Affaires Fillon, Kohler, Sarkozy... le PNF dans l’œil du cyclone

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En moins d'un mois, le parquet national financier (PNF) s'est retrouvé sous le feu des critiques dans le cadre des affaires Fillon, Kohler et Sarkozy. © PHILIPPE LOPEZ / AFP
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Ugo Pascolo avec AFP
En moins d'un mois, le parquet national financier (PNF) s'est retrouvé sous le feu des critiques dans le cadre des affaires Fillon, Kohler et Sarkozy. Europe 1 remonte le fil des quelques jours qui ont fait vaciller le "fer de lance" de la lutte contre l'évasion fiscale et la corruption internationale.
DÉCRYPTAGE

C'est un mois de juin dont le parquet national financier (PNF) se souviendra. Entre soupçons de pressions politiques et doutes sur son impartialité, l'instance s'est retrouvée en quelques jours au cœur de plusieurs controverses. À tel point que des voix s'élèvent de part et d'autre de l'échiquier politique français pour demander a minima une correction de trajectoire, voire même sa dissolution. Décrite comme une juridiction à la botte du pouvoir dès sa création en 2014 dans le sillage du scandale Cahuzac, ce parquet spécialisé a permis en six ans de récolter des milliards d'euros d'amendes inédites et de retentissantes condamnations de cols blancs. 

C'est toutefois sur le terrain des affaires politiques nationales et des "atteintes à la probité", l'un des domaines de compétence du PNF, que les controverses ont repris ce mois-ci. Europe 1 fait le point sur ces trois affaires qui font vaciller l'instance qui s'imposait jusqu'ici comme "fer de lance" de la lutte contre l'évasion fiscale et la corruption internationale.

Des pressions subies dans le cadre de l'affaire Fillon ? 

Les ennuis du PNF commencent le 10 juin lorsque Eliane Houlette, première procureure à avoir dirigé le PNF jusqu'à son départ en juin 2019, a affirmé avoir subi des "pressions" procédurales de la part de sa hiérarchie dans la conduite de l'affaire Fillon. Lors de son audition par la commission d'enquête parlementaire sur l'indépendance de la Justice, la magistrate s'est émue du "contrôle très étroit" qu'aurait exercé le parquet général, son autorité de tutelle directe, dans la conduite des investigations visant des soupçons d'emplois fictifs au Parlement européen et de surfacturation dans les comptes de campagne de l'élection présidentielle de 2017.

"Le plus difficile (...) a été de gérer en même temps la pression des journalistes - mais ça on peut s'en dégager - (...) et surtout la pression du parquet général", a déclaré l'ex-procureure, partie à la retraite en juin 2019. Eliane Houlette a également évoqué "des demandes de transmissions rapides" sur les actes d'investigation ou les auditions et a révélé avoir été convoquée par le parquet général qui plaidait pour que l'enquête soit confiée à un juge d'instruction. "On ne peut que se poser des questions, c'est un contrôle très étroit et c'est une pression très lourde."

Des déclarations interprétées par le camp de l'ex-candidat à la présidentielle comme l'aveu de pressions politiques pour faire tomber leur champion. Les conseils de l'ex-Premier ministre ont ainsi demandé mardi au tribunal correctionnel de Paris de rouvrir les débats du procès, dont le jugement est attendu lundi 29 juin. 

Mais les déclarations d'Eliane Houlette ont également provoqué un tollé au sein de la classe politique : de Jean-Luc Mélenchon à Eric Ciotti, une avalanche de réactions indignées des leaders politiques ont fait resurgir le fantôme d'une juridiction d'exception à la botte du pouvoir. Et le 19 juin au soir, le chef de l'Etat Emmanuel Macron a saisi pour avis le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour "vérifier que le parquet national financier a bien mené son enquête" en "toute sérénité, sans pression" de l'exécutif.

Une indulgence suspecte envers le pouvoir dans l'affaire Kohler ?

