Un bébé né de trois parents, prometteur ou inquiétant ?

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avec AFP , modifié à
Le premier bébé conçu à partir de l'ADN de trois adultes est né en avril, a-t-on appris mardi. 

Un enfant, trois parents. Le premier bébé conçu à partir de l'ADN de trois adultes, deux femmes et un homme, est né en avril, a annoncé mardi l'American Society for Reproductive Medicine (ASRM). Cette expérience inédite et controversée suscite des réactions mitigées. Mais elle pourrait constituer une avancée médicale majeure dans la lutte contre la transmission de maladies héréditaires. Décryptage en cinq questions.

En quoi a consisté cette opération ? Une équipe médicale internationale, menée par le Dr John Zhang, du Centre New Hope Fertility à New York, a utilisé une technique inédite de transfert d'ADN. Concrètement, les médecins ont transféré les matériaux génétiques contenant les chromosomes de la mère (49 ans), dans un ovule d'une donneuse dont les matériaux génétiques avaient été enlevés. L'équipe médicale a pu féconder cinq ovules de la donneuse avec du sperme du père. L'un des ovules s'est avéré en bonne santé et les médecins l'ont ensuite réimplanté dans la mère. Selon le New Scientist, le petit garçon se prénomme Abrahim Hassan et ses parents sont Jordaniens mais ni le magazine ni l'ASRM n'ont révélé leur identité. Abrahim Hassan a désormais cinq mois et se porte bien, d'après l'équipe médicale.

A quoi cela sert-il ? Le but était d'empêcher que la mère transmette à son enfant des gènes responsables du syndrome de Leigh, un trouble métabolique héréditaire rare qui se caractérise par la dégénérescence du système nerveux central. La femme qui a bénéficié de cette technique de procréation assistée avait déjà transmis ses gènes du syndrome de Leigh à ses deux précédents enfants, tous deux morts de cette pathologie. Elle avait aussi fait deux fausses couches.

Dans la mesure où l'ADN mitochondrial est transmis seulement par la mère, cette technologie permet de minimiser la transmission de gènes maternels défectueux, explique l'ASRM. Lors de l'opération, en avril, un ovule s'est avéré non viable, et trois étaient viables mais jugés potentiellement porteur de la maladie. Il en est tout de même resté un, qui n'était pas atteint du syndrome et a pu être réimplanté, selon l'équipe médicale. Le Dr John Zhang a évoqué sur son blog "un grand pas pour l'humanité", se réjouissant d'avoir donné un enfant à une mère de 49 ans. "Sauver des vies, voilà ce qui est éthique", a-t-il martelé, sentant poindre les critiques à venir.

L'expérience est-elle légale ? Cette technique de conception assistée n'est pas autorisée aux Etats-Unis (ni en France d'ailleurs), ce qui a conduit l'équipe médicale à réaliser cette procédure au Mexique, où l'enfant est venu au monde. Une autre technique de transfert de l'ADN mitochondrial, autorisée en Grande-Bretagne, avait été rejetée par le couple. En Grande-Bretagne, "l’ovocyte de la mère et celui de la donneuse auraient d’abord été fécondés par des spermatozoïdes du père, puis énucléés avant qu’ils ne se divisent pour donner un embryon. Le noyau de la donneuse serait alors éliminé et remplacé par celui de la mère pour former l’embryon", lit-on dans le journal Le Monde. Qui enchaîne : "le couple jordanien, de confession musulmane, souhaitait minimiser les destructions d’embryons et a pour cette raison choisi d’opter pour l’autre technique".

" Cette action irresponsable et non éthique créé un précédent dangereux "

Va-t-elle se réitérer ? "Ces travaux représentent une avancée importante en médecine de la reproduction car les maladies mitochondriales restent un problème important et difficile", a estimé le Dr Owen K. Davis, président de l'ASRM, la société qui a réalisé l'opération. "Si d'autres recherches permettent d'établir la sûreté et l'efficacité de cette technique de transfert des matériaux génétiques, on pourrait l'envisager comme une option pour les femmes risquant de transmettre des maladies mitochondriales à leurs enfants", a-t-il ajouté, sans toutefois préciser s'il allait réitérer l'expérience. La procédure effectuée lors de l'opération au Mexique fera l'objet d'une présentation à la conférence annuelle de l'ASRM, qui se tiendra en octobre à Salt Lake City (Utah).

Ce type d'opération est-il dangereux ? Porteuse de beaucoup d'espoir pour les mères porteuses de maladie héréditaire, la technique n'en reste pas moins controversée. "Si toutes les données cliniques sont solides cela représente une première pour le traitement de certaines maladies très graves", a reconnu le professeur Justin St John, du Centre des maladies génétiques à l'université Monash en Australie. Mais "une surveillance étroite et prolongée est nécessaire étant donné le peu d'expériences effectuées avec des modèles animaux appropriés pour évaluer cette technologie", prévient-il. "Vu que cette technologie est controversée et qu'il s'agit d'une première avec des humains, l'équipe de recherche aurait dû soumettre préalablement une étude clinique complète avec toutes les données pour être examinées par des experts", a-t-il renchéri.

Il n'existe, en effet, aucun recul sur la viabilité de l'enfant à long terme. Et de nombreux scientifiques pensent que cette technique est "risquée avec des conséquences imprévisibles sur la santé de l'enfant et des futures générations", a prévenu Marcy Darnovsky, directrice du Center for Genetics and Society, une ONG basée à Berkeley, en Californie. Celui-ci craint que "cette action irresponsable et non éthique créé un précédent dangereux".

Une étude espagnole révélée par la revue Nature le 6 juillet dernier livrait en effet des conclusions inquiétantes. Des souris ont été dotées d’ADN venant de plusieurs rongeurs différents. Après une période où elles se trouvaient en bonne santé, leur santé a décliné et leur système génétique a été altéré, les faisant vivre moins longtemps.