ÉDITO - "Pour bien mesurer la grève du 5 décembre, il faudra observer qui est là et qui n'est pas là"

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Nicolas Beytout , modifié à
La journée du 5 décembre, mobilisation quasi-générale contre la réforme des retraites, promet d'être agitée. Pour notre éditorialiste Nicolas Beytout, il conviendra d'être attentif afin d'en mesurer l'ampleur, notamment en regardant si des personnes peu habituées à manifester, comme les "gilets jaunes" en leur temps, se retrouvent dans la rue.

Seulement 10% des trains, peu de RER, 3% des TER, un mouvement très suivi à la RATP... Cela se confirme : la journée de jeudi sera noire. La France sera bloquée, désorganisée, des écoles seront fermées, des avions annulés. Mais qui sera dans la rue, exactement ? Les syndicats et les habitués des mouvements sociaux ou les gens qui, à l'image des "gilets jaunes" il y a un an, ne battent jamais le pavé ? Pour Nicolas Beytout, éditorialiste à Europe 1, c'est avant tout ce facteur qu'il faudra prendre en compte pour prendre la mesure de la mobilisation.

Il n'y aura pas de surprise le 5 décembre : les syndicats s'y sont tellement préparés qu'ils tiennent sûrement là leur démonstration de force. On pourra alors vérifier que les traditionnels verrous sociaux fonctionnent toujours bien, que les syndicats restent forts dans certains secteurs de l’économie, dans leurs bastions. Ce sera pour eux l'un de ces moments de l'histoire sociale qui nourrit l'imaginaire des syndicalistes.

Surveiller le nombre de manifestants... mais aller au-delà des chiffres

Un autre indicateur à surveiller sera celui du nombre de manifestants, car il donnera un chiffre sur "l'échelle de Richter" du tremblement de terre social. On pourra alors le rapprocher de deux grandes références dans ce domaine : les manifestations contre la réforme Fillon-Sarkozy, en 2010 (il y avait eu jusqu'à 1,2 million de manifestants), et celles contre la loi El Khomri, début 2016. Il y aura déjà là des indices pour prévoir la suite. En somme, on verra si le mouvement est déjà puissant ou pas, et s'il peut s'installer.

Mais en réalité, pour bien mesurer le phénomène, il faudra aller au-delà des chiffres, au-delà des statistiques. Il faudra observer deux choses. La première : qui est dans la rue ? Est-ce que ce seront les permanents syndicaux, les professionnels de la contestation sociale, les agents du publics, les bénéficiaires des régimes spéciaux, les professeurs ? Est-ce que ce seront les habitués des manifestations, les représentants habituels de cette France qui ne veut pas bouger ? On verra les cortèges, on comptera, bien sûr, mais avant tout, il faudra observer qui est là. Et regarder qui n’est pas là.

De la représentativité des manifestants

Car on pourra alors en conclure deux choses. Souvenons-nous des "gilets jaunes". Ceux qui sont descendus dans la rue, à cette époque, n’avaient pour beaucoup d’entre eux jamais manifesté (les "gilets jaunes de la première époque, pas les casseurs qu’ils sont parfois devenus). Ils ont représenté une France qui ne se reconnaissait pas dans les syndicats, souvent une France qui travaille, une France qui estime ne pas être protégée. Et ils ont obtenu du pouvoir ce qu’aucun syndicat n’a jamais obtenu. Est-ce que ces gens-là seront là demain ? Est-ce qu’ils défileront sur un mot d’ordre syndical ? Ce sera un point essentiel pour savoir si les grévistes sont ou non vraiment représentatifs des Français.

Le deuxième point, c'est la question du maintien de l’ordre. Traditionnellement, les syndicats assurent le service d’ordre, ils n’aiment pas les dérapages. Depuis quelques années, les casseurs ont imposé leurs méthodes et ont débordé les syndicats. Si c’est encore le cas, ce sera en partie leur échec. Un signe de plus que, à part dans leurs bastions, ils ont perdu la main.