Complice de passeurs ? Un avocat jugé

André Mikano, un avocat spécialisé dans le droit des étrangers, est soupçonné d'avoir aidé un réseau de clandestins.
André Mikano, un avocat spécialisé dans le droit des étrangers, est soupçonné d'avoir aidé un réseau de clandestins. © MAXPPP
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avec Noémie Schulz et AFP , modifié à
JUSTICE - André Mikano, un avocat spécialisé dans le droit des étrangers, est soupçonné d'avoir aidé un réseau de clandestins.

L'info. L'as du droit des étrangers a-t-il franchi la ligne jaune ? Me André Mikano, un avocat spécialisé dans la défense des clandestins est jugé depuis lundi pour "aide, en bande organisée, à l'entrée et au séjour irrégulier de sans-papiers". En clair, la justice le soupçonne d'avoir aidé des passeurs à faire venir des immigrés clandestins en France entre 2007 et 2010.

Mise à jour : Le procureur a requis trois ans de prison dont "au moins un an ferme" et 100.000 euros d'amende. Le jugement est attendu jeudi.

La méthode. D'après les enquêteurs, le scénario était le suivant : des sans-papiers payaient plusieurs milliers d'euros à leurs passeurs au Maroc pour des  billets d'avion pour le Brésil avec une escale à Paris. A Roissy, guidés par téléphone portable dans les coursives et parfois au-delà, à travers les pistes de l'aéroport, ils tentaient d'échapper aux contrôles de la police aux frontières (PAF) pour entrer illégalement en France. Mais s'ils étaient interpellés, c'était alors Me Mikano qui devait oeuvrer à leur libération en assurant leur défense au tribunal de Bobigny, moyennant parfois 1.500 euros versés en liquide.

police aux frontières PAF aéroport MAXPPP 930620

L'avocat "attitré" d'une filière ? André Mikano comparaît avec sept co-prévenus : la tête du réseau en France, des passeurs, ainsi que deux fonctionnaires de la préfecture du Val d'Oise, accusées de corruption. Selon l'accusation, qui s'appuie sur des écoutes téléphoniques, Me Mikano était "l'avocat attitré" de cette filière d'immigration clandestine, pour laquelle il travaillait "sciemment". Ses honoraires étaient fixés "à l'avance" par le réseau, avant même qu'il ne connaisse l'identité de ses clients. Aux enquêteurs, qui ont retrouvé 200.000 euros et 47.000 dollars en liquide chez lui, l'avocat a affirmé qu'il n'avait pas connaissance du réseau d'immigration clandestine et n'y avoir jamais appartenu.

"Faute de pouvoir lutter efficacement contre l'immigration clandestine, on s'attaque à l'avocat (...) qui a 'brûlé' des centaines de procédures de la police aux frontières (PAF)", c'est-à-dire qui a fait libérer quantité de sans-papiers suite à des erreurs de forme commises par les forces de l'ordre, a lancé en marge de l'audience Me Michel Stansal, l'un des conseils de Me Mikano.

"Le procès du statut d'avocat". Un autre avocat d'André Mikano, Me Jeffrey Schinazi, dénonce pour sa part "une obsession du parquet de Bobigny, instrumentalisé par la PAF, de faire rendre gorge à l'avocat qui fait sortir (les sans-papiers) de la zone d'attente" de Roissy. "C'est le procès du statut de l'avocat", accuse-t-il, appelant le tribunal à faire "la différence entre une filière et un filon" de clientèle. Les étrangers libérés grâce à Me Mikano le recommandant, tout simplement, à leurs consorts, selon lui.

"Pas d'élément probant". Le barreau de Bobigny estime lui aussi que ce procès touche au "principe" même du métier d'avocat."Me Mikano est véritablement un spécialiste de ce qu'on appelle le droit des étrangers. C'est bien pour cela que les réseaux font en sorte, lorsqu'ils ont un ennui avec un passage qu'ils ont organisé, que ce soit lui qui y aille parce qu'il y a de fortes chances que la personne soit libérée", explique le bâtonnier Robert Feyler, sur Europe 1. "Il ne faut pas confondre la désignation d'un avocat par un réseau et la participation de cet avocat au réseau", plaide-t-il.

Fait rare pour un avocat mis en cause dans l'exercice de ses fonctions, il a passé un mois et demi en prison, au printemps 2013, pour une affaire très similaire, toujours à l'instruction et impliquant des sans-papiers philippins. Le barreau l'a là aussi soutenu, refusant de le suspendre de ses fonctions.