Baisse de la CSG : Ayrault, une victoire en trompe-l’œil ?

© PATRICK KOVARIK / AFP
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L'ancien Premier ministre est parvenu à faire voter jeudi un amendement sur la baisse de la CSG pour les petits salaires. Mais à peine votée, la mesure a déjà du plomb dans l’aile.

Retour réussi pour Jean-Marc Ayrault. Enfin, presque. L’ancien Premier ministre, très discret depuis son départ de Matignon en mars 2014, est parvenu jeudi à faire adopter un amendement qu’il défend depuis un bon mois sur la baisse de la CSG sur les petits salaires, jusqu’à 1,3 fois le Smic. Une victoire donc, mais en apparence seulement. Car entre réticence du gouvernement et d’une partie du PS, et risque d’inconstitutionnalité, la mesure semble enterrée avant même de voir le jour.

Un gouvernement hostile, mais qui a laissé faire. D’abord, c’est peu de dire que le gouvernement a rechigné. Avec retenue bien sûr, car il fallait ménager Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, tout de même. "Je suis pour une forme de stabilité aujourd'hui sur le plan fiscal", s’est ainsi contenté de répondre Emmanuel Macron mardi sur Europe 1. "Je pense que la CSG, elle a un intérêt, c'est que tout le monde contribue à un taux qui est limité", avait argumenté du bout des lèvres le ministre de l’Economie. Même prudence du côté de Manuel Valls deux jours plus tôt. "Nous allons examiner avec beaucoup d'attention, y compris sur les risques constitutionnels, la proposition de Jean-Marc Ayrault et de Pierre-Alain Muet, qui a pour objectif de s'appliquer au 1er janvier 2017, donc nous avons un peu de temps devant nous pour en débattre", avait éludé le Premier ministre sur Europe 1. Pas d’enthousiasme débordant, donc.

Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault ont finalement trouvé un "gentleman agreement" mardi matin à Matignon, où l’actuel Premier ministre a rencontré l’ancien. Sans le soutenir, le gouvernement n’allait finalement pas s’opposer à l’amendement, premier pas selon lui vers une fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu, fusion dont l’exécutif ne veut pas entendre parler. D’où cette prise de position de Michel Sapin jeudi soir lors du vote à l’Assemblée : "le gouvernement ne peut pas être favorable à cet amendement. Je m’en remets donc au vote de votre assemblée. Mais en tout état de cause, (…) s’il était rejeté, cela vaudrait tout de même la peine de continuer à travailler sur le sujet parce qu’il renvoie à des principes importants, et s’il était adopté, il conviendrait évidemment, vous l’avez dit vous-même, monsieur le Premier ministre Ayrault, de s’atteler à surmonter certains des inconvénients du dispositif aujourd’hui présenté". Limpide…

Un hémicycle clairsemé. Certes, l’examen du projet de loi de Finances est long et fastidieux et tous les députés ne sont pas présents pour l’étude de tous les amendements examinés. N’empêche, Jean-Marc Ayrault aurait sans doute pu espérer mieux. Son amendement avait en effet été signé par près de 160 députés PS, et avait bénéficié d’une importante couverture médiatique. Mais au final, seuls 59 élus ont pris part au vote. 31 députés, tous socialistes, ont voté pour, contre 21. Et parmi eux, 7 députés PS. Tout sauf un triomphe, donc.

Une mesure déjà condamnée. Si finalement le gouvernement a laissé faire, c’est qu’il a obtenu que l’application de la mesure soit reculée au 1er janvier 2017. D’ici là, suffisamment d’obstacles se dressent sur la route de l’amendement pour qu’il ne soit jamais appliqué. "A l’évidence, aujourd’hui, le dispositif, techniquement, n’était pas bien ficelé. C’est pour cela que nous l’avons renvoyé à un travail d’impact, d’étude", a admis Bruno Le Roux, le président du groupe PS à l’Assemblée, vendredi matin sur Europe 1. Un sorte d’enterrement de première classe, puisqu’après ce travail d’étude, il y aura largement temps de supprimer la mesure lors du projet de loi de Finances 2017, dans un an.

Cela ne sera d’ailleurs pas nécessaire, car l’amendement risque tout bonnement de ne pas passer l’obstacle du Conseil constitutionnel. "Je pense qu’il y a un problème de constitutionnalité sur cet amendement", a d’ailleurs affirmé Bruno Le Roux. L’exemple de 2000 n’incite en effet pas à l’optimisme. A l’époque, une mesure similaire avait été censurée par les Sages au motif qu’elle constituait "une rupture caractérisée de l’égalité des contribuables". Car la CSG est un prélèvement à taux fixe, et non progressif. Il n’y a pas de raison que le Conseil constitutionnel statue différemment aujourd’hui. Réponse probable fin décembre.

"Tout est perdu, fors l’honneur". Finalement, tout aura été fait pour que Jean-Marc Ayrault ne perde pas la face. "Je n’entendais pas faire battre un ancien Premier ministre en séance", a confessé Bruno Le Roux sur Europe 1. Le retour de l’ancien hôte de Matignon peut ainsi être présenté comme une réussite, et l’ancien maire de Nantes peut conserver intactes ses nouvelles ambitions politiques. Il n’a ainsi jamais caché que si d’aventure Claude Bartolone remportait les régionales en Ile-de-France, il se verrait bien sur le Perchoir en président de l’Assemblée nationale. "Tout est perdu, fors l'honneur", comme disait François 1er.