Sarkozy et les magistrats, un désamour ancien

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La grogne des magistrats prend racine dans plusieurs incidents avec le Président depuis 2005.

La désaffection de Nicolas Sarkozy envers les magistrats ne date pas de l’affaire de Pornic. Depuis au moins 2005, l’actuel chef de l’Etat s’en est pris à plusieurs reprises au corps judiciaire, entraînant l’ire d’un monde d’ordinaire peu enclin à la révolte. Entre réactions à des faits divers et action en tant que Président de la République, Nicolas Sarkozy n’a pas été tendre avec le monde judiciaire.

La première charge date de juin 2005. Nicolas Sarkozy, pas encore élu Président, œuvre alors place Beauvau, quand une jeune femme, Nelly Crémel, est assassinée dans une forêt de Seine-et-Marne, par deux hommes, dont l’un est en liberté conditionnelle. Réaction du ministre de l’Intérieur : le juge qui a remis le meurtrier présumé en liberté doit "payer pour sa faute". "M. Sarkozy ferait bien de réviser son Code de procédure pénale", répond le magistrat incriminé dans Le Parisien. "Deux juges d'application des peines et un conseiller de la cour d'appel ont pris la décision ensemble. Le parquet ne s'y est pas opposé, (…) les expertises psychiatriques étaient très favorables. Le prisonnier avait le droit de sortir."

"Laxisme" et "petit pois"

Un an plus tard, en septembre 2006, Nicolas Sarkozy cible non pas un magistrat en particulier, mais tout un tribunal. En l’occurrence celui de Bobigny, en Seine-Saint-Denis,, accusé de "laxisme" vis-à-vis des jeunes délinquants. "Si on ne les met pas en prison et si on ne tire pas de conséquences, il n’y a pas de chances que ça marche", lâche-t-il devant les caméras de France 3. Fait rarissime, le premier président de la Cour de Cassation, Guy Canivet, monte au créneau en personne pour dénoncer "une atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire" et à la "séparation des pouvoirs".

Pour les principaux visés, ces charges ne doivent rien au hasard. "Dès qu’il a voulu devenir Président, il a fait campagne contre les juges", accuse Benoît Hurel, secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature (SM), joint par Europe1.fr. "C’est clairement une stratégie politique."

En mai 2007, Nicolas Sarkozy arrive à l’Elysée. Les magistrats qui espéraient un changement de comportement à leur égard déchantent très vite. Evoquant en octobre 2007 la nomination de Rachida Dati à la Justice, Nicolas Sarkozy parle "diversité" sur France 2. Et à propos des magistrats : "je n'ai pas envie d'avoir le même moule, les mêmes personnes, tout le monde qui se ressemble aligné comme des petits pois, la même couleur, même gabarit, même absence de saveur". Les "petits pois" apprécient modérément.

Une fois au pouvoir, Nicolas Sarkozy lance la réforme de la carte judiciaire. Bilan : 178 tribunaux d'instance et 23 tribunaux de grande instance supprimés… et l’ensemble du personnel judiciaire dans la rue. Sans succès. La réforme est effective depuis le 1er janvier 2010. Le chef de l’Etat a également lancé plusieurs pistes pour l’avenir. Parmi les plus spectaculaires figurent la suppression du juge d’instruction ou l’introduction de jurys populaires dans les tribunaux correctionnels.

"Il a choisi d’opposer le peuple aux juges"

Autant de projets que les magistrats interprètent comme une défiance vis-à-vis de leur profession. Une défiance calculée pour certains. "Au moment où il est dans un trou d’air électoral, il pense avoir un intérêt à clouer ainsi au pilori la magistrature", estime Benoît Hurel. "Sur cette question, il est très facile de cliver, et il a clairement choisi d’opposer le peuple aux juges", affirme-t-il.

L’action de Nicolas Sarkozy à L’Elysée n’empêche pas les charges ponctuelles du style de celles qu’il menait avant 2007, quand il convoitait la présidence. Au lendemain de la remise en liberté du second braqueur présumé du casino d’Uriage, point de départ des très violentes émeutes de Grenoble, à l’été 2010, le chef de l’Etat juge cette décision "difficilement compréhensible".

Dernier épisode en date, l’affaire du meurtre de Laëtitia. Son assassin présumé, Tony Meilhon, avait été remis en liberté sans suivi. "Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s'assurer qu'il sera suivi par un conseiller d'insertion, c'est une faute", a déclaré à Orléans le chef de l'État, promettant des sanctions. A cette attaque en règle, les magistrats répondent "manque de moyens". Et se mobilisent comme rarement.