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On parle toujours de la grande histoire d'amour entre Verlaine et Rimbaud, mais moins de la malheureuse épouse de Verlaine, Mathilde Mauté (Mauté de Fleurville). Une femme battue qui pourrait être la figure emblématique du combat contre les violences faites aux femmes. Car s'il fut un génie de la poésie, Verlaine fut aussi un alcoolique invétéré et un mari violent.

Mathilde Mauté de Fleurville naît en 1853. Fille d’un bourgeois montant assez opulent, elle écrivit ses Mémoires, publiés en 1907, où elle fit état de ses fréquentations aristocratiques, un domaine important pour elle.

Verlaine la trouve trop jeune, Mathilde le trouve laid

Les Mauté fréquentaient des écrivains, des artistes, des musiciens. Balzac, Musset, Chopin, Wagner, tout ce beau monde se retrouvait régulièrement dans le salon de la famille. La mère de Mathilde avait été mariée une première fois à certain marquis de Sivry, dont elle a eu un fils, Charles de Sivry, le demi-frère de Mathilde. C’est Charles, ce demi-frère musicien, qui va présenter Verlaine à Mathilde.

Ce jour-là, en 1867, Mathilde a 14 ans et Verlaine dix ans de plus qu’elle. Il est déjà un peu connu : il a publié ses poèmes saturniens et il ne fait pas du tout attention à elle. Il écrira plus tard qu’elle avait 14 ans et qu’elle en paraissait à peine douze. Elle est à peine adolescente et elle le trouve laid, mal habillé et l’air pauvre. Elle aurait sans doute dû rester sur cette première impression…

Verlaine change d'avis

Quand ils se revoient, on ne sait pas ce qui change dans l’esprit de Verlaine mais il la trouve tout à coup absolument charmante. Ils se font la conversation, il lui envoie quelques poèmes et l’adolescente tombe sous le charme.

Après cette seconde rencontre, Verlaine écrit à Charles de Sivry, demi-frère de Mathilde : « J’aime ta sœur, je veux l’épouser absolument ». Mais le père Mauté est un peu dubitatif, il est surpris par ce coup de foudre. Sans compter que sa fille est bien trop jeune pour se marier et que le soupirant a l’air bien pressé, en plus d’être dans une situation précaire…

Pour calmer les ardeurs de Verlaine, il fixe un délai de quinze mois. Le poète est enthousiaste et attend patiemment que passent les quinze mois. Dans ses Mémoires, Mathilde raconte qu’au début, elle ne l’aimait pas mais que ses poèmes étaient tellement beaux qu’elle a succombé.

Le mariage a lieu en août 1870, au moment où la guerre éclate. Mathilde a alors 17 ans. Elle ne sait pas encore qui elle vient d’épouser car Verlaine boit déjà, mais n’en montre pas grand-chose.

Le bonheur puis la désillusion

Au début de leur relation, le couple vit un vrai bonheur domestique : petit appartement Quai de la Tournelle, meublé avec des meubles Louis XV et des tissus dans les roses. Verlaine a l’air de goûter à cette ambiance, il a un petit travail à l’Hôtel de Ville, cela semble convenir. Le Verlaine que Mathilde décrit comme « gentil, doux, affectueux, bon enfant », elle n’en profitera que pendant quatorze mois. Suivront alors deux années d’enfer qui la laisseront terrorisée.

La première crise grave survient le 23 octobre 1871, alors que Rimbaud vient d’entrer dans leur vie. Verlaine raconte à Mathilde que Rimbaud, à Charleville, en est réduit à voler des livres pour pouvoir les lire, qu’il les garde ou parfois, qu’il les revend. Mathilde fait une réflexion malheureuse et Verlaine devient fou furieux. Alors qu’elle est enceinte jusqu’au cou, à une semaine d’accoucher, il la jette hors du lit et la pousse à terre.

Dans les jours qui suivent, il disparaît complètement. Il finit par rentrer, ivre mort, à quatre heures du matin. L’alcool le rend méchant et violent. L’alcool en question, c’est de l’absinthe, une substance qui, à hautes doses, détruit le système nerveux et rend fou.

Les colères de Verlaine ne se calment pas, au point que les parents de Mathilde imposent un garde-malade dans la chambre pour la protéger de son mari. Un soir, l’homme doit menacer Verlaine, rentré ivre mort avec un tisonnier rougi au feu.

En janvier 1872, alors que son fils a trois mois, Verlaine, complètement ivre, saisit le bébé par le pied et dans un accès de rage, le projette contre un mur. Le nourrisson s’en tire miraculeusement sans dommage. Puis il tente d’étrangler Mathilde, sauvée in extremis par l’arrivée de son père.

"Un an de paradis, un an d'enfer"

Les parents de la jeune femme l’emmènent à Périgueux pour six semaines d’isolement et de repos complet. En 1874, elle obtient la séparation et ne se remarie qu’en 1886. Voici ce qu’elle écrit dans ses Mémoires : 

" Un an de paradis, un an d’enfer et de souffrance continuelle. Voilà ce que furent mes deux années de mariage. Que s’était-il passé ? Quelles furent les causes de mon malheur, de ma vie brisée, et plus tard de la triste et aventureuse existence de Verlaine ? Rimbaud. L’absinthe. "

Leur fils, Georges Verlaine, est devenu poinçonneur de tickets à la station Malesherbes, puis chef de gare à la station Villiers, à Paris.