L'Insoumis, anti-cliché de campagne

Mélenchon documentaire L'Insoumis
L'Insoumis, documentaire de Gilles Perret, raconte les trois derniers mois de campagne présidentielle de Mélenchon. © Jour2fête
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Le documentariste Gilles Perret a suivi Mélenchon pendant la présidentielle. Il en tire un film, en salles mercredi, qui prend le contre-pied des idées reçues sur le candidat, mais aussi sur ce qu'est une campagne électorale.

L'homme enregistre ses clips de campagne, trébuche sur une mauvaise liaison, recommence de bonne grâce. Tient à porter une veste satinée en meeting, quand toute son équipe, morte de rire, se relaie pour le convaincre de renoncer à cette ultime faute de goût. Picore du comté entre les réunions, s'offre un verre de vin après avoir été le tribun que beaucoup applaudissent sur une scène de réunion publique. Ainsi va la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, filmée pendant trois mois par le documentariste Gilles Perret. Ouvertement engagé à gauche, celui qui a également signé des films sur le conseil national de la Résistance (Les Jours Heureux, en 2012) et l'histoire de la Sécurité sociale (La Sociale, en 2016) sort mercredi au cinéma L'Insoumis, témoignage "embedded" dans l'intimité de la présidentielle du candidat France Insoumise.

L'Insoumis affiche

Contre-pied. De février à avril, des 10% dans les sondages à la quatrième place qui ne permettra pas à Jean-Luc Mélenchon de se qualifier pour le deuxième tour, Gilles Perret a tiré un double portrait. Portrait de campagne, d'abord, entre ateliers de réflexion de l'équipe, dissection des enquêtes d'opinion et élaboration d'argumentaires. Portrait d'un homme, ensuite, qui apparaît convaincu dès la première minute que son heure est venue et qu'il ne peut échouer. Et sur les deux tableaux, le documentariste prend le contre-pied de ce qui était attendu.

La force tranquille. Point de tensions, quasiment pas de stress, jamais de couacs : l'impression qui se dégage de la dernière ligne droite du candidat de la France Insoumise est avant tout celle d'une force tranquille que rien ne peut venir perturber, pas même un coup de gueule contre les médias de Sophia Chikirou, la spin-doctor de Jean-Luc Mélenchon, lors du débat à 5 candidats sur TF1 en mars. Gilles Perret s'intéresse à la politique au sens purement concret (et quelque peu austère) du terme, à sa fabrique devant un plateau de sushis à emporter plus qu'aux plans de communication et aux stratégies médiatiques.

Mélenchon intime. De l'homme aussi, le documentariste prend le parti de montrer une face intime, méconnue car moins montrée –au moins autant par lui-même que par les médias, d'ailleurs. Loin de l'animal politique aux impressionnants coups de sang, Jean-Luc Mélenchon, bonhomme, s'extasie devant la ville de Rome au crépuscule et veille avec vigilance à ce que le membre de son équipe en possession du fromage fraîchement acheté ne rate pas le train. Une seule scène, tournée après l'intervention du candidat dans C à vous, sur France 5, montre Jean-Luc Mélenchon ulcéré par les images choisies et les questions posées par Anne-Sophie Lapix et son équipe. L'Insoumis laisse d'ailleurs paraître plus d'aversion envers les médias que pour n'importe lequel de ses adversaires à la présidentielle.

L'Insoumis 2

Certitudes et déceptions. Surtout, le documentaire de Gilles Perret laisse voir au grand jour un homme habité par la certitude qu'il va l'emporter et que le moment est venu. S'il n'est pas rare que même les outsiders clament haut et fort qu'ils remporteront leur prochain challenge électoral, cette conviction calmement martelée a quelque chose d'assez fascinant. L'une des séquences les plus réussies du documentaire est d'ailleurs la dernière, lorsque le candidat défait prend la parole devant ses militants dehors, juste avant de prononcer son discours officiel. La caméra de Gilles Perret parvient alors à saisir, en quelques instants fugaces et grimaces figées, toute la déception de Jean-Luc Mélenchon. Soulignant encore un peu plus, en creux, à quel point il avait pu y croire.

Mise en scène. L'exercice entrepris dans L'Insoumis pose inévitablement une question : celle de la mise en scène. Où s'arrête l'illustration fidèle d'une campagne et d'un candidat, et où commence la construction d'une histoire et de son personnage principal ? La présidentielle mouvementée de 2017 a déjà fourni des documentaires comme celui-ci, dégraissés, à l'os, qui évincent toute voix-off pour ne conserver que l'image. C'était notamment le cas de Macron : les coulisses d'une victoire, de Yann L'Hénoret. Gilles Perret a fait un pas supplémentaire en choisissant de ne pas non plus insérer de musique d'ambiance dans son film, et on pourra d'ailleurs regretter que le dépouillement formel de son Insoumis se fasse au détriment d'une ambition artistique sûrement plus adaptée à une sortie au cinéma.

Brut, authentique, mais pas neutre. Mais le choix de s'en tenir à un rendu le plus brut et authentique possible ne signifie pas pour autant que le documentaire tende à la neutralité. D'abord parce qu'avec, on l'imagine, des heures et des heures de rush à la fin de la campagne, le documentariste a nécessairement dû procéder à des choix, écartant certains éléments pour en retenir d'autre. Ensuite parce que le montage, élément premier de ce qui constitue le langage cinématographique, ne doit rien au hasard. On voit par exemple la caméra de Gilles Perret s'attarder sur deux titres de presse pour illustrer une énième diatribe de Jean-Luc Mélenchon contre les médias, validant de fait le propos général avec un exemple particulier. Reste que la tendresse évidente portée par le réalisateur à son sujet n'entame en rien l'intérêt de l'exercice. Peut-être même était-elle indispensable pour mener à bien le projet.