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SAISON 2020 - 2021

Depuis le règne de Louis XIV, un mystérieux prisonnier surnommé le masque de fer, n’a cessé d’attiser la curiosité des contemporains, des historiens mais aussi des romanciers et des cinéastes. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte l’une des plus célèbres énigmes de l’Histoire. 

Saint-Mars, célèbre geôlier d’Etat est, sous le règne de Louis XIV, en charge d’un prisonnier dont personne ne connaît l’identité. A chacun de ses déplacements d’une prison à l’autre, le visage de ce mystérieux détenu est caché par un masque de fer ou de velours. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars raconte ​l'histoire vraie du masque de fer​. 

La deuxième épouse du frère de Louis XIV, la princesse Palatine, n’a jamais pratiqué la langue de bois. Dans sa correspondance avec sa famille allemande, elle ne ménage pas la Cour du Roi Soleil. Et les lettres d’un aussi haut personnage ne peuvent subir la censure du "Cabinet Noir" du Roi, dirigé par le marquis de Torcy. Grâce à cela, nous pouvons lire ce qu’elle a écrit le 10 octobre 1711 à sa tante Sophie de Hanovre : "Un homme est resté de longues années à la Bastille et y est mort masqué. Il avait à ses côtés deux mousquetaires pour le tuer, s’il ôtait son masque. Il a mangé masqué et dormi masqué. Il fallait sans doute que ce fut ainsi, car on l’a d’ailleurs très bien traité, bien logé et on lui a donné tout ce qu’il désirait. Il a communié masqué ; il était très dévot et il lisait continuellement. On n’a jamais pu apprendre qui il était."

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La princesse Palatine ne pouvait pas savoir que l’homme masqué avait quelque chose à voir avec la première épouse de son mari, Philippe, le duc d’Orléans, Henriette d’Angleterre, fille du roi Charles 1er décapité par Cromwell, et sœur du roi Charles II. L’historien Jean-Christian Petitfils s’est plongé avec beaucoup de sérieux dans cette énigme et il a épluché une immense documentation. Il a recensé toutes les hypothèses réunies en vue d’identifier l’homme au masque de fer. Il en a trouvé… 55 ! Je ne vais pas vous parler de chacune mais tenter de remonter le fil qui a permis à l’historien de démasquer enfin, au sens propre,  l’homme au masque de fer.

Les prisonniers de Pignerol

Le 4 septembre 1687, en plein règne de Louis XIV, une gazette manuscrite, qui circule dans les milieux jansénistes, raconte un étrange évènement : "Monsieur de Saint-Mars a transporté, par ordre du Roi, un prisonnier d'État de Pignerol aux îles Sainte-Marguerite. Personne ne sait qui il est ; il y a défense de dire son nom et ordre de le tuer s’il le prononce. Il était enfermé dans une chaise à porteurs, ayant un masque d’acier sur le visage et tout ce qu’on a pu savoir de Saint-Mars était que ce prisonnier était depuis de longues années à Pignerol et que tous les gens que le public croient morts ne le sont pas."

C’est la première fois que l’on mentionne l’homme au masque de fer. Pignerol est une ville du Piémont, située sur la route qui va de Briançon à Turin. La France l’occupait grâce à Richelieu, depuis 1630. Cette ville est dominée par une sombre et rébarbative forteresse, un vieux château médiéval biscornu qui est devenu une prison d’Etat. Le donjon est protégé par un mur d’enceinte, séparé de la citadelle par un pont-levis toujours relevé. Les sentinelles surveillent en permanence le chemin de ronde. Le gouverneur de cette prison depuis 1665 est M. de Saint-Mars. Il dépend directement du Secrétaire d’Etat à la Guerre, Louvois.

Saint-Mars avait d’abord servi dans l’armée mais c’est l’arrestation de Fouquet, à laquelle il a participé, qui va le conduire à Pignerol. Nicolas Fouquet, Surintendant des Finances, avait eu le malheur de déplaire au jeune roi Louis XIV par une fête trop fastueuse qu’il avait donnée dans son château de Vaux-le-Vicomte. Accusé de prévarication et de crime de lèse-majesté pour avoir fortifié son domaine de Belle-Ile sans l’accord du Roi, il est arrêté, jugé, enfermé d’abord à Angers, puis au château de Vincennes, puis à la Bastille. Il est condamné à l’exil par la Cour de Justice. Louis XIV trouve ce jugement trop clément et le transforme en un emprisonnement à vie. Colbert et le Roi cherchent un homme de confiance et un lieu imprenable pour garder le coupable. C’est ainsi que depuis 1665, M. de Saint Mars est gouverneur de Pignerol et que son prisonnier principal est Fouquet.

Le prisonnier Lauzun 

Mais il n’y a pas que Fouquet à Pignerol. Il y a un autre hôte de marque, Lauzun. Il est arrivé le 12 décembre 1671 dans un carrosse entouré d’une troupe de mousquetaires. C’était d’Artagnan qui était à leur tête, tout comme pour l’arrivée de Fouquet. Pourquoi Lauzun est-il condamné à l’emprisonnement à Pignerol ? Ce n’est pas pour avoir épousé clandestinement la Grande Mademoiselle, la cousine germaine du Roi Soleil, Anne-Marie-Louise d’Orléans, comme on l’a souvent dit, mais plutôt à cause de ses relations assez tumultueuses avec Mme de Montespan, alors maîtresse du souverain. 

