Les réseaux sociaux jouent un rôle politique, estime le journaliste Thomas Huchon. 2:28
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Séverine Mermilliod , modifié à
Dans Culture Médias sur Europe 1, Thomas Huchon, journaliste et réalisateur de documentaires, principalement sur l'influence des réseaux sociaux, a estimé que ces derniers avaient eu un rôle politique dans l'élection présidentielle américaine. Il explique pourquoi.
INTERVIEW

Thomas Huchon, journaliste, réalisateur de documentaires et grand spécialiste des réseaux sociaux, était l'invité de Culture Médias sur Europe 1 à l'occasion de l'élection présidentielle américaine. Parmi ses films, on peut citer Comment Trump a manipulé l'Amérique, La nouvelle fabrique de l'opinion et plus récemment, une série de courtes vidéos diffusées sur Twitter. Leur titre : Trump, Biden, guerre sur les réseaux. Il estime que les plateformes telles Twitter et Facebook jouent un rôle dans le désordre politique actuel.

"Les réseaux sociaux sont une part importante du désordre dans lequel nous sommes puisque sur les réseau, il n'y a pas d'arbitre et qu'entre les participants, les joueurs ne respectent pas les règles du jeu. Cela devient très difficile de suivre la partie", estime le journaliste, selon qui  "ces plateformes ont non seulement participé au bazar dans lequel nous sommes, mais elles ont aussi été des faiseurs de désordre : les réseaux sont devenus un lieu où la campagne se fait, mais ils sont, par leur comportement, devenus des acteurs de cette politique".

La modération des contenus en question

Depuis quelques temps, les plateformes en question annoncent pourtant améliorer leur modération de contenus. Mercredi matin, alors que Donald Trump a annoncé sur Twitter avoir gagné et déclaré que les Démocrates essayaient de "voler" l’élection, le réseau social a signalé son tweet, mentionnant qu'il était trompeur. "Les réseaux sociaux n'ont pas tous la même politique. Twitter va masquer les tweets en les laissant accessibles, mais en précisant qu'ils sont mensongers, que le processus démocratique américain est en cours et que personne ne peut prétendre avoir déjà gagné. Facebook fait quelque chose d'un peu similaire, mais laisse les publicités visibles en précisant en dessous que le processus politique n'est pas terminé".

Le signalement de ses tweets par Twitter avait déjà faire sortir Donald Trump de ses gonds fin mai, lorsqu'il avait alors déclaré que le réseau "perdait ainsi sa neutralité de plateforme publique et devenait un acteur avec une opinion". Sauf que justement, pour Thomas Huchon, bien que les réseaux sociaux soient employés par Trump pour dire "tout ce qu'il veut, quand il le veut", ils ne sont pas "que des tuyaux. Je crois que ces réseaux sont beaucoup plus que cela et qu'ils sont au moins en partie responsables des contenus qu'ils diffusent. Et donc, je suis très content quand ils appliquent le peu de règles qui sont en place sur leurs plateformes."

2,4 milliards de dollars de publicités politiques sur Facebook

Pour le moment, on ne sait pas qui de Joe Biden ou de Donald Trump a gagné, mais pour Thomas Huchon, il est clair que la campagne présidentielle américaine a un grand gagnant : Mark Zuckerberg, le patron de Facebook. En effet explique-t-il, il existe depuis mai 2018 un outil de transparence, la bibliothèque des publicités politiques diffusées sur Facebook. "2,4 milliards de dollars ont été dépensés depuis mai 2018 sur la plateforme Facebook pour faire des publicités politiques. Si l'on prend le cas de Biden et de Trump pour le seul mois de septembre et d'octobre, c'est près de 100 millions de dollars. Le grand gagnant de cette campagne, pour l'instant, c'est avant tout Facebook qui a gagné beaucoup d'argent à diffuser des messages qui disent parfois n'importe quoi."

Et si, sous la pression des médias, des parlementaires américains et des utilisateurs, Mark Zuckerberg annonçait début septembre que sa plateforme allait "bloquer la publication de publicités politiques dans les dernières semaines de la campagne", selon le documentariste, ce n'est pas si simple ni si transparent que cela : "Monsieur Zuckerberg est un petit peu facétieux. Ce qui est interdit, c'est que de nouveaux acteurs puissent faire de la publicité après le 20 octobre 2000. Le jour de l'élection, la campagne Biden a dépensé près de 2 millions de dollars en publicité ciblée sur Facebook quand Trump a dépensé près de 3 millions de dollars le 1er novembre."

Des réseaux "complices" ?

Quelles solutions alors, sans restreindre le principe de liberté d'expression ? Car l'une des stratégies de Donald Trump sur les réseaux sociaux est d'inonder Twitter de messages, et comme "il dispose d'une immense communauté de soutiens", ils vont "servir de caisse de résonance et d'amplification à tous ces messages." "Le problème n'est pas tant la liberté d'expression", convient Thomas Huchon."Il n'est interdit de mentir, mais quand on donne au mensonge une immense caisse de résonance et des outils de ciblage extrêmement précis, on devient un peu son complice." Ce qui questionne la responsabilité des réseaux dans ce qui est publié.

Certains proposent donc de supprimer, sur Twitter par exemple, les "trending topics", des sujets qui remontent sur le fil d'actualité de l'utilisateur en fonction de mots-clés. "C'est un miroir trompeur de l'audience sur ces réseaux. Un tas de gens a bien compris comment ces réseaux fonctionnent, et ils vont s'entendre pour faire remonter un mot dièse, un hashtag sur le réseau et ainsi donner l'illusion qu'il y a beaucoup de gens qui discutent de ce sujet là. Il faudrait effectivement leur donner moins de visibilité, et permettre à l'utilisateur de Twitter de se faire sa propre opinion sur ce qui se passe sur la plateforme", conclut le journaliste.