Soupçons d’attaque chimique en Syrie : "Dans l'ambulance, ça sentait le chlore"

© Ammar SULEIMAN / AFP
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Didier François, Aude Vernuccio et Jihane Bergaoui , modifié à
Alors que le régime de Bachar al-Assad bombarde activement la Ghouta orientale, plusieurs cas de suffocation, cohérents avec une attaque au gaz de chlore, ont été rapportés par des responsables médicaux joints par Europe 1.
TÉMOIGNAGE

Et maintenant le gaz. Le pouvoir syrien est soupçonné d'avoir lancé une attaque chimique dans la Ghouta orientale, une enclave rebelle à l'est de Damas qui est plongée depuis une semaine sous un déluge de feu. Alors que l'Observatoire syrien des droits de l'homme rapporte quatorze cas de suffocation, un médecin syrien d'un hôpital de la Ghouta, joint par Europe 1, livre lundi matin un témoignage édifiant sur la situation de plusieurs patients. 

Plusieurs cas de suffocation

"Hier soir vers 18 heures, nous avons reçu des adolescents, des femmes et des enfants après un bombardement. Ils avaient les muqueuses et les yeux irrités, et ils avaient la nausée. Ce sont les symptômes d'une exposition à un gaz, nous pensons qu'il s'agit du chlore. Ça sentait dans l'ambulance", explique ce spécialiste par téléphone, tandis que gronde derrière lui le bruit des bombardements. "Un enfant de trois ans est mort", rapporte-t-il. "Je me sens sans espoir aujourd'hui, car je n'ai rien pu faire pour sauver cet enfant, le monde entier n'a rien pu faire pour le sauver... Il vivait à la Ghouta, et c'est la seule raison pour laquelle il a été tué", déplore encore le médecin. 

L'un de ses collègues assure avoir traité en tout dix-huit patients pour des symptômes de suffocation cohérents avec une exposition au chlore. À cela s'ajoute plusieurs récits de sauveteurs et d'ambulanciers qui assurent avoir été exposés à un nuage sentant le chlore lors d'une intervention sur un bombardement dans le secteur de Chifouniyah. 

Si le régime de Damas reste muet sur le sujet, le ministère russe de la Défense, soutien de Bachar al-Assad, accuse les islamistes d'avoir monté une provocation avec du matériel toxique, en s'appuyant notamment sur le fait que le centre médical qui a lancé l'alerte dépend du groupe Jaich al-Islam ("l'armée de l'islam", ndlr), qui gère l'ensemble de la zone bombardée.

Une trêve "sans délai"... et sans effet

Malgré la proclamation d'une trêve internationale par le Conseil de sécurité de l'ONU, le régime poursuit le mitraillage de la Ghouta orientale, qui a fait jusqu'à présent plus de 530 morts chez les civils. Des discussions ont eu lieu dimanche soir entre Emmanuel Macron, Angela Merkel et Vladimir Poutine pour tenter de faire respecter le cessez-le-feu. Alors que le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian est attendu mardi en Russie pour poursuivre les discussions, sur place, les habitants sont plongés dans un véritable enfer, comme le relate Mohayad, un père de famille coincé dans la Ghouta, également joint par Europe 1.

"Je vis dans un sous-sol avec ma famille et mes voisins depuis une semaine maintenant. Nous sommes environ soixante. On mange dans le sous-sol, on y dort. Nous sommes pris, nous ne pouvons pas en sortir, c'est vraiment misérable", rapporte-t-il. L'ONU a voté un cessez-le-feu mais franchement, pour 'l'instant c'est une blague ! Très tôt, on a été réveillé par le bruit des bombes, des hélicoptères et des raids aériens. C'est même pire, il y a une escalade de violences. Nous devons évacuer immédiatement les blessés hors de la Ghouta orientale, nous demandons la fin de ce bain de sang, la fin de ce massacre, de cette folie !", lâche-t-il.

Le régime de Damas a encore besoin de quelques jours pour atteindre les objectifs qu'il s'est fixé avec l'appui de l'état-major russe, à savoir faire sauter plusieurs verrous stratégiques dans la zone pour affaiblir les forces rebelles. La Russie a pris en compte ces impératifs opérationnels lors des discussions du Conseil de sécurité de l'ONU, où elle dispose d'un droit de veto. Les Occidentaux ont du accepter un compromis pour avoir une résolution qui appelle certes à "une trêve sans délai", mais qui n'exige pas de cessez-le feu immédiat. Il faut donc désormais que les différentes parties prenantes s'entendent sur les modalités d'application de cette trêve, tandis que ces atermoiements laissent le loisir aux forces loyalistes de terminer, sans entrave, leur besogne.