La ministre de la Santé Agnès Buzyn se saisit de l'épineux dossier des vaccins obligatoires

Une jeune fille se fait vacciner (Photo d'illustration)
Une jeune fille se fait vacciner (Photo d'illustration) © Fred TANNEAU / AFP
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Anouk Helft
Dans une interview accordée hier au Parisien, la ministre de la Santé déplore que certains vaccins ne soient pas obligatoires. Elle confie envisager une réforme afin de remédier à la situation. 

D'après une étude menée l'année dernière dans 67 pays et publiée dans la revue EBioMedecine, les Français sont les champions de la méfiance envers les vaccins. Une méfiance qui n'est pas sans conséquence : comme le rappelle Le Monde dans un article paru vendredi, la population française compte parmi les moins vaccinées d'Europe.

A ce jour, seuls trois vaccins sont obligatoires. Cependant, cela pourrait bien changer. Dans une interview accordée hier au Parisien, la nouvelle ministre de la Santé Agnès Buzyn a confié réfléchir à rendre huit autres vaccins obligatoires. 

Quels sont les vaccins actuellement obligatoires ?

Les vaccins actuellement obligatoires pour les enfants de moins d'un an et demi sont ceux contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP). Pour les individus résidant plus d'un an en Guyane française, il est également obligatoire d'être vacciné contre la fièvre jaune, une maladie hémorragique virale. 

Parallèlement, huit autres vaccins infantiles sont recommandés par le ministère de la Santé durant les dix-huit premiers mois des enfants : coqueluche, hépatite B, rougeole, oreillons, rubéole, méningocoque, pneumocoque et Haeomophilus infuenza. Bien qu'il ne soient pas obligatoires, les vaccins recommandés sont également inscrits dans le calendrier des vaccinations fixé chaque année par le ministère de la Santé et le Haut conseil de la santé publique. 

Quels sont les vaccins que la nouvelle ministre de la Santé veut rendre obligatoires ? 

Agnès Buzyn envisage de rendre obligatoires les huit vaccins recommandés "pour une durée limitée qui pourrait être de cinq à dix ans". 

Le projet actuellement porté par l'ancienne présidente de l'Institut national du cancer n'est pas nouveau. En décembre dernier, un "comité de concertation citoyenne" avait déjà rendu les mêmes propositions en guise de conclusion à Marisol Touraine. Le comité était alors composé d'un jury de professionnels de la santé et d'un jury de citoyens indépendants choisis pour leur rôle dans la société civile. 

A l'époque, le comité avait notamment fait part de sa volonté de mettre en place une clause d'exemption afin de respecter le choix des parents ne souhaitant pas faire vacciner leurs enfants. A ce jour, Agnès Buzyn n'a pas encore précisé sa position sur cette clause. 

Pourquoi cette réforme ? 

Afin de justifier sa réforme, la ministre rappelle au Parisien les dégâts causés par le niveau encore trop faible de certaines couvertures vaccinales en France : "Aujourd'hui, en France, la rougeole réapparaît. Il n'est pas tolérable que des enfants en meurent : dix sont décédés depuis 2008. Comme ce vaccin est seulement recommandé et non obligatoire, le taux de couverture est de 75 % alors qu'il devrait être de 95 % pour prévenir cette épidémie. On a le même problème avec la méningite. Il n'est pas supportable qu'un ado de 15 ans puisse en mourir parce qu'il n'est pas vacciné."

Le professeur Daniel Floret, pédiatre et expert en vaccinologie membre de la commission technique des vaccinations de la HAS (Haute autorité de santé), livre la même analyse : "On ne peut pas avoir des vaccins obligatoires qui protègent contre des maladies qui sont devenues très rares et des vaccins recommandés qui sont vécus comme moins importants par la population alors qu ils protègent contre des maladies qui sont beaucoup plus fréquentes". Il poursuit : "Nous nous sommes engagés à éliminer la rougeole, ce qui nécessite d'avoir des couvertures vaccinales élevées. "

Selon Agnès Buzyn, il existe actuellement un "double système" qui représente une "exception française" et pose un "vrai problème de santé publique". D'après la ministre, ce problème s'ajoute à celui du manque de confiance généralisé des Français dans l'efficience même des vaccins. Actuellement, deux généralistes sur trois considèrent en effet que le temps passé à convaincre leurs patients afin qu'ils se fassent vacciner est un frein à leur travail

Le projet d'Agnès Buzyn est en fait un plan dont la réalisation se ferait en deux temps. Tout d'abord, la couverture vaccinale obligatoire serait élargie afin de restaurer la confiance des Français dans les vaccins. Puis, dans un second temps, l'obligation vaccinale serait levée. "Je déteste la coercition, ce n'est pas dans mon tempérament. Mais là, il y a une urgence" a confié la ministre. 

Quelles ont été les réactions à l'annonce de ce projet ?

L'annonce de ce projet a provoqué des réactions multiples et parfois inquiètes. Pour l'eurodéputée écologiste Michèle Rivasi, ce dispositif serait un "cadeau" fait aux laboratoires pharmaceutiques. Comme le rapporte Le Parisien, l'ancienne directrice de Greenpeace France a déclaré dans un communiqué de presse que "la restauration de la confiance ne passe pas par l'infantilisation et le mépris des parents inquiets pour la santé et le système immunitaire de leurs enfants". L'eurodéputée souligne également dans le même communiqué qu'Agnès Buzyn "s'est toujours dit proche de l'industrie pharmaceutique".

D'autres écologistes sont allés encore plus loin. Sur Twitter, l'ex Secrétaire National des Verts Pascal Durand s'interroge : Agnès Buzyn propose-t-elle cela "comme ex-salariée des labos pharmaceutiques ou comme ministre de la Santé ?"

Jacques Bessin, le président de l'Union nationale des associations citoyennes de la santé (UNACS), dénonce également ce projet. Comme le rapporte France Info, il va jusqu'à comparer la vaccination obligatoire à une "hérésie". Il s'explique : "Les vaccins ont des effets secondaires, neurologiques, musculaires mal mesurés et parfois irréversibles. On parle des morts de maladie, jamais de ceux des vaccins." Dans Le Parisien, le président de l'UNACS promet : "on ne laissera pas faire".

Toutefois, la nouvelle a été accueillie favorablement par une partie des médecins et professionnels de la santé français. Dans une interview accordée à L'Express, le pédiatre et vaccinologue François Vié le Sage résume sa pensée en comparant la législation du vaccin à celle de la ceinture de sécurité : "Comme pour la ceinture de sécurité, je trouve malheureux d'être contraint de créer une loi pour obliger les personnes à se protéger. Malheureusement, vu la situation en France, nous n'avons pas le choix".