Migrants naufragés : "mon neveu de 5 ans est mort dans mes bras"

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Xavier Yvon, envoyé spécial à Malte, et , modifié à
TEMOIGNAGE E1 - Survivants du naufrage de leur embarcation en Méditerranée, trois Palestiniens racontent le cauchemar qu’ils ont vécu.

Mamoun, Ibrahim et Mohammed rêvaient d’une "vie meilleure" en Europe. Ces trois Palestiniens ont fui Gaza en septembre, dans un bateau parti d’Egypte, vers l’Italie. Mais leur embarcation a fait naufrage en Méditerranée et les trois jeunes hommes ont vu mourir leurs compagnons d’infortune, les uns après les autres. Sur les 400 personnes qui se trouvaient à bord, ils ne sont qu’une dizaine à avoir survécu. Les trois Palestiniens ont été accueillis à Malte, où Europe 1 a rencontré ces miraculés.

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Un bateau surchargé. C’est le même désespoir qui les a poussé à partir : Ibrahim et Mohammed, deux frères, ont vu leur maison détruite par les bombardements israéliens pendant l’été. Mamoun, lui, n’arrivait plus à nourrir ses quatre enfants. Les trois jeunes hommes rassemblent alors un peu plus de 3.000 euros chacun pour payer les passeurs. Ils doivent descendre vingt mètres sous terre pour s’échapper de Gaza, via un tunnel, et se rendre en Egypte où ils embarquent, le 2 septembre, sur une plage de Damiette.

Le témoignage de Mamoun sur Europe 1 :

Mamoun : "Mon neveu est mort dans mes bras"par Europe1fr

L’embarcation, "un bateau de pêche", selon Mamoun, ne peut contenir "plus de 150 à 200 personnes". Ils sont le double, serrés, jusque dans les cales. Plusieurs fois, les passeurs les font changer de bateau. "Nous avons refusé d’embarquer sur le dernier bateau qui était une toute petite embarcation qui ne pouvait nous contenir tous", explique Mamoun, 28 ans. Les migrants se trouvent alors "en pleine mer, dans les eaux internationales". Là, "nous avons heurté un plus gros bateau, un bateau égyptien". Aux commandes, les passeurs. "Ils nous ont heurté et se sont assurés que le bateau avait coulé, que nous étions condamnés à mort", poursuit le Palestinien.

Mamoun, rescapé d'un naufrage en Méditerranée - 1280

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"Quatre jours et cinq nuits dans l’eau". "Après l'accident, nous sommes tombés à l'eau", raconte-t-il. Son neveu de 5 ans "s’est noyé tout de suite" : "il est mort dans mes bras, je n'ai pas pu l'aider". "J'ai essayé de l'aider à respirer, mais malheureusement, Dieu en a voulu autrement, il est mort", lâche Mamoun, ajoutant : "il est resté une heure dans mes bras après sa mort, et nous avons dû l'abandonner dans l'eau". 

 Au total, Mamoun et les autres survivants restent "quatre jours et cinq nuits" dans l’eau. "Nous étions 150 lors de l'accident. Après un jour, une partie était déjà morte", décrit-il. "Chaque minute, chaque seconde on perdait quelqu’un, des femmes, des enfants, des personnes âgées. La mort nous arrachait les personnes les plus chères, une vraie tragédie". "Je ne peux pas vous décrire mes sentiments : c'est inimaginable", dit-il encore.

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 Des cheveux blanchis d’un coup. Dans l’eau, les naufragés ne peuvent se raccrocher à rien, si ce n’est à leur gilet de sauvetage. "Quatre jours dans l’eau, sans manger, sans boire, souffrant du froid la nuit, de la chaleur le jour…", décrit Mamoun. Mohammed, lui, est encore hanté par le souvenir de ces jours atroces. "Le troisième jour, le nombre de cadavres s’est mis à augmenter" et "le groupe des vivants commençait à se réduire", se remémore-t-il. "On a commencé à regrouper [les cadavres], ils flottaient dans leurs gilets de sauvetage. On prenait les lacets des chaussures et on attachait les cadavres les uns aux autres pour que si un bateau ou quelqu’un passe ça attire l’attention, pour qu’on nous remarque". 

Le quatrième jour, un porte-container français les repère enfin. Mais trop tard : "mon frère était épuisé, ainsi qu’un autre naufragé. Je l’ai perdu à la dernière minute", se désole Mamoun. Arrivés à bord du navire français, les rares survivants s’effondrent, la bouche gonflée par le sel et la peau qui part en lambeaux, à tel point qu’il faut découper leurs vêtements pour les enlever. 

Aujourd’hui, les trois Palestiniens vivent dans un centre de rétention de Malte, dans des conditions misérables. Physiquement, ils vont mieux. Mais, résume Mamoun, qui appelle à l'aide les "institutions humanitaires", "nous avons fui la mort et nous vivons aujourd'hui une vie triste".

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