Aux États-Unis, la présidentielle 2020 commence maintenant

Donald Trump est déjà dans les starting-blocks pour la présidentielle 2020.
Donald Trump est déjà dans les starting-blocks pour la présidentielle 2020. © Nicholas Kamm / AFP
  • Copié
, modifié à
Après des élections de mi-mandat en demi-teinte pour les Républicains comme les Démocrates, les deux camps fourbissent leurs armes et élaborent leur stratégie pour la présidentielle.

Les élections de mi-mandat aux États-Unis ont au moins deux fonctions : d'une part, évaluer la popularité du pouvoir en place ; de l'autre, lancer officiellement les hostilités pour la présidentielle à venir. Après la reconquête démocrate de la Chambre des représentants et la conservation républicaine du Sénat intervenue mardi dernier, les deux camps embrayent donc sur une campagne en bonne et due forme. Avec, de part et d'autre, des avantages sur lesquels capitaliser, des retards à combler et des stratégies à élaborer.

Donald Trump peut agiter l'épouvantail démocrate…

Dès mercredi, Donald Trump a coupé court à tous les doutes en annonçant que Mike Pence, actuel vice-président, serait de nouveau son colistier dans deux ans. Deux de ses conseillers ont indiqué à la presse américaine que le chef de l'État parlait déjà des meetings à tenir l'an prochain et, selon le site Politico, ses équipes devraient connaître des départs et des arrivées indiquant leur mise en ordre de bataille pour 2020 incessamment sous peu.

Pour le chef de l'État, la partie peut sembler facile à jouer. Certes, il a perdu la Chambre des représentants, mais il a conservé sa majorité au Sénat, qui dispose de plus de pouvoirs. Surtout, il a gagné un épouvantail en la personne de Nancy Pelosi, pressentie pour prendre la tête des élus démocrates à la "chambre basse". Cette Démocrate de 78 ans, chevronnée, fait le même effet repoussoir aux Républicains qu'Hillary Clinton en son temps. Et ne remporte pas non plus une franche unanimité dans son camp, où des voix s'élèvent pour appeler un changement et un rajeunissement de la tête de l'opposition. C'est sur elle que Donald Trump va pouvoir rejeter tous les potentiels blocages de la seconde moitié de son quinquennat.

 

Car des blocages, il y en aura forcément. Après les midterms, le président s'est dit prêt à travailler avec les démocrates sur des thématiques aussi variées que le commerce, les infrastructures ou encore la santé. "Cela pourrait vraiment être une belle cohabitation", a-t-il déclaré. "Nous avons beaucoup en commun, il y a beaucoup de grandes choses que nous pourrions faire ensemble." Des déclarations de pure forme qui n'effacent pas les désaccords profonds entre les deux camps et promettent bien des bras de fer, sur le budget par exemple. Toute réforme législative d'ampleur, qui nécessite la validation de l'intégralité du Congrès, paraît compromise. Reste que, pour Donald Trump, le plus simple sera d'accuser les Démocrates de bloquer ses efforts pour rendre à l'Amérique sa "grandeur". Et en cas de compromis, celui qui se vante sans cesse d'avoir hérité de sa carrière de business man un grand sens du "deal" pourra tirer la couverture à lui.

…et miser sur ses fans

Si Donald Trump a perdu sa majorité au Congrès, les élections de mi-mandat ont aussi montré qu'il conservait un électorat motivé, plus semblable à une fan-base de rock star. À en juger par l'affluence et l'applaudimètre de ses meetings, mais aussi par les résultats qui restent mitigés pour les Démocrates, le président n'a pas perdu l'approbation des foules et son style décapant n'a pas détourné les Américains. Dans les États où il s'est personnellement impliqué pendant la campagne des midterms, les candidats Républicains l'ont emporté, comme Ted Cruz au Texas ou Ron DeSantis en Floride (même si celui-ci fait face à la menace d'un recomptage des voix).

