Philippe Val 4:05
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Philippe Val
À deux jours du premier tour de l'élection présidentielle, Philippe Val, journaliste et ancien directeur de publication de Charlie Hebdo, tente de convaincre son ami abstentionniste d'aller voter. Car les Tchécoslovaques ou les Hongrois ne se sont-ils pas battus pour une démocratie pluraliste et des élections libres ? Edito sur Europe 1.
EDITO

Au temps de ma jeunesse folle, comme beaucoup d'autres, j'avais été convaincu par Sartre de ne pas voter et je ne suis pas prêt de pardonner à cette grande intelligence de nous avoir rendu stupide. Aujourd'hui, j'ai un copain abstentionniste et en l'écoutant argumenter, j'ai compris qu'a lui tout seul, il se croit plus intelligent que tous les candidats réunis. Il me dit : "ils tous pourris". Je lui réponds : "Souvent quand on parle des autres, on parle de soi." Alors il se vexe et je change de sujet.

"Une démocratie pluraliste et des élections libres" 

Pour le convaincre d'aller voter, je lui dis qu'en 1956, les Hongrois se sont révoltés contre la dictature communiste. Ils ont été écrasés par les chars russes. Que voulaient-ils ? Une démocratie pluraliste et des élections libres. En 1968, les Tchécoslovaques se sont soulevés contre la dictature communiste et ils ont été écrasés par les chars soviétiques. Que voulaient-ils ? Une démocratie pluraliste et des élections libres.

En juin 1989, le Parti communiste chinois a assassiné et réprimé implacablement la jeunesse rassemblée place Tiananmen. Que voulaient ces manifestants ? Une démocratie pluraliste et des élections libres. Entre 1939 et 1945, environ 60 millions de personnes sont mortes à la guerre. C'était le prix à payer pour vaincre le nazisme et pour rétablir des démocraties pluralistes et des élections libres.

Aujourd'hui, quand on regarde à la télé les images de l'Ukraine, on voit en direct les troupes russes qui tentent d'exterminer une population qui se bat pour défendre un régime démocratique, pluraliste et des élections libres.

Et que se passe-t-il en France à la veille du premier tour de l'élection présidentielle libre, démocratique et pluraliste ? Il se passe que les études d'opinion nous préviennent que l'abstention au premier tour pourrait s'élever entre 25 % et 30 % et que ce sera peut-être encore plus au second tour. Alors moi, je fais un cauchemar. Je m'imagine trébuchant à travers les cimetières hongrois, tchécoslovaques, chinois, ukrainiens, en train de me dire qu'on passe de la liberté guidant le peuple à l'indifférence guidant les enfants gâtés.

"Voter, c'est le geste altruiste qui coûte le moins et qui rapporte le plus"

Certains nous disent : "je ne vois personne pour me représenter." Peut-être, mais on a juste oublié que voter, c'est le geste altruiste qui coûte le moins et qui rapporte le plus. On ne vote pas que pour soi, on vote pour les autres. Et l'offre pluraliste, quoi qu'on en dise, est à l'image de notre pays.

Les candidats n'arrivent pas de la planète Mars ! Ils sont ce que nous sommes ! Et il y en a pour tous les goûts. On a deux trotskistes, l'une qui est laïque et l'autre qui s'en fout, pourvu que ça saigne. On a des souverainistes au lait cru, des écologistes véganes, des communistes carnivores, des insoumis islamo-compatibles, une socialiste convaincue que l'élection présidentielle, c'est la rencontre d'une femme avec une piste cyclable, une droite nucléaire, un centre européen, deux extrêmes droites au raz des narines.

Mais qu'est-ce qu'il nous faut de plus ? Un messie qui marche sur l'eau ? On vote toujours par défaut pour quelque chose d'impur et d'imparfait. Et c'est ça qui est formidable. Parce que la pureté, c'est la mort. Sommes-nous parfaits ? Non. A-t-on envie de devenir des êtres parfaits ? Evidemment, non. On a envie de vivre avec le droit à l'erreur et le droit au bonheur. 

Il faut voter pour les gens comme nous, avec leurs défauts, leurs qualités, leurs faiblesses. En politique, les messies s'appellent Hitler ou Staline. Les élus de la démocratie ne s'appellent que Mario Draghi, Olaf Schulz ou Ignazio Cassis, celui là personne ne le connaît et pourtant, c'est le président de la Confédération suisse où règne la paix depuis deux siècles. Tous les soirs, quand les images d'Ukraine arrivent sur nos écrans de télé, on zappe sur Gulli pour que nos enfants ne voient pas ça. Si on réfléchissait cinq minutes au lieu de se croire plus intelligent que les autres, dimanche prochain, on se précipiterait au bureau de vote pour que nos enfants ne vivent pas ça.