Présidentielle : les tests politiques, une boussole pour les indécis ?

© AFP
  • Copié
Thibaud Le Meneec , modifié à
De nombreux tests en ligne se proposent d’aider les électeurs à trouver leur candidat, dans une campagne marquée par l’indécision des citoyens.

Gilles l’a décidé : il votera Mélenchon dimanche. Ce quinquagénaire breton a longuement hésité entre le leader de la France insoumise et le socialiste Benoît Hamon, mais après avoir assisté aux meetings finistériens des deux candidats, il a finalement choisi l’eurodéputé. Et puis… "Récemment, il m’est venu l’idée, un peu par hasard, de faire un test sur Internet. Après tout, un test ne m’engage à rien et, de toute façon, je suis totalement certain de ma décision ! Cette démarche m’a entraîné dans une certaine confusion. Et si le fait de faire appel à un outil numérique me renvoyait à mon indécision originelle entre les deux candidats ?". Passée cette crainte, Gilles s’est lancé sur deux tests, celui de Crowdpac, et celui du Figaro, conçu par les équipes du média.

Offre politique large et volatilité électorale. Le choix, Gilles l’avait également dans le nom et la provenance des tests : à l’approche de l’échéance, les questionnaires du genre ont fleuri sur Internet. Il n'y en avait pas plus de quatre en 2012, alors qu'Europe1.fr en a dénombré 18 cette année, chacun ayant sa méthode, sa longueur et son résultat. Et dans une campagne où, d’après Frédéric Dabi de l’institut de sondages Ifop, "28% des électeurs sont encore indécis et une abstention qui pourrait être comparable à 2002", leur rôle n’est pas négligeable.

" Une offre politique large un peu compliquée à saisir pour les électeurs "

"Le succès des Systèmes d’Aide au Vote (SAV, le nom scientifique de ces tests, NDLR) est favorisé par plusieurs facteurs : par le développement d’internet et par un effet "boule de neige" induit par l’intérêt des médias et la généralisation de ces instruments dans différents pays. Mais il y a aussi des causes propres aux systèmes politiques comme l’offre politique large (beaucoup de candidats ou de partis en compétition) un peu compliquée à saisir pour les électeurs", analyse Sylvie Strudel, professeur en science politique à l’université Panthéon-Assas et collaboratrice à la Boussole présidentielle du Cevipof, qui aide les internautes de 20 Minutes à "trouver" leur candidat idéal. Selon elle, "l’indécision ou l’augmentation de la volatilité électorale est un élément parmi d’autres qui permet d’expliquer ce succès". 

 "Une manière de lutter contre l’abstention". Cette indécision, Laurent Cald la ressent. Cet ancien étudiant de Sciences Po a créé le site Politest il y a douze ans et observe, pour cette campagne, des chiffres de fréquentations incomparables à ceux de l’élection présidentielle 2012, avec environ 15.000 visites par jour ces dernières semaines. "Les gens sont dans le doute, ils cherchent à se rassurer en faisant des tests afin de voir si la personne pour laquelle ils voteraient n’est pas trop éloignée de ce qu’ils veulent. C’est un peu leur donner une boussole, surtout parmi les jeunes", explique-t-il en insistant sur le fait que son test ne livre pas un candidat au bout des 20 questions du test mais un positionnement sur un axe gauche-droite. Car son objectif premier n’est pas de permettre à un indécis de ne plus douter : "J’ai conçu ce test pour montrer aux gens qu’ils ont des opinions politiques et qu’il faut donc aller voter. C’est une manière de lutter contre l’abstention. D’ailleurs, beaucoup de gens me disent que ça ne les aide pas beaucoup et qu’ils ne savent toujours pas pour qui voter."

