"Gilets jaunes" : les "porte-parole" se suivent et ne se ressemblent pas

Jason Herbert et Priscillia Ludosky (à gauche), membres de la première vague de "porte-parole", Benjamin Cauchy et Jacline Mouraud (à droite), devraient être membres de la seconde délégation.
Jason Herbert et Priscillia Ludosky (à gauche), membres de la première vague de "porte-parole", Benjamin Cauchy et Jacline Mouraud (à droite), devraient être membres de la seconde délégation. © AFP
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Depuis le début du mouvement, plusieurs personnalités font office de représentants. Une partie devait être reçue à Matignon mardi, avant d'annuler. 

Pour comprendre ce que veulent les "gilets jaunes", encore faut-il savoir avec qui discuter. "On n’arrive pas à enclencher le dialogue. Il nous manque des partenaires et une organisation représentative", confiait-on ce week-end dans l’entourage du Premier ministre, cité par le Journal du dimanche. Edouard Philippe devait recevoir mardi une délégation de "gilets jaunes", pour tenter d’apporter une réponse à la crise qui agite le pays depuis trois semaines. Mais ces membres ont annulé lundi soir, pour "raisons de sécurité", ont-ils annoncé à l'AFP.

Selon nos informations, cette délégation devait comprendre des membres du "collectif des gilets jaunes libres", signataires d’une tribune dans le JDD ce weekend. Ces "gilets jaunes libres" avaient des profils bien différents de ceux de la première délégation de "porte-parole", qui devait être reçue vendredi dernier avant d'annuler, elle aussi. Et chacun de ces collectifs, pour des raisons différentes, a suscité des divisions au sein du mouvement des "gilets jaunes". Explications.

Vendredi, une réunion qui avait tourné au fiasco. Une première délégation devait déjà être reçue à Matignon vendredi dernier. Il y a une semaine, en effet, une trentaine de "représentants régionaux" des "gilets jaunes" avaient désigné via les réseaux sociaux huit personnes pour porter des revendications auprès de l’exécutif. On y retrouvait par exemple Eric Drouet, 33 ans, chauffeur routier à Melun, en Seine-et-Marne, qui avait lancé sur Facebook le tout premier appel à la mobilisation nationale du 17 novembre, Priscillia Ludosky, 32 ans, autoentrepreneuse spécialisée dans les cosmétiques bio et l’aromathérapie, à l’origine d’une pétition pour une baisse des prix à la pompe ou encore Thomas Mirallès, 25 ans, responsable d’une entreprise de courtage en prêts immobiliers basés à Perpignan.

Mais seuls deux d’entre eux s’étaient finalement rendus à Matignon, les autres ayant reculé sous la pression de "menaces". L’un des deux à avoir fait le déplacement, Jason Herbert, 26 ans, chargé de communication dans une médiathèque à Angoulême et encarté la CFDT, avait finalement fait demi-tour, face au refus d’Edouard Philippe de filmer la rencontre. Et il avait ajouté : "Aujourd'hui nous ne sommes que deux, nous avons tous reçu d'énormes pressions. Je parle de menaces d'agression, verbales ou physiques, notre vie est en jeu". L’entretien avec le deuxième "gilets jaunes" resté anonyme n’avait ensuite abouti sur aucune mesure de la part du gouvernement, Edouard Philippe ayant simplement évoqué un échange "utile" et "intéressant".

Une nouvelle délégation au profil largement différent. La nouvelle délégation qui devait se déplacer mardi à Matignon était composée, elle, du "collectif des gilets jaunes libres", comme se désignent les dix signataires de la tribune parue dans le JDD. Aucun d’entre eux ne faisait partie de la première vague de "porte-parole". Parmi ces "gilets libres", on retrouve des figures très médiatisées du mouvement, présentes depuis le début des manifestations (Jacline Mouraud, par exemple). Mais aussi des figures beaucoup plus politisées que celle de la première délégation.

