Pourquoi le livre de Woodward sur Trump est à prendre (très) au sérieux

Bob Woodward
Le journaliste d'investigation américain Bob Woodward s'apprête à publier un livre explosif sur la présidence de Donald Trump. © KENA BETANCUR / AFP
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"Peur : Trump à la Maison Blanche", rédigé par le journaliste à l'origine des révélations du Watergate, est le résultat de centaines d'heures d'entretien avec des personnalités du premier cercle de Trump.
ON DÉCRYPTE

Les livres sur Donald Trump se suivent et semblent se ressembler. Tout comme l'avait fait son confrère Michael Wolff avec Fire and Fury, le journaliste américain Bob Woodward s'apprête à publier un ouvrage sur les dessous de la présidence du milliardaire. Peur : Trump à la Maison Blanche, à paraître le 11 septembre, décrit en plus de 400 pages une administration débordée par un chef de l'État imprévisible et intenable, véritable menace pour sa sécurité et celle du pays.

L'exercice trumpien du pouvoir. Au fil des pages, partiellement déflorées par le Washington Post mardi, le célèbre journaliste américain, à l'origine avec son confrère Carl Bernstein de l'enquête sur le Watergate qui avait entraîné la chute de Richard Nixon, s'intéresse à plusieurs scènes très précises illustrant l'exercice trumpien du pouvoir. On apprend ainsi qu'à la veille d'un bombardement de représailles sur la Syrie, Donald Trump aurait dit, à propos de Bachar Al-Assad : "Tuons-le putain ! Allons-y ! On leur rentre dedans et on les bute." Avant que son secrétaire à la Défense, James Mattis, n'apaise la situation une fois le téléphone raccroché. "On ne va rien faire de tout ça, on va être beaucoup plus mesurés." Le même James Mattis a eu des mots très durs à l'égard de son patron. "Le secrétaire à la Défense ne choisit pas toujours le président pour lequel il travaille", a-t-il confié à un ami, selon Bob Woodward. À un autre de ses proches, il aurait raconté que Donald Trump agit "comme un élève de CM2 ou de 6e."

"Foutu traquenard".Bob Woodward décrit aussi une séance d'entraînement que John Dowd, ancien avocat du président américain, aurait fait passer à ce dernier en janvier dernier pour le préparer à l'interrogatoire du procureur spécial Robert Mueller, qui enquêtait sur l'ingérence russe dans la présidentielle. Au bout de 30 minutes, Donald Trump perd ses nerfs. "Ce truc est un foutu traquenard", scande-t-il. "Je n'ai pas vraiment envie de témoigner."

" Il est inutile d'essayer de le convaincre de quoi que ce soit. Il a déraillé, on est chez les fous, je ne sais même pas ce que nous faisons là. C'est le pire boulot que j'ai jamais eu. "

Les insultes volent. Plus loin, c'est à son ministre de la Justice Jeff Sessions que le chef de l'État s'en prend violemment. "Ce mec est un attardé mental", dit-il, toujours selon Bob Woodward. "C'est un sudiste débile. Il ne pourrait même pas être l'avocat de campagne d'une seule personne en Alabama." Les insultes volent aussi dans l'autre sens, les membres de l'administration Trump n'en étant pas avares dès qu'il s'agit de parler de leur patron. "C'est un idiot", assène ainsi John Kelly, chef de cabinet de Donald Trump, au cours d'une réunion en petit comité. "Il est inutile d'essayer de le convaincre de quoi que ce soit. Il a déraillé, on est chez les fous, je ne sais même pas ce que nous faisons là. C'est le pire boulot que j'ai jamais eu." Une autre fois, le même John Kelly aurait jugé Donald Trump "déséquilibré".

Des efforts pour contenir Trump. Plus globalement, Bob Woodward raconte les inlassables efforts du personnel de la Maison-Blanche pour contrôler les humeurs et les élans du locataire du Bureau ovale. Cela inclut notamment de comploter pour empêcher certains documents d'atterrir sur son bureau, afin que Donald Trump ne les voit ni ne les signe. Reince Priebus, prédécesseur de John Kelly en tant que chef de cabinet, avait l'habitude de surnommer la chambre présidentielle, d'où le chef de l'État regarde la télévision et tweete, "l'atelier du diable". Les heures matinales ou la soirée du dimanche, lorsque le président a l'habitude de déclencher des tempêtes sur les réseaux sociaux ? Ce sont les "heures du crime".

Notoriété et crédit journalistique. Si cette vaste enquête prend une saveur particulière, cela doit évidemment beaucoup à son auteur. La notoriété et le crédit journalistique accordés à Bob Woodward, auteur de livres non seulement sur Nixon, mais aussi Bush Jr et Obama, amplifient en effet l'écho de l'ouvrage. Le journaliste d'investigation a par ailleurs longuement décrit ses méthodes d'enquête à… Donald Trump lui-même. Les deux hommes se sont en effet parlé début août, lorsque le président américain a appelé le journaliste. Jusqu'ici, le second avait passé des mois à solliciter un entretien avec le premier, en vain.

" J'ai obtenu beaucoup de renseignements et de documents. Il n'y a rien dans ce livre qui ne vienne pas de sources de première main. "

Des heures d'entretien. Dans cette conversation longue de 11 minutes, on entend Bob Woodward expliquer avoir pris cette investigation "très au sérieux", mettant un point d'honneur à "aller parler aux gens, les voir hors de la Maison-Blanche et de leur bureau". "J'ai obtenu beaucoup de renseignements et de documents", souligne celui qui a enregistré des centaines d'heures d'entretiens. "Il n'y a rien dans ce livre qui ne vienne pas de sources de première main."

Un profil différent de celui de Wolff. Avec le livre de Michael Wolff, Fire and Fury, la Maison-Blanche avait réussi à minimiser les dégâts, notamment en pointant quelques lacunes de l'auteur, également dénoncées par certains ses propres confrères. Absence de recoupage des sources, éditorialiste mondain plus que journaliste d'investigation, Michael Wolff s'était illustré par le passé par l'emploi de méthodes parfois douteuses ou peu fiables. Cette fois-ci, Donald Trump a suggéré de modifier les lois sur la diffamation afin de pouvoir censurer le livre. Car les critiques sur le sérieux de Bob Woodward, qui a suivi et enquêté sur les mandats de pas moins de huit présidents, auront du mal à prendre. D'ailleurs, son livre sur Les Guerres d'Obama, publié en 2011, lui avait valu les félicitations… de Donald Trump.