Assange : pourquoi l'Equateur l'aide ?

Le président équatorien Rafael Correa a accordé l'asile à Julian Assange.
Le président équatorien Rafael Correa a accordé l'asile à Julian Assange. © Reuters
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Charles Carrasco , modifié à
DECRYPTAGE - Le président Correa tire de nombreux avantages politiques et diplomatiques.

L'Equateur, "petit" pays, au centre d'un imbroglio mondial. Après que Julian Assange se soit réfugié dans l'ambassade à Londres au mois de juin, Rafael Correa, le président de la République, a accordé au fondateur de WikiLeaks, un droit d'asile, déclenchant les protestations de l'Angleterre, de la Suède et des Etats-Unis réunis.

Dès 2010, ce pays andin avait fait un pas vers l'activiste, assurant qu'il était le bienvenu sur son territoire. Au mois de mai dernier, le président de gauche avait, à nouveau, fait un appel du pied lors d'une émission de la chaîne russe Russia Today, rappelle Le Figaro. "Courage ! Bienvenue aux clubs des persécutés", avait lancé le président Correa.

Pourquoi cet engouement équatorien pour l'Australien, Julian Assange ? Europe1.fr vous livre un début d'explication.

Asseoir sa puissance dans la région. Depuis 2009, l'Equateur est devenu membre de l'Alliance bolivarienne des peuples d'Amériques (Alba) lancée en 2005 à l'initiative d'Hugo Chavez au Venezuela et de Fidel Castro à Cuba. Cette alliance politique rassemble le bloc de la gauche radicale du continent latino américain. L'intérêt de l'Equateur dans l'Alba, c'est "l'intégration énergétique qui, en Amérique latine, est avant tout un problème politique", expliquait Guillaume Fontaine, enseignant-chercheur à l’université FLACSO de Quito, cité par Slate. L'objectif est de développer les alliances stratégiques dans le pétrole entre pays andins, comme le fait Chavez dans les Caraïbes.

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Alors qu'avec son pétrole, le Venezuela fait figure de grande puissance de la région, Rafael Correa, a donc l'intention d'installer ce petit pays de seulement 284.000 km2 et de 14 millions d'habitants, parmi les acteurs majeurs de la région. Et comme au Venezuela, le pétrole est aussi un des leviers principaux en Equateur (40% de ses recettes budgétaires et 15% de son PIB). En prenant le leadership sur le dossier Assange, l'Equateur a ainsi contraint les pays sud-américains à se ranger derrière la position de Quito. Suite à une réunion dimanche, les ministres des Affaires étrangères du bloc ont d'ailleurs lancé un avertissement très ferme à l'égard de Londres, insistant sur "les graves conséquences "qui se déclencheraient dans le monde entier en cas d'agression directe contre l'intégrité territoriale" de l'ambassade équatorienne.

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Lutter contre l'impérialisme américain et le "colonialisme" anglais. Le gouvernement de Rafael Correa, figure de la gauche sud-américaine, incarne le "socialisme du XXIe siècle". Il a fait de ce dossier un moyen de pression contre l'ennemi juré : les Etats-Unis. Sur le balcon de l'ambassade dimanche, Julian Assange, très élégant, est devenu, en quelque sorte, une figure mondiale de la "contestation impérialiste" en demandant aux Etats-Unis de cesser "la chasse aux sorcières". Celui-ci craint qu'en cas de départ en Suède, afin de répondre des accusations de viol, il se fasse extrader aux Etats-Unis suite à la mise en ligne de 250.000 télégrammes diplomatiques américains.

Aux Etats-Unis, Julian Assange "pourrait être jugé par des tribunaux spéciaux ou militaires et il n'est pas improbable qu'un traitement cruel et dégradant lui soit réservé et qu'il soit condamné à la peine capitale", a estimé Ricardo Patino, le ministre des Affaires étrangères équatorien. L'Equateur n'exclut pas de saisir la Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye pour contraindre la Grande-Bretagne à accorder un sauf-conduit à Julian Assange. En attendant, Rafael Correa a assuré que la Grande-Bretagne avait "tort". "La menace ne vise pas seulement l'Equateur, mais aussi la Bolivie, elle vise l'ensemble de l'Amérique du Sud, l'ensemble de l'Amérique latine", a-t-il martelé.

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S'ériger en défenseur de la presse. En s'érigeant en défenseur de la liberté d'expression, le président équatorien Rafael Correa compte bien faire oublier ses démêlés avec la presse. Le dirigeant équatorien est ouvertement en guerre contre une partie de la presse privée de son pays. Il la juge "corrompue" et lui reproche régulièrement de vouloir déstabiliser son gouvernement pour préserver les intérêts des milieux d'affaires.

En 2011, Rafael Correa avait porté plainte contre le journal d'opposition El Universo, dont trois dirigeants et un éditorialiste ont été condamnés à trois ans de prison et une amende record de 40 millions de dollars, plaçant le premier quotidien national sous la menace d'une faillite. Les responsables du journal avaient été condamnés pour injure au chef de l'Etat après un article accusant ce dernier de "crimes contre l'humanité" pour avoir maté une rébellion de policiers en 2010 lors d'un assaut qui avait fait cinq morts. Lui considérait qu'il s'agissait d'un coup d'Etat. 

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Dans la foulée, il avait également accordé son pardon à deux autres journalistes condamnés le 7 février à lui verser deux millions de dollars après avoir publié un livre évoquant des contrats publics obtenus par son frère. Selon plusieurs observateurs, le président Correa espère aujourd'hui regagner du crédit auprès de ses détracteurs, en se présentant comme un chantre du droit à l'expression dans l'affaire Assange.

>>> A lire : la chronologie judiciaire de l'affaire.

Défendre sa réélection en 2013. Le président, élu depuis 2007 qui jouit toujours d'une grande popularité pour ses programmes sociaux, briguera un nouveau mandat en 2013. Pour l'analyste, Jorge Leon, interrogé par Le Monde, "la décision de Rafael Correa obéit à des considérations de politique intérieure". "Cette affaire lui permet de se repositionner, au moindre coût, dans le camp des contestataires, précise Jorge Leon, et sans craindre des représailles de la part des Etats-Unis. Rafael Correa joue sur du velours : il sait qu'il peut compter sur la solidarité des pays latino-américains."