Quelques jours plus tard, Mediapart ajoute une nouvelle épine dans le pied du PNF en révélant l'existence d'une note d'Emmanuel Macron, à l'époque ministre de l'Économie de François Hollande, dans le cadre de l'affaire Alexis Kohler. L'actuel secrétaire général de l'Elysée, à Bercy au moment des faits, était visé par une enquête pour conflits d'intérêts avec l'armateur italo-suisse MSC, fondé et dirigé par les cousins de sa mère. 

Mais alors que l'enquête est en cours, Emmanuel Macron affirme dans dans ce court écrit qu'il était au courant des liens de son bras droit avec l'armateur, et qu’il avait accepté qu’il ne traite jamais un dossier en lien avec cette société. La date de la note dédouanant Alexis Kohler, et transmise au PNF par ses avocats, est datée du 1er juillet 2019. Or, le mois suivant, en août 2019, le PNF décide de classer son enquête sans suite. Hasard du calendrier ou pression sur la Justice ? C'est pour le savoir que les juges d'instruction ont annoncé reprendre les investigations ce mercredi 24 juin

Si les proches du chef de l'État ont fermement contesté tout fait du prince dans cette affaire, la note d'Emmanuel Macron est une nouvelle occasion pour les oppositions de dénoncer "une officine". Le responsable du RN, David Rachline, raillant même "un nouveau monde (qui) ressemble étrangement à l'ancien".

Une enquête en catimini dans l'affaire "des écoutes" ?

Jeudi, c'est au tour du Point de révéler un autre dossier sensible ébranlant le parquet anticorruption. Cette fois-ci dans le cadre de l'affaire "des écoutes", aussi appelée affaire Paul Bismuth, le nom sous lequel l'ancien président Nicolas Sarkozy avait souscrit une ligne de téléphone secrète pour dialoguer en privé avec son avocat Me Thierry Herzog sur le dossier Bettencourt. Selon l'hebdomadaire, le PNF a enquêté en vain, entre 2014 et 2019 et notamment via des investigations en catimini sur des ténors du barreau de Paris, pour identifier la "taupe" éventuelle qui aurait informé Nicolas Sarkozy et Me Thierry Herzog de l'existence d'écoutes les visant.

L'existence de cette enquête, parallèle aux investigations dans l'affaire dite des "écoutes", était connue et dénoncée de longue date par la défense de l'ancien président et de son conseil, mais pas son contenu ni l'ampleur de la surveillance des avocats, dont certains ont même été géolocalisés, selon l'hebdomadaire. Autant d'éléments qui ont poussé la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a demandé vendredi à la procureure générale de Paris un rapport "sur la nature précise" de l'enquête du PNF. En fonction de ce rapport, elle "appréciera si une inspection doit être diligentée". 

Pour rappel, à l'automne prochain, Nicolas Sarkozy comparaîtra devant le tribunal correctionnel pour "trafic d'influence" avec l'avocat Thierry Herzog dans cette affaire.

Le PNF assure "respecter la règle de droit"

Face aux critiques, le parquet national financier se défend et assure ce vendredi toujours "respecter la règle de droit". "Dans toutes les affaires qu'il traite, il se conforme strictement aux exigences du code de procédure pénale et utilise, sans les outrepasser, les prérogatives que la Loi reconnaît aux parquets, et donc au PNF", a insisté dans un communiqué son patron, Jean-François Bohnert. 

La méfiance est également nourrie par la propension, spécifique au PNF à privilégier des enquêtes préliminaires qui n'offre presque aucune voie de recours aux avocats. Contrairement aux investigations confiées aux juges d'instruction, mais qui s'éternisent souvent en matière financière. "Les dysfonctionnements structurels du PNF ne doivent pas effacer les progrès accomplis depuis une dizaine d'année en matière de lutte contre la corruption, qui ont permis des procès dans ce domaine qui étaient inenvisageables avant", tempère un avocat familier des dossiers anticorruption. 

"Sa dissolution nous ferait revenir à un stade antérieur", estime-t-il. "Il faut au contraire améliorer les processus, affronter la question de l'indépendance du PNF, et en général de tous les parquets, surtout pour les affaires politiques".