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Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.

Bonjour Hervé Gattegno. La semaine qui vient sera marquée par l’ouverture du fameux "grand débat", qu’Emmanuel Macron a lancé pour sortir de la crise des "gilets jaunes", et on ne sait toujours pas vraiment comment ça va se passer. A votre avis, à quelles conditions ce débat peut-il être une réussite ?

La première condition, c’est la clarté de l’organisation. De ce point de vue, c’est vrai que le fait qu’on ne sache toujours pas exactement qui va coordonner les travaux, comment vont se conduire réellement les discussions, ce n’est pas bon signe – pour un grand débat, ce n’est pas un bon début. Ensuite il faut la garantie de l’indépendance, que le pouvoir ne va pas contrôler d’une façon ou d’une autre ce qui se dira. C’est pour ça que le choix de qui va piloter cette affaire est essentiel. Une autre condition, c’est que les "gilets jaunes" ne perturbent pas ce grand débat.

Autrement dit, il faudrait qu’ils suspendent leur mouvement pendant les trois mois que tout ça va durer – ils veulent qu’on les entende, donc il faut qu’ils participent. Et puis au-delà, il faut qu’un très grand nombre de citoyens participent, parce que du coup, les idées qui en sortiront auront du poids, elles s’imposeront. Avec ce paradoxe que plus il y a de participants, plus c’est difficile d’organiser un débat. Donc le risque c’est que : plus ça marche… moins ça marche.

Vous avez parlé de la personne qui va conduire ce grand débat. Il faut remplacer Chantal Jouanno, qui s’est désistée. Qui d’après vous aurait un bon profil ?

Je voudrais dire d’abord que ce qu’a fait Chantal Jouanno est assez indigne. Au lieu de renoncer à sa mission parce que son salaire fait polémique, elle aurait mieux fait de renoncer à son salaire, même en partie, même temporairement. Ou alors de démissionner. Pour ce qui est de la remplacer, il faut quelqu’un qui ait de la hauteur, de l’expérience, qui ne soit pas un affidé d’Emmanuel Macron et qui ait les capacités d’écoute et d’organisation pour relever un défi pareil. Celui qui coche toutes ces cases, c’est Jean-Louis Borloo, qui avait fait le Grenelle de l’Environnement, qui a été maire, ministre, qui est un modéré, et qui est en froid avec Emmanuel Macron – ce qui est devenu une qualité. Je ne suis pas sûr qu’il en ait envie. Mais s’il faut une solution plus audacieuse, qui étonnerait les Français et qui serait une façon pour Emmanuel Macron de renouer avec l’audace, j’ai une solution à lui souffler : François Hollande.

Il a la stature, il aurait l’autorité. Il n’est pas très occupé. Il a dit lui-même qu’il était très à l’écoute des "gilets jaunes". Et la qualité qu’on lui a toujours reconnue, c’est l’art de la synthèse. Et puis vu ses relations avec Emmanuel Macron, personne ne douterait de son indépendance… Je sais que ça a l’air d’une blague, mais je suis sérieux. Il faut dire que dès qu’il s’agit de François Hollande, tout a toujours l’air d’une blague…

Pour que le Grand débat réussisse, est-ce qu’il ne faut pas aussi qu’il ait un débouché ; c’est-à-dire qu’il en sorte des propositions de réformes concrètes ?

Bien sûr – et au fond, ça n’est pas si évident que ça. Il faut qu’on arrive à des formes de consensus sur des mesures de bon sens, des réformes qui ne soient pas rétrogrades ni déshonorantes pour la France – je pense évidemment à la peine de mort ou à l’avortement. Ça peut être sur le fonctionnement des institutions, sur la fiscalité, sur les services publics ; ça peut être la revanche du bon sens sur la technocratie, puisqu’on parle tellement de la coupure entre les citoyens et les élites.

A la sortie, je suis convaincu qu’il faudra qu’Emmanuel Macron en extraie plusieurs propositions pour les soumettre à un référendum. Si tout se passe bien, ça peut donner une vraie bouffée d’oxygène au pays. Si ça traîne, si ça capote, si ça bloque, Emmanuel Macron aura beaucoup de mal à s’en relever. Donc il ne faut pas perdre de vue que c’est un Grand débat qui peut provoquer de grands dégâts.