" J’hésitais avant et j’hésite après "

Laure, qui travaille dans le secteur culturel, est un peu dans ce cas : "j’hésitais avant et j’hésite après" avoir fait deux tests, raconte-t-elle. Quel bulletin va-t-elle glisser dans l’urne dimanche ? "Les tests m'ont confirmé que c'était Benoît Hamon qui me convenait. Mais les questions autour de lui restent les mêmes…", dit-elle, pas encore tout à fait certaine de son choix. Encore moins sûrs qu'elle, les indécis sont toujours nombreux à quelques jours du premier tour. "Par rapport à la Boussole Présidentielle de 2012, celle de 2017 accueille plus d’indécis (60% en 2012, 75% en 2017) ce qui renseigne sur la perplexité de l’électorat face à cette élection 'pas comme les autres'", insiste Sylvie Strudel. Un public plus nombreux, pour quelle efficacité scientifique ? Contrairement aux sondages, la validité de ces questionnaires n'est pas certifiée par une autorité indépendante. "Certains tests sont "bricolés", d’autres font l’objet d’une élaboration par des universitaires, spécialistes de science politique, qui en font un usage à la fois public (diffusion dans les médias) et académique (utilisation pour de l’analyse électorale)", précise Sylvie Strudel.

"J'ai voulu savoir si je restais cohérent". Il n’y a pas que les indécis, nombreux, à s’essayer à ces questionnaires. Théo, 25 ans, a utilisé trois tests du genre, celui des Echos, "trop libéral et ultra-biaisé", celui du Monde, "le plus neutre" et celui de Crowdpac. Objectif : "Je suis assez sûr de mon choix politique et j'ai voulu voir si, à travers les tests, je restais cohérent". Sauf que le diplômé d’institut d’études politiques, soutien de Jean-Luc Mélenchon, ne conseille pas vraiment ces questionnaires censés aider les indécis : "Une fois le premier test réalisé, qui me donnait Macron-Mélenchon, j'ai voulu essayer les autres pour évaluer leur degré partisan et de précision dans les programmes. J'avais très peu de confiance a priori dans ce genre de test, et après trois essais, j'avoue que j'en ai encore moins." Il explique : "Le test de Crowdpac est intéressant parce qu'il combine sociétal et politico-économique. C’est ce qui permet à un électeur de Jean-Luc Mélenchon de trouver Emmanuel Macron en deuxième résultat. Le biais, c’est que l'importance du sociétal est aussi pondérée que la loi Travail, ce qui permet à Macron de paraître de gauche.

Dans le quiz du Monde, Macron n'apparaît pas en compatibilité avant la cinquième ou sixième place quand on tombe sur Mélenchon. Sur celui de Crowdpac, il est deuxième." Réponse de la start-up : "La dimension sociale et sociétale n'est pas davantage mise en avant que la dimension économique, deux axes proéminents que nous avons déterminés grâce à l'analyse de milliers de données issues des discours, des livres et des programmes des candidats. L'idée n'est pas de dire aux gens pour qui ils doivent voter, mais de leur donner des informations objectives pour faire leur choix. Et nous avons une majorité de retours positifs", appuie-t-on chez Crowdpac.

" Je trouve ça presque plus grave que les fake news  "

"Plus grave que les fake news". Selon Théo, il faut s’intéresser à la provenance de ces tests : "Pour moi, c’est clairement volontaire de la part de Crowdpac d’accorder autant d’importance à la question sociétale. La start-up est basée en Amérique du Nord, créée par des expatriés français avec une culture libérale. Ça ne m'étonnerait pas qu'il y ait des soutiens de Macron derrière, comme la team Fillon est derrière "Ridicule TV"". Dans les faits, la version américaine du site est dirigée par un ancien proche de David Cameron, mais la version française assure sur sa page être une initiative "citoyenne et transpartisane", qui réfute tout biais pro-Macron et détaille sa méthodologie ici. Pour Théo, sceptique, ces tests seraient pourtant de véritables dangers : "Je trouve ça presque plus grave que les fake news parce qu'il y a un effet engageant. On y croit parce qu'on a mis du sien".

Du sien, Gilles en a mis un peu quand il a fait les tests de Crowdpac et du Figaro à quelques jours du scrutin. Finalement, il a choisi de "faire confiance à sa capacité d’analyse personnelle", tout en reconnaissant que certains indécis pourraient s’en remettre à ces outils et leurs résultats, "qui ont correspondu à [ses] convictions. De toute façon, les écarts sont si minces dans les sondages que chaque source d'information aura une importance décisive", conclut-il.