"Tu seras hétéro mon fils" : dans l'enfer des thérapies de conversion aux Etats-Unis

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Mathilde Durand
Dans un documentaire glaçant, la journaliste et réalisatrice Caroline Benarrosh raconte à travers le témoignage de trois jeunes hommes l'enfer des thérapies de conversion aux Etats-Unis. Ils racontent l'horreur de ces séances de thérapie dans des cabinets ou des internats, dont l'objectif est de changer l'orientation sexuelle de jeunes mineurs.
INTERVIEW

"Tu deviendras hétéro mon fils". Le documentaire choc de la journaliste et réalisatrice Caroline Benarrosh est diffusé ce mardi sur France 5 à 20h50, dans le cadre d'une soirée Le Monde en face, présentée par Marina Carrère d'Encausse. Le récit glaçant et édifiant de trois jeunes victimes de thérapies de conversion destinées à les "guérir" de leur homosexualité. Aux Etats-Unis, Mathew Shurka, Jordan Kramer et Lucas Greenfield ont été envoyés par leurs parents dans des cabinets ou des internats spécialisés, afin de changeur leur orientation sexuelle. Entre sévices, brimades et propagande, ils gardent des séquelles profondes de ces années d'enfer.

Des profils différents

À l'origine de cette enquête, un film, "Come as you are", qui raconte le parcours d'une jeune fille surprise à l'arrière d'une voiture avec une de ses camarades. Ses parents l'envoient dans un centre de thérapie de conversion et ce scénario donne à Caroline Benarrosh l'envie d'enquêter sur ce phénomène, de grande ampleur aux Etats-Unis. "Les Etats Unis sont déchirés entre deux types de société, une Amérique plutôt basée sur une morale judéo-chrétienne un peu rétrograde et une autre Amérique plutôt moderne. Ces thérapies de conversion racontent le schisme entre ces deux Amériques là", explique la réalisatrice sur Europe 1. 

Au cours de son enquête, Caroline Benarrosh tombe sur des centaines de récits. Après beaucoup d'échanges et de conversations afin de mettre les témoins en confiance, elle décide de raconter les histoires de ces trois protagonistes, victimes de ces thérapies, aux profils différents. "Mathew vient de l'Etat de New-York, d'une famille aisée, pas très religieuse, d'origine juive. Jordan vient de la Bible Belt, dans le sud des Etats-Unis, au contraire une famille très religieuse. Et Lucas, lui, vient de Floride. Il n'y a pas de profil type et c'est cela qui était intéressant justement. Ils peuvent être blancs, noirs, hispaniques, venir de grandes villes, de petites villes, de différents milieux sociaux", raconte-t-elle.

Sévices psychologiques et physiques, abus sexuels à répétition 

Les jeunes hommes se livrent ainsi sur ces années d'horreur et racontent l'impensable. Mathew Shurka, par exemple, a subi sept années de thérapie. Le professionnel qu'il rencontre explique son homosexualité par la trop forte influence des femmes de sa famille. Le jeune passe ainsi trois ans sans adresser la parole à sa mère et à ses sœurs. "Il avait envie de faire plaisir à son thérapeute, envie de faire plaisir à son père. On lui a répété pendant des mois et des années que s'il ne changeait pas, s'il restait homosexuel, il allait mourir d'une maladie, il allait rater sa vie, donc il a tout accepté", explique la journaliste. "Il a même accepté de prendre du viagra pour avoir des relations sexuelles avec des femmes."

Quant à Jordan, un thérapeute lui imposait de lire de la littérature érotique, dans laquelle des hommes âgés violaient de jeunes adolescents. Une vision de la communauté homosexuelle qui a profondément marqué l'adolescent, âgé de 13 ans à l'époque des faits. 

Outre les séances de thérapies de conversion, certains mineurs sont également envoyés dans des camps dans lesquels ils sont enfermés. De ses 13 à ses 15 ans, Lucas est baladé entre plusieurs de ces établissements, dont une école en Alabama. Il subit des viols et abus sexuels au quotidien de la part des pasteurs qui encadrent les jeunes adolescents. Des sévices destinés à dégoûter les jeunes garçons des autres hommes.

"Il a été violé, il a aussi été enfermé pendant trois mois, nu dans une pièce de la taille d'un placard où il ne mangeait pas à sa faim. Cela a été pour lui le pire sévices", évoque Caroline Benarrosh. "Cela a été vraiment des années en enfer." Grâce à l'acharnement d'un policier, l'établissement a été fermé. Revenue sur les lieux avec Lucas, la réalisatrice raconte la résilience du jeune homme. "Dès qu'on est arrivé, la première chose qu'il m'a dite c'est 'Regarde, aujourd'hui l'école tombe en ruine et moi je porte un costume'. Il avait fait du chemin depuis."

Le combat pour une interdiction de ces pratiques 

Dans son documentaire, Caroline Benarrosh raconte aussi la résilience, le chemin parcouru par ces trois hommes qui tentent de s'en sortir. Mathew, par exemple, est désormais en couple et a dédié sa vie à la lutte contre les thérapies de conversion. Il a déjà réussi à les faire interdire dans une dizaine d'Etats. Malgré tout, elles sont toujours en vigueur dans une quarantaine d'entre eux.

Un combat partagé par bien d'autres, tel que l'activiste Warren Besen, qui apparaît à la fin du film et qui interroge les anciennes figures des thérapies de conversion. "Tous aujourd'hui reconnaissent que cela ne marche pas, qu'ils n'ont jamais changé de sexualité. Au pire ils ont renoncé à toute forme de sexualité pendant un moment, mais on ne change pas de sexualité", poursuit la documentariste.