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Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages.

Tous les jours, Bruno Donnet observe la fabrique médiatique. Ce matin, il s'est posé une question très intéressante : pourquoi les ministres sont-ils si heureux quand ils sont invités, à la télévision, dans des talk-shows ?

Pourquoi nos ministres font-ils la gueule lorsqu’ils sont invités dans des émissions strictement politiques et à ce point hilares quand on les voit dans des programmes de divertissement ?

Cette question-là lui est venue en observant deux séquences, extrêmement récentes.

La première, hier soir.

Christophe Béchu, qui est le ministre de la Transition écologique, était l’invité de l’émission "Quotidien". Yann Barthès l’a salué et la toute première question qu’il lui a posé a été celle-ci : « Le grand public vous connait encore peu, d’ailleurs est-ce que vous participez toujours aux diners des ministres dits non-visibles, avec François Braun et Pape Ndiaye ? »

Il lui a fait remarquer, un rien goguenard, qu’il était en mal de notoriété. Ce à quoi Christophe Béchu lui a répondu ceci : « Je suis ravi d’être ici, je ne doute pas que ça permet de se faire entendre d’une autre manière ! »

En d’autres termes, l’invisible ministre de l’Écologie, apostrophé gentiment sur sa transparence, a avoué qu’il était là pour se faire connaitre du public qui ne s’intéresse pas, d’ordinaire, à la politique.

Il a pris une vanne en pleine poire, d’entrée de jeu, il y a répondu, mais à aucun moment, qui que ce soit ne lui a fait remarquer que s’il était à ce point méconnu, c’était peut-être parce que son bilan, son action politique, sur la question de l’environnement était totalement nulle. Un échange équilibré donc, pour tout le monde. Gagnant/gagnant. Win/win. En un mot : confortable.

La deuxième séquence découverte samedi soir. Cette fois-ci, c’est le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui était l’invité de l’émission "Quelle époque" sur France 2.

Christophe Dechavanne, goguenard lui aussi, a commencé par lire un passage érotique de son dernier roman : « Elle gémit. Je fis glisser son maillot et la pénétrais, doucement. Elle gémit encore. Je la pénétrais plus profondément. Oh la la. »

Le public a souri et puis Dechavanne a enchaîné avec un autre extrait, nettement plus hard : « Et elle demandait sur un ton innocent : quand est-ce que tu m’encules ? »

Cette fois le public a carrément éclaté de rire et l’humoriste Mathieu Madénian s’est bien foutu de la gueule du ministre, en le renvoyant à l’inflation : «Hey, Bruno, le prix des pâtes, là, t’es pas en train de nous enculer ? »

Bruno Le Maire a ri, lui aussi. Puis il a répondu, non pas sur ses problèmes de slip mais sur le prix des nouilles : « J’essaye d’être juste. De faire attention à ce que les prix baissent pour les consommateurs parce que j’ai moi-même une famille nombreuse. J’ai quatre enfants à nourrir et je paye beaucoup de paquets de pâtes et je sais parfaitement à quel point ces prix sont devenus insupportables pour les Français ! »

Bruno Le Maire a cherché l’empathie, la proximité avec les Français qui ont du mal à joindre les deux bouts. Et, parce qu’ici, aussi, le dispositif est extrêmement confortable, personne n’a fait remarquer au ministre de l’Économie que son salaire s’élevait tout de même à 9.940 euros par mois !

Pareil lorsqu’il a évoqué les producteurs de lait : « Moi je ne veux pas qu’au bout du compte ce soit le petit producteur de lait (…) qui trinque parce qu’on lui aurait serré le kiki et on l’aurait empêché de vivre correctement. »

Christophe Dechavanne lui a fait remarquer, rapidement, qu’ils étaient en difficulté : « Pardonnez-moi c’est le cas, Bruno Le Maire, c’est le cas, c’est le cas, ils sont étranglés. »

Mais pour autant, personne, sur le plateau, n’a contredit le ministre de l’Économie lorsqu’il a enchaîné avec cette énorme ineptie : « Je ne crois pas (…) Je pense que pour les producteurs de lait aujourd’hui justement, le prix est décent, je dis pas qu’il est mirobolant, il est décent. »

Personne ne lui a fait observer qu’il venait de dire une connerie monumentale, parce que les producteurs de lait vendent leur production 45 centimes le litre alors qu’ils en réclament 54.

Parce qu’ils survivent grâce aux primes que leur verse l’union européenne.

Et parce que tous les jours, en France, 27 exploitants agricoles mettent la clef sous la porte parce qu’ils ne s’en sortent plus !

Les talk-shows sont des espaces confortables et très équilibrés, dans lesquels pour peu qu’ils acceptent qu’on se paye gentiment leur tête une ou deux fois, les ministres peuvent raconter, à vil prix, et sans être démentis, absolument n’importe quoi.

Les nouilles ont, très probablement, de beaux jours devant elles.