau patrimoine immobilier en Inde et trône à la tête d'une "galaxie" de sociétés basées à Dubaï, Tanger, Madras, Bangkok et Hong Kong.  Son rôle consiste d'abord à envoyer l'argent amassé en France, par train ou par la route, vers la Belgique. L'argent liquide y sert alors en partie à acheter de l'or en lingot ou en poudre.

argent, illustration, billets

De l'or envoyé vers Dubaï, importé en Inde. Grâce à de fausses factures produites par les sociétés exotiques de Fayed, les lingots sont ensuite envoyés à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Le but ? Revendre l'or massivement et au prix fort, via les chemins de contrebande, en Inde, premier importateur mondial de cette matière première. Le gouvernement indien taxant fortement l'or, les blanchisseurs y réalisent ainsi une marge d'environ 10%, par le biais d'une classique fraude à la taxe.

36 millions en espèce et 200 kg d'or. Selon ses premières déclarations aux enquêteurs, Fayed aurait ainsi blanchi 36 millions d'euros en espèces depuis 2010 et fait ainsi transité 200 kg d'or. Un des ses complices parle cependant d'une somme de 25 millions d'euros en moins d'un an. Et pour importer un tel volume sans être taxé, le réseau avait développé un large panel de ruses.

lingot

De précieux sachets de café, des mules parées de bijoux. Outre les lingots, de la poudre d'or est dissimulée en Belgique dans des sachets de café moulu pour être envoyée par fret vers Dubaï. Les blanchisseurs utilisaient également des mules, raconte à Europe 1 le chef de l'OCRGDF, Jean-Marc Souvira. "On a vu des étudiants dubaïotes inscrits dans les facs de Belgique récupérer trois ou quatre kilos d'or et partir le week-end à Dubaï pour revenir le lundi matin assister aux cours en ayant pris 500 ou 600 euros d'argent de poche, plus le voyage et l'hôtel offert", explique-t-il.

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Dans les Emirats, les précieux sachets de café sont passés au tamis pour en extraire la poudre d'or qui est ensuite transformée en bijoux. Les blanchisseurs profitent alors des nombreux travailleurs immigrés indiens de Dubaï. Ces mules, parées de bijoux en or, acheminent discrètement en Inde le précieux métal, revendu à Madras. Le produit de cette vente repart vers le Maroc via des bureaux de change à Dubaï et par virements. Durée totale de la "lessive" : 4 à 5 jours.

"Retrovirus" dans le prolongement de l'affaire "Virus".  Cette enquête "hors norme" découle d'une première affaire de blanchiment, baptisée "Virus", qui avait défrayé la chronique en 2012. L'affaire avait à l'époque "fait la Une" car elle impliquait notamment Florence Lamblin, alors adjointe au maire du 13e arrondissement de Paris. 

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"Après le démantèlement de la structure 'Virus', les 'banquiers' ont continué d'avoir recours à une filière de blanchiment parallèle, donnant lieu à l'affaire 'Rétrovirus'", explique le procureur Molins.

Florence Lamblin.

Pour les enquêteurs cette nouvelle affaire s'est traduite par un an d'investigations, 100.000 appels et SMS interceptés, avec à la clef une saisie de 2,3 millions d'euros en espèce et bijoux, 9 kilos d'or et un appartement.  Dix des individus interpellés ont d'ores et déjà été mis en examen, dont quatre ont été placés en détention. Les investigations devraient maintenant se poursuivre à l'étranger.

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