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Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte la plus grande star française de son époque et son voyage en terres ennemies sous l’Occupation. Le mercredi 18 mars 1942, gare de l’Est, le quai du train qui relie Paris à Berlin est envahi de photographes. On se bouscule pour apercevoir Danielle Darrieux, la fiancée de Paris, qui embarque pour une tournée de 12 jours suite à l'invitation d'un ministre allemand...

Le mercredi 18 mars 1942, gare de l'Est, le quai du rapide Paris-Berlin a été investi par des photographes. Journalistes et voyageurs se bousculent pour tenter d'apercevoir un groupe qui s'avance lentement. Les femmes portent de longs manteaux en vison, les bras chargés de bouquets printaniers. Les hommes très élégants arborent chapeau en feutre, manteau et écharpe.

Et soudain, un frémissement. Mais oui, c'est bien elle, la grande star française du moment : Danielle Darrieux, la fiancée de Paris, celles dont les initiales D.D. suffisent à l'identifier dans le monde entier. Mais que fait-elle dans ce train, que l'Histoire retiendra dans l’après-guerre comme le train de la honte ?

A l'invitation de Goebbels, le ministre de la Propagande de l'Allemagne nazie, ces actrices et acteurs français partent pour une tournée de douze jours en Allemagne et en Autriche, pour en visiter les studios de cinéma et rencontrer leurs homologues germaniques, sous les yeux de la presse. A leur corps plus ou moins défendant, ils vont être des instruments de la propagande nazie…

Porfirio Rubirosa, le playboy de Danielle Darrieux

En fait, nous explique l'auteur Jérôme Bimbenet, si Danielle Darrieux a accepté de participer à ce voyage, c'est uniquement pour pouvoir retrouver l'homme qu'elle aime, qui est alors prisonnier en Allemagne. Depuis son divorce avec son mentor Henri Decoin en 1940, elle est tombée follement amoureuse. Elle ne pense plus qu'à une chose : retrouver son amant en Allemagne et fuir avec lui jusqu'à la fin de la guerre.

Alors qui est cet homme, cet amoureux ? Il s’agit du magnifique Porfirio Rubirosa, un diplomate qui représente la République Dominicaine à Vichy. Rubirosa a grandi à Paris, où son père était déjà diplomate, il parle donc parfaitement le français. C’est un playboy, un séducteur et surtout un très grand fêtard. Dans ses Mémoires, il écrit notamment : 

" Je ne m’intéressais qu’au sport, aux filles, aux gens célèbres. Pour faire court : à la vie. "

Pour lui mettre un peu de plomb dans la cervelle, son père l’envoie faire du droit en République Dominicaine. Là-bas, il devient très proche du dictateur dominicain Trujillo, qui l’envoie à Paris auprès de sa fille Flor de Oro. Rubirosa la séduit et l’épouse en 1932, ce qui lui ouvre les portes de la diplomatie.

Il a d’abord été nommé à Berlin en 1936, puis à Londres. Bien qu’il ne soit que très peu dans son ambassade (ce n’est pas le travail qui l’intéresse le plus), Trujillo le trouve parfait. C’est un excellent diplomate parce que les femmes l’aiment et que c’est un grand menteur… Flor de Oro va en faire l’expérience. Très vite, elle se lasse de ses infidélités et demande le divorce en 1938.

Quand ils se rencontrent, Danielle Darrieux et Porfirio Rubirosa sont tous les deux divorcés. Ils sont voisins à Neuilly. « Il était divin, beau comme un dieu », racontera plus tard D.D.

Un accord avec les Nazis

Mais Rubirosa est une forte tête et cela ne va pas jouer en sa faveur. Il insulte d’abord des officiels allemands et quand la République Dominicaine rejoint le camp des Alliés, il est arrêté et emprisonné à Bad Nauheim en Allemagne. Et si Danielle Darrieux a accepté de participer au voyage des acteurs français en Allemagne, c’est justement parce qu’elle a négocié de pouvoir retrouver son amant pendant une semaine. Elle devra se défendre de cette décision toute sa vie durant.

Peu de temps après ce voyage, Rubirosa est libéré. Danielle Darrieux l’épouse à Vichy et les jeunes mariés s’en vont vivre leur passion à l’écart de la guerre, à Megève, en résidence surveillée. Ce mariage hors du temps ne durera que jusqu’à la fin de la guerre : le couple divorce en 1947.

Des chemins différents

Après cette idylle, Danielle Darrieux reprend le chemin des tournages et s’éloigne des rôles de jeune fille écervelée. Elle tourne dans de grands films, notamment pour Max Ophuls. Porfirio Rubirosa, lui, est nommé à Rome et se mariera trois fois de plus avant sa mort en 1965.

On lui a prêté des liaisons avec les plus belles femmes de l’après-guerre : Marilyn Monroe, Ava Gardner, Kim Novak, Rita Hayworth, Judy Garland, Eva Perón… Sa mort fut à la hauteur de sa réputation : il perdit la vie au volant de sa Ferrari, dans le Bois de Boulogne qu’il passait pour rentrer chez lui. On dit de lui que c’était la plus belle arme de séduction massive de l’après-guerre qui s’en allait…

Quant à Danielle Darrieux, sa carrière ne s’est achevée qu’en 2010, après 110 films et alors qu’elle avait 93 ans. Elle ne mourut que sept ans plus tard, en 2017, à l’âge de 100 ans tout rond.