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Chaque jour, David Abiker scrute la presse papier et le web et décrypte l'actualité.

La presse d’hier et d’aujourd’hui en mode DDay

À la Une de Ouest France ce 6 juin : l’hommage et le souvenir, du Figaro "6 juin 1944, le matin de la liberté". "DDay, le jour de gloire des vétérans" choisit Les dernières nouvelles d’Alsace. Mais c’est le Parisien-Aujourd’hui en France qui fait le mieux résonner le passé avec le présent "DDay Comme on se retrouve !" et le quotidien d’assortir ce titre aigrefin d’une photo de Macron et Trump aux cérémonies d’hier à Porthmouth, Macron regarde par ici, Trump la mine sévère regarde ailleurs. Et pour cause, "Trump tourne le dos à l’Europe", analyse Le Monde histoire de rappeler que les alliés d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui. On parle aussi du débarquement en Une de l’Opinion qui évoque la tentation du débarquement de Mélenchon, par son opposition interne, après son score faiblard aux européennes. Et puis bien sûr il y a les divisions de la droite qui n’ont rien avoir avec les divisions aéroportées d’hier et Valérie Pécresse qui ne rejoint pas le monde libre, juste son petit mouvement, Libre. Ce matin dans la presse les batailles d’hier ne sont pas les guéguerres d’aujourd’hui.

Qu’on dit les journaux au lendemain du débarquement ?

Comment les correspondants de guerre l’ont-ils couvert à l’époque ? Courrier International réunit quelques extraits des journaux paru au lendemain du 6 juin 1944. En Grande Bretagne, dès le 7 juin 1944 le Manchester Guardian titrait avec des accent Churchilliens "Nous sommes l’histoire" et publiait les dernières heures du grand événement par son correspondant parachuté avec la 6e division aéroportée. Vu d’Union soviétique, le quotidien Komsomolskaïa Pravda, l’engagement en Europe est lancé alors que dans ses colonnes un général soviétique prend soin de préciser que le débarquement allié est un second front. Le second après le front de l’est évidemment. Vu des États-Unis, c’est évidemment l’enthousiasme "C’est un vrai miracle que nous ayons réussi", écrit Ernie Pyle d’Associated Press, un déluge de feu, des pièges pour les bateaux, des araignées de fer sur la plage, des milliers de soldats américains cloués au sol qui progressent mètre par mètre. Mais vu d’Allemagne, le journal officiel de propagande ne s’avoue pas vaincu "Nos défenses n’ont pas été surprises", tente de se persuader la presse nazie.

Le château de Vouilly transformé en salle de presse

La scène se passe en Normandie, au Château de Vouilly à quelques kilomètres de la plage d’Omaha Beach. On frappe à la porte, un matin de juin 1944, la châtelaine va ouvrir : un officier américain. L’opération Overlord se profile annonce le militaire à Alexandrine médusée. Et c’est ici, chez elle que s’installe les correspondants de guerre, c’est au château de Vouilly qu’ils établiront leur salle de presse. Ils seront 150 et parmi eux des plumes illustres Ernest Hemingway, Robert Cappa et Ernie Pyle encore lui. Et c’est d’une des salles du château réquisitionnée, réaménagée que les reporters vont écrire, raconter au monde entier la libération de la France. Ils n’ont pas le droit de dire d’où ils écrivent, chaque article commencera par "de quelque part en France". Contigu à la salle de presse un petit vestibule. C’est la que les officiers relisent les papiers des journalistes, c’est le bureau de la censure, une nécessité stratégique mais également politique, il faut maitriser l’image de la guerre auprès du grand public. Les journalistes quitteront le château en août 1944, conclut le Figaro, mais ils reviendront après-guerre, comme John Morris fondateur de Life.

L’histoire du débarquement, un enjeu politique

75 ans après, Laurent Joffrin (passionné d’histoire et directeur de Libération) explique le rôle de l’information dans la vision de ce 6 juin 1944. Car à chaque époque le politique en fonction du contexte et de ses intérêts tente de tirer la couverture à lui. Les Américains au sortir de la guerre, on reconnaîtra ensuite le rôle décisif des Anglais puis celui de la résistance française. Mitterrand fera du débarquement l’occasion de célébrer la coopération internationale, Chirac celle d’intégrer l’Allemagne aux commémorations. On finira par y convier les russes et c’est justice. Aujourd’hui, conclut Laurent Joffrin, les gouvernements américains et anglais ont en fait tourné le dos aux principes de coopération hérités de l’après-guerre. Derrières les hommages à l’héroïsme des soldats du 6 juin, se profile la pure et simple trahison de leurs idéaux.