Front national : "L’opposition entre les lignes Philippot et Bay est de plus en plus forte"

Nicolas Bay, Marine Le Pen et Florian Philippot.
Nicolas Bay, Marine Le Pen et Florian Philippot : trois des visages du Front national. © AFP
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En remettant en cause l'autorité de Marine Le Pen, Robert Ménard ravive les tensions entre les différentes lignes du parti, selon l'historienne Valérie Igounet.
INTERVIEW

Vers un début de contestation du leadership de Marine Le Pen au Front national ? Dans une lettre à ses amis, publiée par Le Figaro, mercredi, le maire de Béziers, proche du FN sans être encarté, se réjouit que du fait que "nous ne savons peut-être rien de celui ou de celle qui pourrait, dans cinq ans, porter nos couleurs". Une position forte, d'après Valérie Igounet, historienne spécialiste du Front national et auteur d'une enquête sur les villes FN avec Vincent Jarousseau, L'illusion nationale (éd. Les Arènes). Pour elle, cela témoigne des divisions croissantes au sein de la formation politique, traumatisée par l'échec de Marine Le Pen lors du débat de l'entre-deux-tours.

Pourquoi Robert Ménard a-t-il selon vous décidé d’écrire une lettre ouverte à ses amis en posant la question de la ligne du Front national ?
La question que pose Robert Ménard est la suivante : est-ce que le FN reste un parti protestataire, ou faut-il faire l’union avec certaines personnalités de droite ? Ce n’est pas rien, cette lettre est importante. Lors de la campagne présidentielle de Marine Le Pen, il avait déjà pris la parole lors d’un meeting, le 15 avril, comme Julien Sanchez (maire de Beaucaire, ndlr) et Marion-Maréchal Le Pen. 'À tous ceux qui se reconnaissent dans ce très beau mot : droite. Rejoignez-nous, ne vous laissez plus dicter vos choix par ceux qui vous ont toujours trahis', avait-il lancé. Quatre mois plus tard, dans cette lettre, sa phraséologie est abrupte.

Cette ligne de l’union des droites, justement, prend-elle de l’ampleur au FN ?
Si cette ligne est en train de prendre de l’épaisseur, elle existe depuis longtemps?. Elle avait en partie été délaissée avec le départ de Bruno Mégret en 1998. Le thème est en fait presque consubstantiel au projet du Front national, tel qu’il existait à la fondation du parti en 1972. Ces derniers temps, c’est Marion Maréchal-Le Pen qui souhaité parler à cette droite "hors-les-murs" dans un article paru sur Boulevard Voltaire, dont la rédactrice en chef n'est autre qu'Emmanuelle Ménard, députée FN et épouse de Robert Ménard. 'L’enjeu principal de cette campagne est de réussir précisément à briser l’isolement et à ramener à nous un certain nombre de personnalités de droite', y écrivait-elle.

Cette droite-là pourrait-elle répondre favorablement ?
Pas vraiment. Par exemple, Nicolas Dupont-Aignan est hésitant et son ralliement de l’entre-deux-tours de la présidentielle n’a pas été une franche réussite. De son côté, Laurent Wauquiez a encore redit qu’il était contre une alliance avec le FN. On n’en est donc pas à une union, seulement à une perspective d’union.

" Le FN n’est pas dans sa meilleure forme, même si sa dynamique, rappelons-le, n’a jamais été aussi forte "

Le parti est-il fracturé ?
L’opposition entre les lignes Philippot (qui a créé son propre mouvement au sein du FN, Les Patriotes) et Bay (secrétaire général du parti) est de plus en plus forte. Les conflits sont de plus en verbalisés au sein du parti, les deux hommes s’affrontent par communiqués ouvertes. Le FN n’est pas dans sa meilleure forme, même si sa dynamique, rappelons-le, n’a jamais été aussi forte

Le débat manqué de Marine Le Pen face à Emmanuel Macron a-t-il précipité ces divisions ?
Les personnes qu’elles devaient aller chercher, elles ne les a pas trouvées. Robert Ménard parle de quelque chose de “calamiteux”. On se rappelle de l’attitude et des imprécisions de Marine Le Pen lors du débat. Ce fut un échec pour le FN. Il semble que si le débat avait été réussi, l’histoire du parti n’en serait pas là. Ce débat a donné un coup d’arrêt à la dynamique du parti.

Cela contribue-t-il à fragiliser Marine Le Pen à la tête du Front national ?
Officiellement, Marine Le Pen n’est pas contestée. Il semblerait même que ce soit elle qui puisse assumer la présidence pendant les prochaines années. Mais les derniers mois ont été mouvementés pour le parti.

Comment la présidente du FN peut-elle retrouver son leadership ?
Elle a du mal à s’en remettre. Va-t-elle changer la dénomination de ce parti pour tourner la page d’une histoire, de ce débat ? Le temps peut l’aider. Et les droites ne sont pas en bonne santé, dans leur ensemble.

Le parti peut-il se redresser ?
Le FN n’est pas dans sa meilleure forme, même si sa dynamique, rappelons-le, n’a jamais été aussi forte. Il a raison de miser sur les élections intermédiaires, notamment les municipales de 2020, car les mairies frontistes essaiment autour d’elles. Certaines communes pourraient basculer, notamment près d’Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, où il y a une véritable effervescence autour de la municipalité et de Steeve Briois.

Même retirée de la vie politique pour l’instant, Marion Maréchal-Le Pen peut-elle faire de l’ombre, à terme, à Marine Le Pen ?
Pendant deux ans, avec Vincent Jarousseau, nous avons passé beaucoup de temps sur le terrain, dans les villes FN, pour notre livre. On ne cessait de nous parler de Marion Maréchal-Le Pen, celle qui pouvait prendre les rênes du FN. Le fait qu’elle soit partie, c’est quelque chose de positif pour Marine Le Pen et son leadership. Mais il ne faut pas oublier le patronyme de Marion et son expérience positive dans le Vaucluse. Marion Maréchal-Le Pen est une femme douée en politique. Si elle est partie, c’est peut-être pour mieux revenir…