François Fillon et le risque d’une "radicalité" assumée

François Fillon a reconnu avoir manqué avec son équipe de clarté sur la réforme de la Sécurité sociale qu'il propose.
François Fillon a reconnu avoir manqué avec son équipe de clarté sur la réforme de la Sécurité sociale qu'il propose. © THOMAS SAMSON / AFP
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Romain David , modifié à
Inflexible ou presque sur son programme, le candidat de la droite estime que sa constance sera déterminante dans la bataille pour la présidentielle.

Rien, non, il n'entend rien changer ou presque. En dépit d'un début de mea culpa mercredi au sujet de son projet de réforme de la Sécu sur lequel il a reconnu n'avoir été ni "bon" ni "clair", François Fillon tient à mettre en avant sa constance, persuadée qu'elle a été la clef de sa très large victoire à la primaire de la droite et du centre en novembre. "Je veux faire partager aux Français ma volonté d'action, pas la solder en affadissant mes convictions", a-t-il martelé mardi lors de ses vœux à la presse. "Une "radicalité" totalement assumée par le Sarthois mais qui pourrait être périlleuse sur le long terme.

Du débat avec la droite au débat avec le pays. Car l’obstination de François Fillon agace, notamment du côté des centristes. "Si on dit aux Français, ‘tout a été décidé par la primaire de ce camp’, les Français vont considérer que, d’une certaine manière, on porte atteinte à ce que doit être le débat présidentiel", a estimé mercredi sur Europe 1 le président du MoDem, François Bayrou auquel François Fillon continue de refuser un accord, et donc tout réaménagement du projet qu’il porte. Le maire de Pau avertit : "François Fillon serait bien inspiré de réfléchir à la différence qu'il y a entre le candidat d'un camp et celui qui veut être Président de tout un pays".

"Le piège des primaires". Car si durant la campagne de la primaire François Fillon a soigné sa droite pour obtenir l’adhésion de sa famille politique, et son investiture comme candidat, la présidentielle semble l’inviter à recentrer son discours dans la mesure où la victoire passe par un élargissement du socle électoral. "La campagne présidentielle rebat toujours le clivage gauche/droite", souligne Bruno Cautrès, politologue au Cevipof.

Suivant cette logique, Jean-Pierre Raffarin avait salué une "clarification" stratégique lorsque le candidat, face à la bronca autour de sa réforme de la sécurité sociale, a retiré de son site une partie de ses propositions et annoncé une conférence sur le sujet. "C’est un peu le piège des primaires. On gagne la primaire à droite. Et la présidentielle, il faut la gagner au centre", a relevé sur Europe 1 l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac. François Fillon, lui, se garde bien de laisser croire qu’il s’agit d’un recul, même stratégique, considérant avoir été "mal compris", et rejetant en partie la responsabilité sur son entourage. "Il y a parfois des porte-paroles qui sont un peu rapides", a-t-il déclaré sur BFM TV. À priori donc, pas d’inflexion.

Le "discours de vérité" et ses conséquences. Pourtant, Bruno Cautrès voit dans cette valse-hésitation autour de la Sécurité sociale un vrai repli qui trahit la difficulté de François Fillon à dépasser l’étape de la primaire. "La même chose qui l’a fait gagner triomphalement peut être un obstacle important", explique ce spécialiste, qui décrit un candidat "coincé" derrière une certaine étiquette. "François Fillon a une authenticité qui plaît, mais il a aussi une rigidité qui lui pose un problème. Il fonctionne à travers deux tutelles qu’il s’est choisi : la tutelle des marchés libéralisés et un conservatisme moral de tradition chrétienne. Entre les deux, il n’a pas beaucoup d’espace pour danser avec les Français", ajoute le politologue Stéphane Rozès, enseignant et président de la société de conseil CAP.

"Il est désormais prisonnier de la posture qu’il a revêtu lors des primaires, qui était celle du candidat avec un ‘discours de vérité’. Il a grillé une cartouche sur l’assurance maladie, car il a mesuré le potentiel de dangerosité d’une remise en cause d’un système auquel les Français sont très attachés", considère Bruno Cautrès. "S’il lâche sur un autre sujet, il va perdre sa crédibilité".

Autre risque, celui de la fracture de la droite, en ordre de bataille pour la présidentielle. Car si François Fillon a remporté la primaire de son camp avec plus de 66% des suffrages, l’adhésion des juppéistes, très proches du centre pendant la campagne, a été nécessaire au rassemblement. "Ils ne se retrouveront pas dans un programme économique et social trop radical", pointe Bruno Cautrès.

L’autre primaire. Toujours selon le politologue, François Fillon continue également de camper sur ses positions parce qu’il attend que la gauche lui présente un contradicteur. "Sa stratégie de droitisation s’ajustera certainement face à l’adversaire désigné par la primaire de la Belle Alliance populaire, et de la capacité de ce dernier à réactiver un PS mort-vivant". Dans ce cas, souligne Bruno Cautrès, François Fillon pourra toujours essayer de feinter en ajustant son calendrier de réformes à l’ensemble du quinquennat. Une manière de rendre la pilule moins amère. "Mais, conclut le chercheur, il ne faut pas s’attendre à des retouches majeures".