François CLAUSSL'air du temps

Quand le Chili et le Liban rêvent d'un nouveau monde

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Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.

"1 million de manifestants dans les rues de Santiago ce weekend malgré un état d’urgence et des blindés déployés. Chili 1973, quand el pueblo unido se lève contre contre la dictature ? Non, Chili 2019, quand le peuple uni dit non à une hausse de 3,75% du ticket de métro. Et tellement plus dans un monde où les écarts salariaux sont devenus plus importants en cette première moitié du 21ème siècle qu’à la fin du 19ème, quand Marx écrivait le Capital.

Des centaines de milliers de libanais qui investissent la place des Martyrs à Beyrouth. Liban 2005, pour les prémices d’un nouvel affrontement communautaire ? Non, Beyrouth 2019, quand les jeunesses chrétiennes, sunnites et chiites  disent d’une même voix non à une taxe imposée sur l’utilisation du réseau téléphonique gratuit Whats app. Et tellement plus encore dans un monde où les 10% les plus riches (souvent leurs dirigeants) possèdent 83% des richesses de la planète.

Les gilets jaunes, sans culottes des temps modernes

Et puis Wendy, bien au-delà de Santiago ou de Beyrouth comment ne pas penser à nos gilets jaunes, sans culottes des temps modernes, qui se retrouvèrent unis contre une simple taxe sur le diesel mais qui nous dire tellement plus encore quand ils racontèrent leur sensation d’étranglement dans ces pavillons cernés de rond points où tout le système à contribuer pendant tant de temps à les y envoyer, les poussant vers un endettement synonyme de confiance totale en l’avenir. Un avenir devenu si sombre pour leurs enfants.

Et comment de Beyrouth à Santiago ne pas penser aussi à cette jeunesse algérienne qui envahit l’espace public depuis des mois sans la moindre violence pour se faire entendre et respecter dans un pays ou l’affrontement de rue était devenu un rituel. Et comment aussi dans le même temps ne pas penser à cette autre jeunesse, celle de Hong Kong, contrainte elle à l’inverse (mais dans le même besoin de se faire entendre et respecter) de bousculer le vieux tabou de la non-violence.

Un fil conducteur ? un lien ? Oui il y en a un

Une dignité bafouée par un système

Bien sûr ces mouvements nous renvoient inévitablement à l’Europe de l’Est de la fin des années 80 quand la foule unie abattaient des Murs de Berlin à Moscou. Mais il y avait alors des murs et la colère se cristallisait autour de nouveaux leaders. Comment aujourd’hui abattre les murs invisibles du capitalisme le plus sauvage ? Comment incarner une alternative politique quand la politique semble si impuissante face aux échanges mondialisés ? Et qu’au-delà des inégalités, le cri de rage qu’exprime la foule dans les rues d’Alger de Beyrouth, de Santiago est aussi celui d’une dignité bafouée par un système, par des hommes qui en profitent, vainqueurs triomphants d’une révolution numérique censée nous apporter le bonheur individuel, mais qui à l’arrivée très souvent broie tout ce qu’il y a encore d’individu en nous.

Allez voir le destin brisé de ce livreur de Newcastle, qui pourrait être de Beyrouth ou de Santiago, que le réalisateur doublement couronné de palmes à Cannes Ken Loach met en scène dans son magnifique Sorry we missed you, sorti cette semaine. 

Interrogé par nos confrères du Parisien, l’un des plus grands géo-politologue Français, Dominique Moesi, reconnaissait qu’en 1989 la foule qui manifestait avait le sentiment que les dominos pouvaient et allaient même tomber dans le bon sens. Aujourd’hui personnes ne sait où ils vont retomber. Et lui qui, à 73 ans observe le monde depuis plus de 30 ans n’a jamais été aussi inquiet.

Et Je ne sais pas si vous avez remarqué, Wendy, depuis quelques jours une figure qui émerge dans les défiles du Chili au Liban, une figure sous forme d’un masque. Quand l’anti-héros devient le héros. Quand l’oublié et l’humilié se fait vengeur solitaire. Joker est devenu cette semaine le plus gros succès interplanétaire de l’histoire du cinéma pour un film interdits aux mineurs de moins de 17 ans non accompagnés. Que ce rire s’il est encore résonne comme un signal à ceux qui penserait qu’on ne peut pas rêver d’un autre monde. 

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