Les premières décisions post-élection du président indiquent d'ailleurs qu'il ne compte pas changer de méthode. Entre le limogeage de son ministre de la Justice, Jeff Sessions, qui était pourtant l'un de ses premiers soutiens mais ne l'avait pas suffisamment défendu dans l'affaire de l'ingérence russe, et le retrait de l'accréditation d'un journaliste de CNN à la Maison-Blanche sous un prétexte fallacieux, Donald Trump est resté plus trumpien que jamais. Cela donne une idée assez claire de ce que sera sa stratégie jusqu'en 2020 : continuer sur sa lancée.

Les Démocrates marchent sur une ligne de crête…

En face, les Démocrates ont tout de même quelques bonnes raisons de se réjouir. D'abord parce qu'ils ont récupéré plus de 30 sièges à la Chambre des représentants (le site de projection FiveThirtyEight leur en donne 37 lorsque tous les scrutins auront été validés), qu'ils ont limité l'emprise des Républicains au Sénat (les sondages leur donnaient l'acquisition de sièges supplémentaires, ce qui n'était toujours pas confirmé par les urnes vendredi) et ont aussi (re)conquis quelques postes de gouverneurs. Ensuite parce qu'ils ont su (r)appeler aux urnes ceux qui ne votaient pas, ou plus, notamment les femmes, les minorités et les jeunes, reconstituant un vivier d'électeurs perdus.

" Trump s'est mis en communion avec les ouvriers. Si on ne fait pas ça, on va avoir un gros problème. "

Désormais, cette situation de "cohabitation" leur apportera à la fois la possibilité de limiter la marge de manœuvre de Donald Trump, et donc de s'affirmer comme une alternative au pouvoir en place, mais également le risque d'apparaître comme des spécialistes de l'obstruction. Leur majorité à la Chambre des représentants leur permet aussi d'user de vastes pouvoirs d'enquête sur l'ingérence russe, les soupçons d'obstruction à la justice ou encore la situation fiscale de Donald Trump, qui n'a jamais voulu donner sa fiche d'impôts jusqu'ici. Autant de façons de déstabiliser le président. Mais là encore, cela peut se retourner contre eux si le chef de l'État se drape du costume du martyr.

…et se cherchent encore un programme et un leader

L'autre difficulté pour les démocrates, c'est qu'ils n'ont encore ni programme clair, ni chef de file incontestable. Les vainqueurs des midterms ne sont pas tous sur la même ligne, loin de là. Il y a un gouffre entre une Alexandria Ocasio-Cortez, élue à New York sur des propositions représentatives de l'aile gauche du parti de l'âne, et la plupart des caciques plus centristes. Il va donc falloir travailler à redéfinir les priorités du parti qui a par ailleurs, selon certains, privilégié la défense de valeurs abstraites et délaissé le quotidien des Américains. "Trump s'est mis en communion avec les ouvriers. Si on ne fait pas ça, si on continue d'être vus comme l'élite et à dire que les gens sont 'lamentables' s'ils ne votent pas pour nous, on va avoir un gros problème", prédit ainsi Tim Ryan, réélu à la Chambre des représentants mardi, auprès de l'AP.

D'ici à 2020, les Démocrates vont devoir se trouver un leader. Et cela s'annonce difficile. Comme le souligne Jean-Éric Branaa, chercheur à l'IRIS et maître de conférence à Paris 2, dans une tribune, "le président sortant dispose d'un avantage indéniable sur ses opposants. Ces derniers se cassent vite les dents sur le mur de l'indifférence. Il leur faut lutter contre le défaut de notoriété, et tout est bon pour parvenir à imposer son nom". Les midterms ont certes permis à des figures nouvelles d'émerger, mais celles-ci se heurtent aussi aux anciens qui font de la résistance, à l'instar d'un Joe Biden, l'ancien vice-président de Barack Obama, d'un Bernie Sanders ou d'une Nancy Pelosi. " Le parti démocrate ne fait rien pour ouvrir le paysage et cela pourrait vite devenir un vrai problème pour 2020", conclut Jean-Eric Branaa.