Débat entre Macron et Le Pen ce soir : ce que votre cerveau risque d'enregistrer sans le savoir

Débat présidentiel Christophe Jakubyszyn et Nathalie Saint-Cricq
Christophe Jakubyszyn et Nathalie Saint-Cricq vont présenter le débat d'entre-deux tours.
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Les deux finalistes de la présidentielle s’affrontent mercredi lors du débat d'entre-deux-tours. Savez-vous vraiment à quoi vous allez faire attention ?

Marine Le Pen et Emmanuel Macron vont s’affronter lors d’un dernier duel. Mercredi soir, pendant plus de deux heures, les deux finalistes de la présidentielle seront face à face lors d’un débat radio-télévisé animé par les journalistes Nathalie Saint-Cricq et Christophe Jakubyszyn. Les téléspectateurs pourront évaluer les deux prétendants à la fonction suprême de l’Etat sur leur personnalité, leurs propositions ou leurs grandes envolées. Mais ce ne sont pas les seuls éléments qui auront une influence sur les esprits. Quelques détails, en effet, interpellent notre cerveau sans que l’on s’en rende forcément compte.

"Juger sur le visage est bien plus répandu qu'on ne le croit"

"De très nombreux éléments peuvent avoir une influence sans que l’on en ait conscience. Celui qui a une ‘bonne tête’ donnera l’impression que ce qu’il dit est tout à fait vrai par exemple", analyse pour Europe 1 le docteur Laurent Cohen, Professeur de neurologie à l’Hôpital de la Salpêtrière. En effet, le premier élément qui semble avoir son importance est le visage. "Un débat, c'est 70% de faciès, 15% de gestuelle et 15% de discours. La télé, ça s'écoute avec les yeux", avance ainsi le publicitaire Jacques Seguela, dans une interview à l’Express. Selon le chercheur en sciences sociales Stéphane De Bove, le cerveau peut se faire une image arrêtée d’un politique en regardant son visage pendant… 100 millisecondes seulement. "L'impression est formée et elle ne va plus bouger. Juger sur le visage est bien plus répandu qu'on ne le croit, et on le fait sans même en avoir conscience", explique-t-il dans une vidéo YouTube :

D’où, l’importance du maquillage. "Avec des grands yeux, des lèvres plus colorées, l’impression d’un visage plus ‘rond’ cela peut donner une image jeune et davantage susciter la confiance", décrypte pour Europe 1 Coralie Chevallier, chercheuse en neurosciences cognitives. A l’inverse, un maquillage austère peut donner une image plus autoritaire. Et cela n’est pas forcément négatif. "Selon de nombreuses études assez robustes, les catégories qui vivent dans un environnement difficile sont plus sensibles à cette image de leader fort, voire autoritaire. A l’inverse, ceux qui vivent dans un environnement plus aisé font plus attention à la confiance que suscite le candidat et écouteront ainsi davantage celle ou celui qui aura un air plus juvénile", poursuit-elle.

La taille produit d’ailleurs le même effet : plus un candidat apparaîtra grand à l’image, plus il donnera l’image d’un "leader fort". "Celui qui apparaît à la télé comme plus ou moins grand sera donc, selon les cas, avantagés ou défavorisés", résume Coralie Chevallier.

Gestuelle : chaque détail compte

"On peut considérer que la gestuelle relève de la même logique. Celui qui aura des gestes plus saccadés, le point et la mâchoire serrés, parlera peut-être davantage aux téléspectateurs qui attendent un président autoritaire. Les autres seront peut-être plus attentifs à des gestes calmes et toutes sortes d’indices qui montrent que cela peut être une personne de confiance", poursuit la spécialiste.

" Les gestes de la main captent l’attention et aident à mémoriser "

La maîtrise des gestes doit, donc, se faire dans les moindres détails, sinon le cerveau n’accroche pas. "Les gestes de la main accompagnent les paroles et renforcent l’impact de la communication. Ils captent l’attention de ceux qui écoutent et les aident à mémoriser ce qui est dit", décrypte, par exemple, le spécialiste de la symbolique des gestes Joseph Messinger, dans Le langage des gestes pour les nuls. "La force des gestes peut amener le téléspectateur à soutenir un argument, des mouvements contrôlés suggèrent que le chemin ne sera pas un long fleuve tranquille", suggère encore Peggy Hackney, spécialiste du langage corporel à l’université de New York cité par Le Monde.

De manière générale, les électeurs sont attentifs à l’aspect de sincérité. Un sourire naturel, par exemple, aura plus d’impact qu’un visage crispé. "Celui qui donne l’impression de parler du fond du cœur sera plus écouté que celui qui récite son texte", enchaîne Coralie Chevallier.

Lumière, décor, public : l’importance de la comparaison

"La plupart du temps, chaque candidat a bien travaillé son maquillage et sa posture : ils sont droits, ils ont la voix qui porte, et il est difficile de les différencier", nuance pour sa part Albert Moukheiber, chercheur en psychologie cognitive, interrogé par Europe 1. Quid, donc, des éléments plus extérieurs aux candidats ? S’ils n’ont pas une importance capitale, le décor, la luminosité du plateau ou la présence d’un public derrière le candidat peuvent avoir un impact, surtout si un élément défavorise un candidat plutôt qu’un autre. "Une lumière plus sombre sur un candidat peut inconsciemment perturber l’attention du téléspectateur, idem si un membre du public gesticule pendant que le candidat parle. Mais cela a uniquement un impact si l’autre candidat n’est pas non plus défavorisé : l’important, c’est la comparaison", poursuit ce psychologue clinicien.

" Si un candidat se contredit, le cerveau risque de ne pas voir l’entourloupe "

Reste une question : à quel point tous ces éléments comptent-ils ? Selon Albert Moukheiber, ils ont peu d’impact. "La plupart des téléspectateurs arrivent avec des croyances préétablies et des attentes. Si vous pensez que le candidat est un pourri, la lumière, la position ou la posture ne changeront pas votre jugement. Si vous attendez des prises de parole sur le pouvoir d’achat, le handicap ou l’éducation, vous serez attentif surtout à cela", assure ce chercheur. Selon lui il importe avant tout de ne pas s’arrêter au débat en lui-même.

"Ce que le cerveau retient sans s’en rendre compte, c’est surtout ce que l’on appelle les ‘erreurs rhétoriques’. Si un candidat se contredit, s’il avance des chiffres faux ou des ‘fake news’ mais que son argumentation paraît cohérente, le cerveau risque de ne pas voir l’entourloupe", insiste-t-il. Et de conclure : "D’où l’importance des analyses faîtes par les médias après le débat. Un téléspectateur attentif aux analyses et à la vérification des faits peut changer d’avis sur un candidat d’un débat à l’autre : son cerveau est plus attentif aux erreurs lors du second débat que lors du premier". Ce mercredi soir, il s’agira malheureusement du dernier débat. Les électeurs n’auront plus que trois jours pour traquer les "erreurs rhétoriques" de leur candidat, avant le second tour de l’élection dimanche.