Usure, plans sociaux, précarité : pourquoi les effectifs de journalistes se réduisent

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Mathilde Durand
En 2020, le nombre de cartes professionnelles de journaliste a fortement diminué : 892 cartes en moins, selon les chiffres officiels présentés durant les Assises du journalisme à Tours. "On a une augmentation de la précarité, notamment des pigistes", analyse Jean-Marie Charon, sociologue. 
INTERVIEW

Il y a quelques jours s'est tenue la treizième édition des Assises du journalisme, à Tours. L'occasion, comme chaque année, de publier le baromètre social de la profession. Selon les chiffres de la CCIJP (Commission de la Carte de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels), le nombre de journalistes recule pour la onzième année consécutive. Mais cette année, le décrochage est beaucoup plus important : près de 892 cartes professionnelles en moins par rapport à 2019. Jean-Marie Charon, sociologue, chercheur au CNRS et à l'EHESS, spécialiste dans l'étude des médias et du journalisme, décrypte ce phénomène sur Europe 1.

Une profession qui attire toujours

"La profession embauche peu, donc les demandes sont moins nombreuses. Et il y a un phénomène qu'on n'a pas en tête quand on lit, quand on écoute ,c'est que tous les journalistes qui existent ne sont pas forcément salariés à plein temps, on a une augmentation de la précarité, notamment des pigistes", analyse-t-il. Ce statut particulier concerne un journaliste sur quatre. "Ils ont la carte de presse mais n'ont pas la sécurité de retrouver régulièrement leurs activités", ajoute le chercheur. 

La baisse du nombre de journalistes n'est pourtant pas liée à l'attrait pour la profession, selon le sociologue. "Si on se réfère aux candidats des écoles de journalisme, on voit que l'engouement est toujours très important. Si on se réfère à des entretiens auprès des jeunes journalistes, des futurs journalistes, il y a toujours cette attraction pour le métier, souvent assez idéalisé", assure Jean-Marie Charon. "Le problème c'est que pour obtenir la carte de presse il faut être embauché dans une entreprise ou au minimum avoir un volume de piges qui soit suffisant pour que la commission vous reconnaisse un journaliste professionnel à part entière."

Un secteur qui n'embauche pas

Or le secteur, déjà fragilisé, a subi de plein fouet la crise du coronavirus. La diminution des revenus publicitaires et la fermeture des points de vente pour la presse écrite ont précipité la chute de nombreux médias. Les plans sociaux se sont multipliés ces dernières années dans les quotidiens régionaux (Paris Normandie, France Antilles, Paris Turf), mais aussi dans l'audiovisuel (Altice annonçait cet été le départ de 245 CDI et la suppression de 40% des piges).

"Depuis quelques années, on avait le sentiment que la presse quotidienne nationale avait réussi à prendre son tournant numérique de manière plus satisfaisante", indique le sociologue. En réalité, les années 2000 ont été marqué par de nombreuses suppressions d'emploi, qui se poursuivent encore aujourd'hui. Le Figaro , par exemple, a récemment annoncé se séparer d'un quart de son service des sports. 

Une grande enquête 

Usure des professionnels, manque de rémunération, horaires à rallonge ou simplement manque de places, de nombreux journalistes ont récemment témoigné de leur volonté de quitter la profession. Pour la prochaine édition des Assises du journalisme, en 2021, le sociologue Jean-Marie Charon accompagné par Adénora Pigeolat, s'est lancé dans une enquête sur ces départs, afin d'en comprendre les origines. "Aujourd'hui on sait qu'une moyenne de carrière chez un journaliste, c'est 15 ans", analyse le chercheur.

"Nous nous sommes dit, essayons de voir si à partir d'une annonce sur Twitter on peut faire cette enquête sur les partants. En l'espace de quelques jours, on a une quarantaine de journalistes qui nous ont dit banco !", ajoute-t-il. Ils présenteront les résultats l'année prochaine, espérant une enquête plus large et plus quantitative par la suite.