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A.D
Le géographe établit une carte politique où la métropole s'oppose à la périphérie, où la classe moyenne a disparu, ce qui fait que les citoyens ne se reconnaissent plus dans un clivage gauche-droite.
INTERVIEW

Et si l'affrontement Le Pen-Macron, hors des partis "classiques", était le symbole des fractures territoriales françaises, avec d'un côté les centres urbains et de l'autre les périphéries ? Et si cette nouvelle composition politique était le reflet d'un changement profond de la société ? C'est en tout cas la thèse du géographe et essayiste Christophe Guilluy, qui était l'invité dans C'est arrivé cette semaine.

Un virage enclenché il y a trente ans. Le duel présidentiel s'est cristallisé sur le terrain d'affrontement de l'usine Whirlpool à Amiens. "On voit des ouvriers et ouvrières qui ont encore majoritairement voté pour le Front national (...) Mais cela fait très longtemps que le clivage 'en haut/en bas' est présent et n'arrive pas à se représenter par les partis politiques classiques. C'est ça l'implosion d'aujourd'hui", juge Christophe Guilluy. Si l'épisode Whirlpool illustre le problème, "la recomposition politique à laquelle on assiste est une recomposition économique, territoriale et sociale, qui a été enclenchée dans les années 80", estime Christophe Guilluy. "Il faut remonter au virage libéral de la gauche pour comprendre que la classe ouvrière vote FN". Le phénomène se retrouve à l'échelle mondiale, selon lui. Ainsi Trump serait la conséquence de la financiarisation de l'économie américaine sous Clinton et le Brexit, le résultat du passage Thatcher trente ans plus tard.

Métropoles et périphéries.L'affrontement Le Pen-Macron est pour lui presque caricatural. "On a les métropoles mondialisées qui vont voter en masse pour Macron", à l'inverse des classes populaires qui "ont joué le jeu de la mondialisation, dans les années 70, 80, 90, 2000" et qui font un constat amer : "le modèle économique ne leur a pas été très favorable en termes de niveau de vie et de situation dans l'espace. La France périphérique, ce sont les territoires qui créent de moins en moins d'emplois", relève-t-il. Pour le spécialiste, l'opposition "Est urbain et industriel" et "Ouest rural et tertiaire" n'est pas fausse mais la dichotomie a vécu. "Il faut zoomer. Si on prend une région très Macron - la Bretagne -, en réalité, c'est très Macron à Rennes et un peu moins dans les zones rurales." Même nuance à l'Est plutôt le Pen. "Nancy c'est un peu moins Le Pen que les périphéries. Une logique périphérie-métropole qui se retrouve dans le monde entier, souligne Christophe Guilluy.

La classe moyenne disparue. Le choc de cette présidentielle a été l’éjection des paris traditionnels qui illustre ce que Christophe Guilluy considère comme le grand événement des trente dernières années en Occident : "la disparition de la classe moyenne", accompagnée d'une "lutte des classes invisible et inconsciente." "Le PS ou les Républicains ont été conçus par et pour la classe moyenne. Une classe moyenne qui n'existe plus, de fait. La droite résiduelle est incarnée selon lui par "les retraités et la bourgeoisie traditionnelle", quand la gauche englobe "la fonction publique plus les bobos". "L'intelligence de Macron est d'avoir compris que ça (la recomposition) se passait aujourd'hui, au-delà du clivage gauche-droite."