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Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages. Ce ludni, il revient sur les images qui sont arrivées ce week-end aux télévisions, en provenance de Bakhmout, en Ukraine.

Tous les jours, Bruno Donnet observe la fabrique médiatique. Ce matin, il a choisi de s'arrêter sur la nature des images qui sont arrivées ce week-end aux télévisions, en provenance de Bakhmout, en Ukraine.

Dans cette ville située à l’est de l’Ukraine, si la bataille militaire fait rage, on assiste également à une très intense guerre des images.

Tout ce week-end, le camp russe a revendiqué la conquête, la prise totale de la ville mais la télévision française, est restée un peu vague sur le sujet. Elle était divisée. Hier soir, par exemple, sur TF1, Anne-Claire Coudray était assez catégorique : « En Ukraine, comment évaluer les conséquences de la chute de Bakhmout. »

Elle a évoqué « la chute » de la ville. Seulement voilà, au même moment, sur France 2, Laurent Delahousse s’est montré nettement plus nuancé : « La ville est-elle ou non aux mains de Wagner ? Vladimir Poutine revendique une conquête, le président Zelenski et bien reste flou. »

Il a parlé de flou. Un flou, savamment entretenu par l’envoyée spéciale de la chaîne, en Ukraine, Maryse Burgot : « Qui croire ? C’est une bataille de la communication, on est du reste un peu tenté de ne croire personne, pas plus les Ukrainiens que les Russes. »

Alors le flou, la télévision n’y est pas habituée. D’ordinaire, elle tourne des images nettes qui permettent d’éclairer la situation et de trancher les points de vue. Mais à Bakhmout, c’est, pour l’instant, strictement impossible. Pourquoi ? Et bien parce que les combats y sont beaucoup trop intenses, dominés par les Russes et impossibles à filmer.

Alors ? Et bien alors les télévisions doivent se contenter de deux sources. La première, ce sont des images vues du ciel : « Regardez ces images satellites, elles sont saisissantes. »

TF1 en a diffusé hier soir, une longue séquence, pour nous montrer l’étendue des dégâts : « un immense champ de ruines. Il y a un an, 70.000 personnes vivaient ici, à Bakhmout. »

Et l’autre source, et bien ce sont les images de propagande que la milice Wagner, et son chef Evgueni Prigojine, tournent et adressent au monde entier : « Pendant 224 jours, nous avons pris d’assaut cette ville, les seuls combattants étaient les mercenaires de Wagner ! »

Hier soir, c’est France 2 qui les a diffusées, en prenant grand soin de nous mettre en garde : « Ces images ont été tournées par le groupe paramilitaire Wagner. »

Et de prendre toute la distance nécessaire avec ces images de soldats russes, brandissant le drapeau de leur pays, sur les ruines de la ville : « Les mercenaires se mettent en scène. La réalisation se veut sophistiquée. »

Sophistiquées, ces images le sont. Elles sont techniquement impeccables et destinées, d’abord, à influencer l’opinion russe : « La télévision d’état russe diffuse ce soir ces images d’une ville anéantie, où patrouillent les forces de Moscou. »

Car non content d’avoir ubérisé la guerre, en combattant, moyennant finance et pertes humaines considérables, à la place de l’armée russe, Evgueni Prigojine a également privatisé les images de la guerre !

Il aimerait, à Bakhmout en tous cas, s’en assurer le monopole. On comprend mieux alors le rôle primordial des reporters indépendants, qui sont les seuls, en attendant de pouvoir entrer dans la ville, caméra à l’épaule, à rappeler qu’en 224 jours de siège, la milice privée a fait perdre 20.000 hommes à la Russie. 20.000 morts et près de 80.000 blessés, pour défendre à peine trois petits kilomètres d’une ligne de front qui en compte plus de 1.200. Des chiffres qui ne sont jamais cités, ni par Wagner, ni par les médias russes.