Égypte : révolution ou coup d'Etat ?

Pour le chercheur Tewfik Aclimandos, l'armée égyptienne "n'a pas intérêt" à garder le pouvoir.
Pour le chercheur Tewfik Aclimandos, l'armée égyptienne "n'a pas intérêt" à garder le pouvoir. © Reuters
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DÉCRYPTAGE - Les spécialistes Tewfik Aclimandos et Antoine Basbous décodent la déchéance de Morsi.

Le président déchu, l’armée a repris la place longtemps occupée au centre du jeu politique égyptien. Après la destitution mercredi de Mohamed Morsi, une nouvelle page de transition s’ouvre pour le pays. Quel rôle vont jouer les militaires ? Que vont devenir les Frères musulmans, dont est issu Mohamed Morsi ? Éléments de réponse avec Tewfik Aclimandos, chercheur au Collège de France et spécialiste de l'Égypte, et Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, interrogés jeudi sur Europe 1.

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Coup d’État ou révolution ? Pour Antoine Basbous, "ce n'est pas seulement l'armée" qui a pris le pouvoir : "c'est l'armée et le peuple". "Les coups d’État, c'est à 4 heures du matin, le peuple se réveille avec de nouveaux dirigeants, or, ce n'est pas le cas en Égypte", soutient-il. "Le peuple par millions est descendu dans la rue, l'armée a donné le coup de pouce : les fondamentaux de l’Égypte étaient menacés", note Antoine Basbous, pour qui "le sectarisme des Frères musulmans les a isolés, même de leurs meilleurs alliés".

"Ça n'a rien à voir avec un coup d’État, c'est une révolution", martèle aussi sur Europe 1 l'écrivain égyptien Khaled Al-Khamissi. Un message qui s'étale d'ailleurs à la Une du journal de la place Tahrir, à l'adresse de Barack Obama : "c'est une révolution pas un coup d’État".

03.07 Egypte soldat

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Quel rôle pour l'armée ? Pour Tewfik Aclimandos, l'armée, qui assure ne pas vouloir se mêler de politique, "n'a pas intérêt à rester à la tête du pays ou à tenir elle-même les rênes". Car dans un pays où la situation économique est "désastreuse", il faut prendre "des mesures impopulaires". Les Égyptiens ont en outre "une demande démocratique très profonde" et "il faut à tout prix éviter une jonction entre islamistes et junte révolutionnaire". Enfin, "il faut tenir compte du point de vue américain", l’aide des États-Unis représentant 1,5 milliard de dollars par an. Washington "verrait d'un très mauvais œil l'armée garder le pouvoir".

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Obama a-t-il raison d'être inquiet ?  Barack Obama s’est en effet dit "très préoccupé" et a appelé au rétablissement au plus vite d’un gouvernement civil démocratiquement élu. "Les chancelleries occidentales ne peuvent pas cautionner le renversement d'un président élu au suffrage universel, parce que ça peut annoncer d'autres changements", décrypte Antoine Basbous. Mais Mohamed Morsi "a été extrêmement médiocre, il s'est isolé, l'économie égyptienne s'est effondrée... Il y avait un problème", estime le chercheur. "Pendant un an au pouvoir, les Frères musulmans ont essayé de détruire les institutions", confirme l'écrivain Khaled Al-Khamissi, rappelant que "toutes les idées archaïques des Frères musulmans ont été refusées par le peuple égyptien".

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La transition peut-elle durer ? Tewfik Aclimandos estime que "l’armée est sincère quand elle dit qu'elle ne veut pas garder" le pouvoir. Sauf que "comme les autres forces politiques ne sont pas tout à fait prêtes, l'armée risque d'être amenée à le garder plus longtemps qu'elle ne le souhaite", car "la nature a horreur du vide". Et il existe un risque que "les Frères musulmans et leurs alliés optent pour la politique du pire et tentent de créer des troubles voire de glisser vers un scénario algérien". Khaled Al-Khamissi, lui, estime qu'il n'y aura pas de guerre civile dans son pays. "Mais il y aura des violences dans les prochains jours", prévient-il. Et il assure que "la laïcité, c'est le trajet" et que "l'islamisme politique ne fait que le désastre".

Que vont devenir les Frères musulmans ? Quelque 300 mandats d’arrêt ont été émis contre des membres des Frères musulmans, dont plusieurs hauts responsables ont déjà été arrêtés. Mais pour Tewfik Aclimandos, ce n’est pas la fin de la confrérie : "c’est la seule force politique organisée du pays, elle compte des centaines de milliers voire des millions de militants". Devenue "extrêmement impopulaire, détestée par pratiquement tout le reste de la société, salafistes compris", elle existe toujours.

La confrérie conserve d'autant plus une place centrale, estime de son côté Antoine Basbous, que le Hamas à Gaza, aux frontières de l’Égypte, "ce sont les petits frères des Frères musulmans égyptiens". L'armée égyptienne a "bouclé la frontière", "par peur que le Hamas n'envoie des renforts au Caire pour soutenir les Frères musulmans". Et il existe un autre danger : la frontière avec la Libye, "2.000 kilomètres de désert, avec des milices islamistes qui peuvent venir au secours des Frères musulmans égyptiens".