"Mélenchon a toujours oscillé entre déprime et dynamique"

Jean-Luc Mélenchon semble marquer le pas actuellement. Mais l'homme a déjà prouvé par le passé qu'il sait rebondir.
Jean-Luc Mélenchon semble marquer le pas actuellement. Mais l'homme a déjà prouvé par le passé qu'il sait rebondir. © BORIS HORVAT / AFP
  • Copié
Alors que Jean-Luc Mélenchon semble avoir perdu de son élan, le journaliste Stéphane Alliès, auteur d’une biographie du leader de La France insoumise, estime qu’il peut largement rebondir. 
INTERVIEW

Jean-Luc Mélenchon, celui qui a conquis le titre officieux de premier opposant à Emmanuel Macron durant l’été et la rentrée, n’a plus le vent en poupe. Médiatiquement, il est beaucoup moins présent qu’il y a encore quelques semaines. Et ses tentatives de mobilisation face aux réformes du gouvernement ne prennent pas. "Pour l'instant c'est Macron qui a le point", a-t-il récemment reconnu lors d’un déplacement en Grèce. "Il ne faut pas chercher à le cacher, parce que si on raconte des histoires on n'est pas crédible".

A deux jours d’une manifestation qui pourrait être celle de la dernière chance, le député des Bouches-du-Rhône a réuni ses troupes mardi pour réfléchir à l’après et repenser la stratégie. Pour autant, ce n’est pas parce que la machine Mélenchon a des ratés qu’il faut enterrer celui qui a réuni 19% des voix à l’élection présidentielle, selon, Stéphane Alliès, auteur d’une biographie de Jean-Luc Mélenchon, Le Plébéien (ed. Robert Laffont), parue en janvier 2012. Pour ce journaliste de Mediapart, l’homme a de la ressource, et réfléchit à moyen terme.

Jean-Luc Mélenchon semble marquer le pas, après un été et une rentrée politique tonitruante. Est-ce la fin d'une sorte d'état de grâce pour lui ?
Le chemin politique de Mélenchon passe toujours par des temps forts et des temps faibles. Il a toujours oscillé entre hauts et bas, entre déprime et dynamique Il a l’habitude de gérer ces alternances. En 2012, ça a été pareil. Il était parti très fort après la présidentielle. Il avait été le premier à parler de l’opposition de Hollande à gauche, à enclencher des marches dans la rue. Ça ne l’a pas empêché de traverser un petit désert pendant deux ans, avant de revenir encore plus fort pour la présidentielle.

Là, il est certes dans un temps faible, mais par rapport à 2012, mais il a quand même un groupe parlementaire, avec des députés qui ont montré un certain savoir-faire, au moins communicationnel. A côté de ça, Jean-Luc Mélenchon profite d’un paysage complètement dévasté à gauche. En 2012, on parlait plus des frondeurs que de Mélenchon. Là, il n’y a plus de PS, plus d’écologistes,  quasiment plus de communistes. Il n’y a presque plus de droite, ou une version très radicalisée, et le FN n’est pas du tout en dynamique. L’un dans l’autre, ce n’est pas non plus un moment très dramatique. Il paye aussi un contrecoup physique de son activité incessante depuis le début de l’année 2016. Ça ne me paraît pas anormal qu’il ait à un moment donné un coup de mou et qu’il doive souffler.

Avec un mouvement social qui ne semble pas prendre, quelle est la prochaine étape, pour Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise ?
Là il est un peu dans une période de ressac, mais dans un moment où les prochaines élections ne sont que dans deux ans. Il va avoir le temps de se livrer à un travail de structuration de son mouvement, qui ressemble encore à une entreprise de campagne, encore nébuleuse. Il évoque sa volonté de construire une contre-société insoumise, et ça, ça va être intéressant à suivre. Le modèle, c’est le Parti communiste des années 1970, qui s’appuyait sur l’ancrage local. Mais ça n’est pas du tout la came de Mélenchon. Il parle plutôt de créer une contre-société sur le numérique.

Et puis il est toujours dans cette idée - c’est un peu son côté gauche latino, qu’il faut déclencher, se donner les moyens de l’irruption citoyenne. Qu’il faut tout le temps être actif, montrer à la révolution citoyenne qu’elle peut se déclencher à tout moment, que la chaine peut se briser, comme il dit. Cela dit, il se heurte à  un problème : à force de théoriser une révolution citoyenne - qui doit donc passer par les urnes - quand il n’y a pas d’élections, c’est difficile de l’incarner. On descend dans la rue, on fait des marches, on essaye de diversifier des actions militantes, mais on est obligé d’attendre les prochaines élections.

Vous parliez de l’irruption de nouvelles figures autour de lui. Mais celles-ci ne peuvent-elles pas aussi le desservir, avec l’affaire Garrido ou les propos parfois controversés de la députée Danièle Obono ?
C’est l’éternelle question du parler cru ou dru, de pousser très fort, de donner presque dans la provoc'. Lui part de l’idée très marxiste que c’est du conflit que naît la conscience et qu’il faut donc toujours participer à la polémique, dans le bon sens du terme. Il y a forcément des effets pervers à cette stratégie d’occupation de l’espace médiatique et politique, et c’est vrai que ça peut se retourner contre vous.

Cela dit, le fait de réussir à faire émerger autour de lui une génération de personnes, d’élus, qui peuvent porter la contestation, ça a toujours été l’une de ses forces. Avec des Quatennens, des Bernalicis, des Obono, et des proches de longue date, des Corbière, des Coquerel, il a un peu réussi à dépersonnaliser sa parole.

Et puis d’une certaine manière, il élargit son spectre. Danièle Obono, François Ruffin ou encore Clémentine Autain expriment des nuances de gauche. C’est certainement contreproductif à court terme médiatiquement, mais le fait d’avoir une certaine ouverture d’esprit sur certains sujets comme la laïcité,  c’est quand même plus un signe d’ouverture que de verrouillage de son parti. La force de Jean-Luc Mélenchon, c’est d’arriver à mettre d’accord des gens avec qui il n’est pas forcément d’accord à la base. Il a cet amour du texte et il pense que même s’il faut passer une après-midi sur une virgule, on peut toujours se mettre d’accord par le texte.