Loi asile et immigration : le nouveau pari du "en même temps"

Gérard Collomb Benjamin Griveaux
Gérard Collomb et Benjamin Griveaux ont défendu mercredi un texte "équilibré". © LUDOVIC MARIN / AFP
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Sur ce texte, présenté mercredi en conseil des ministres, l'exécutif revendique une position équilibrée. Et adapte aussi sa communication à la ligne de crête qu'il s'est fixée.

Une "double exigence d'humanité et d'efficacité". Les mots ont été prononcés, mercredi midi, à la sortie du conseil des ministres, par Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement. Ils résument bien la stratégie du gouvernement sur le projet de loi asile et immigration. D'un côté, des mesures fermes et de réduction des délais de procédure, de l'autre des garanties pour "renforcer la protection d'un certain nombre de personnes vulnérables". L'exécutif revendique donc un texte équilibré. Et adapte sa communication en conséquence. Un pari risqué, alors que nombre d'associations et d'acteurs de l'asile dénoncent une loi plus répressive que les précédentes. Le Barreau de Paris s'est ainsi inquiété, dans la matinée, d'une loi qui "contrevient aux droits de la défense et au droit inconditionnel de l'asile".

"On reste très en deçà du droit européen". Mais l'exécutif avait une réponse toute trouvée : nos voisins font peu ou prou la même chose. Invité à s'exprimer lui aussi lors du compte-rendu du conseil des ministres, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a défendu son texte bec et ongle. Et martelé que toutes les mesures étiquetées comme répressives n'étaient, en réalité, qu'une façon de "faire converger nos procédures avec le droit européen". La réduction du délai de recours pour les déboutés du droit d'asile en première instance ? "Neuf États membres de l'Union européenne ont aujourd'hui un délai de recours compris entre 8 et 15 jours, dont l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Italie." Le fait que le recours ne soit plus suspensif lorsque le demandeur vient d'un pays dit "sûr", et qu'il puisse donc être renvoyé alors que son recours est en cours d'examen ? "Neuf autres États membres ont cette pratique." "On reste encore très en deçà du droit européen et de pays qui ne passent pas forcément pour rétifs par rapport au problème du droit d'asile", a tranché Gérard Collomb.

Et au milieu avance LREM. Pour démontrer que son projet de loi respecte bien le sacro-saint "et en même temps" présidentiel, le gouvernement peut aussi compter sur ses adversaires. La droite appelle à plus de fermeté dans un contre-projet élaboré ces derniers jours, qui a été présenté mercredi après-midi lors d'une conférence de presse. La gauche, elle, s'insurge contre un projet de loi de "régression complète" (Olivier Faure, président du groupe Nouvelle gauche à l'Assemblée). Et au milieu avance La République en marche!. Exactement comme elle l'avait fait sur le projet de loi de sécurité intérieure à l'automne, la majorité compte bien marcher sur une ligne de crête entre les deux versants de l'opposition parlementaire.

Coups de barre à droite et à gauche. Le gouvernement a d'ailleurs pris soin de donner des coups de barre à droite comme à gauche dans sa communication juste avant la présentation du texte. Gérard Collomb mais aussi Emmanuel Macron se sont succédé à Calais, assurant les forces de police de leur entier soutien quand des associations, elles, dénonçaient leur brutalité à l'égard des migrants. Mais le ministre de l'Intérieur était aussi lundi, avec le Premier ministre, en visite dans les locaux lyonnais de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Le même jour, le député Aurélien Taché rendait un rapport sur la refonte de la politique d'intégration. De quoi bâtir une séquence de communication autour des mesures "humanistes" du projet de loi. Un coup de barre à gauche, destiné notamment à rassurer une partie de la majorité mal à l'aise avec ce texte.

" Sous Sarkozy, on avait des quotas de reconduite à la frontière et on allait chercher des étudiants étrangers en plein examen. On n'en est pas là. "

"Continuer à rééquilibrer". Car le pari de l'équilibre semble risqué même auprès des députés LREM. Certains, à l'instar de l'élu du Maine-et-Loire Mathieu Orphelin, ont prévu d'amender le projet de loi dans les semaines à venir. "Nous devons continuer à rééquilibrer le texte au cours des débats parlementaires", a justifié ce proche de Nicolas Hulot dans un communiqué. Qui considère donc que l'impératif de "fermeté" est plus respecté que celui d'"humanité" dans cette première version.

Gérard Collomb, lui, a refusé mercredi de s'inquiéter d'une potentielle fronde au sein de la majorité. "Je n'ai aucune crainte", a-t-il assuré, misant une nouvelle fois sur la pédagogie. "Je suis sûr que lorsque [les députés] prendront connaissance de l'intégralité du texte, chacun réalisera que nous avons [une loi] totalement équilibrée". "Il faut dépassionner les débats", abonde un poids lourds de la majorité auprès d'Europe1.fr. "Sous Sarkozy, on avait des quotas de reconduite à la frontière et pour les respecter, on allait chercher des étudiants en plein examen. On n'en est pas là."

Pas de politique populiste. Ce député attire par ailleurs l'attention sur le fait que le gouvernement ne cède pas non plus, selon lui, aux sirènes populistes. Plusieurs enquêtes d'opinions réalisées ces six derniers mois, à l'instar de celle de BVA en janvier, montrent que la majorité des Français (63%) estiment qu'il y a "trop d'immigrés" en France et réclament une politique migratoire plus dure. "Il ne faut pas gouverner au sondage, et pas non plus se cacher derrière son petit doigt en disant qu'on peut accueillir tout le monde", résume l'élu macroniste. "Il faut être juste."