Le Toulousain Benjamin Cauchy, par exemple, commercial de 38 ans, ancien étudiant syndicaliste de l’UNI, est encarté à Debout le France et proche de mouvements nationalistes, selon France 3. Il est lui aussi l’une des premières figures du mouvement, dans la Haute-Garonne, mais avait été écarté de la première délégation, car jugé trop à droite. On peut également citer Cédric Delaire, technicien de 46 ans, partisan d’une "ligne non violente et de dialogue", "connu aussi dans l’Aisne pour être membre ou sympathisant du parti Les Républicains, tendance Laurent Wauquiez", selon La Voix du Nord. On peut, enfin, mentionner Christophe Chalençon, forgeron, organisateur de la première heure du mouvement des "gilets jaunes" dans le Vaucluse qui avait, selon la Provence, été écarté par les autres organisateurs départemental car "jugés trop proches de l’extrême droite".

" Spirale folle et angoissante : si ceux qui portent la voix des ‘gilets jaunes’ deviennent aussitôt la cible de leur colère, comment entamer les discussions qu’ils réclament ? "

Aucun "porte-parole" ne fait l’unanimité. Et c’est bien là ce qui risque de compliquer la tâche du gouvernement : les représentants des "gilets jaunes" n’ont jamais réussi à faire l’unanimité derrière eux. Critiqués par certains "gilets jaunes", les membres de la première délégation étaient accusés d’être trop radicaux, de ne pas avoir de propositions assez précises ou encore d’être trop à gauche. Benjamin Cauchy, membre des "gilets jaunes libres", avait ainsi déploré le "sectarisme" et la "radicalisation" de ces "porte-parole autoproclamés". "Il y a des millions de gilets jaunes, ces porte-parole n’ont pas le monopole du mouvement. Je veux être un gilet jaune libre, pacifiste et constructif", avait-il taclé auprès de l’AFP.

Quant aux membres des "gilets jaunes libres", qui devaient rencontrer Edouard Philippe mardi avant d'annuler, ils ne semblent pas fédérer davantage. Via son groupe Facebook "La France énervée", Eric Drouet, membre de la première vague de "porte-parole" (avant de s'en retirer de lui-même) déplorait ainsi lundi les ambitions politiques de ces "gilets jaunes libres". Selon lui, ils "s’appliquent à s’approprier le mouvement en vue de pervertir son image, son message et dans le seul but de défendre leurs intérêts personnels (politique, syndical)".

Benjamin Cauchy, pour sa part, s'est dit "menacé de mort", et indiquait dans le Figaro lundi que la réunion de mardi pouvait être annulée à cause de ces menaces et suite à des désaccords entre les "gilets jaune libres" eux-mêmes.  

Même les revendications semblent différentes : la première délégation des "gilets jaunes" réclamait (dans un communiqué) en priorité une baisse générale des taxes et une "assemblée citoyenne" pour débattre de la transition écologique. La seconde (dans le JDD) demande pèle-mêle : l'ouverture d'états généraux de la fiscalité, l'organisation de référendums réguliers sur les grandes orientations sociales et sociétales du pays ou encore l'adoption du scrutin proportionnel pour les élections législatives.

Le gouvernement promet dialogue et ouverture. "Spirale folle et angoissante : si ceux qui portent la voix des ‘gilets jaunes’ deviennent aussitôt la cible de leur colère, comment entamer les discussions qu’ils réclament ? Sans unité ni direction, une fronde ne peut finir que dans la brutalité", s’inquiète le journaliste Hervé Gattegno, dans un éditorial du JDD.

Le gouvernement, lui, promet d’accueillir tout le monde dans un esprit d’ouverture et de dialogue. Des mesures devraient être annoncées dans la semaine. Et elles n’oublieront personne, promet le Premier ministre. "L'ensemble des consultations, ainsi que celles ayant eu lieu la semaine dernière, conduiront le Premier ministre à annoncer les mesures destinées à permettre le déroulement serein de la concertation décentralisée souhaitée par le président de la République, et à assurer le maintien de l'ordre et le respect de la loi", écrivait Matignon dans un communiqué lundi. Avec l'annulation de celle de mardi, il va falloir désormais compter avec une consultation de moins.