Il avait réussi à se faire introduire dans l’appartement de Madame de Montespan et se glisser sous le lit de la favorite en attendant l’arrivée du Roi. Ayant entendu tout le mal qu’on disait de lui, Lauzun, sortit de sa cachette après le départ de Louis XIV et explosa de colère devant la favorite. Il eut ensuite une entrevue mouvementée avec le Roi qui lui donna cinq jours pour présenter ses excuses à sa favorite. Lauzun ne s’excusa pas et c’est la raison pour laquelle il se retrouve prisonnier à Pignerol en 1671. 

D’autres prisonniers vont arriver mais bénéficieront d’un statut moins prestigieux que Fouquet et Lauzun. Le premier s’appelle Dubreuil. C’est un agent double qui fournissait des renseignements sur les Pays-Bas espagnols. Il avait été arrêté au moment où il tentait de franchir la frontière pour apporter des informations au roi d’Espagne en mai 1676. Il y a aussi le moine Jacobin Lapierre, un fou qui cherchait la pierre philosophale et aussi le comte Matthioli, ambassadeur de France à Venise. Il avait participé à des négociations secrètes relatives à un projet d’implantation française au nord de l’Italie. Un traité avait été signé avec Louis XIV mais au moment de l’échange des ratifications, on s’aperçut que Matthioli avait vendu les secrets de ces tractations à la duchesse de Savoie et aux représentants de l’Espagne et de l’Empire. Le traître avait été conduit à Pignerol en 1678. Il y avait aussi le valet Larivière, mis au service de Fouquet. Enfin, dans la prison de Pignerol, il se trouve aussi un certain Eustache Danger, entré en 1669 et venant de Dunkerque.

Eustache Danger et son secret

Louvois avait envoyé ses instructions à M. de Saint-Mars : "Le Roi m’ayant commandé de faire conduire à Pignerol le nommé Eustache Danger, il est de la dernière importance à son service qu’il soit gardé avec une grande sûreté et qu’il ne puisse donner de ses nouvelles en nulle manière et par lettre à qui que ce soit. Il faudra que vous portiez vous-même à ce misérable une fois le jour de quoi vivre toute la journée et que vous n’écoutiez jamais, sous quelque prétexte que ce puisse être, ce qu’il voudra vous dire, le menaçant toujours de le faire mourir s’il vous ouvre jamais la bouche pour parler d’autres choses que de ses nécessités."

Mais qui est cet Eustache Danger qui, apparemment, a connaissance d’un redoutable secret ? 

Il a été arrêté à Calais en août 1669. Cette arrestation est probablement liée aux discussions secrètes entre la France et l’Angleterre qui vont aboutir, en 1670, à la signature du Traité de Douvres. Les négociations étaient menées d’un côté par la belle-soeur de Louis XIV, Henriette d’Angleterre, et de l’autre par son frère Charles II, le roi d’Angleterre. 

Les correspondances étaient chiffrées : il s’agissait pour le souverain anglais d’obtenir le soutien militaire du roi de France sitôt qu’il annoncerait sa conversion au catholicisme, sujet explosif dans un pays acquis à l’anglicanisme. On appelait cela "le Grand Secret". En échange, Charles II accordait un appui naval à la France dans la guerre qui se préparait contre la Hollande. Après la signature du traité de Douvres et son retour en France, Henriette meurt subitement après avoir bu un verre d’eau de chicorée. Cela inspirera à Bossuet sa plus célèbre  homélie : "Madame se meurt, Madame est morte".

Danger aurait donc été un intermédiaire indiscret de ces tractations, qu’il fallait réduire au silence. Les instructions de Louvois sont claires : personne ne doit écouter un mot de ce qu’il pourrait raconter mais il n’est pas encore question d’un masque de fer pour lui.

Le temps passant, l’importance du secret paraît diminuer. En 1675, à la mort d’un des deux domestiques de Fouquet, Saint-Mars explique à Louvois qu’il lui est impossible de recruter de nouveaux valets. L’autre serviteur, Larivière, étant constamment malade, Saint-Mars propose à son ministre la candidature de Gustave Danger, ancien domestique lui-même. Louvois accepte à condition qu’il ne serve que Fouquet. Comme ce dernier est condamné à perpétuité, même si Danger parlait, ce ne serait pas très grave. Louvois craint davantage les bavardages avec Lauzun…  

Cependant, quand on décide d’alléger le régime carcéral de Fouquet, Danger n’est pas reconduit à son cachot : il continue à servir l’ex-Surintendant. Il va donc vivre quelque temps à côté de l’ancien ministre, qui pouvait désormais recevoir sans contrainte sa femme, ses enfants, son frère et les officiers de sa garnison. Danger était toujours là et on ne lui demandait pas de dissimuler son nom, ni son visage.

En janvier 1680, l’état de santé de Nicolas Fouquet se détériore. Le 11 mars, Louvois, qui avait ses informateurs à Pignerol, avertit Saint-Mars que ses prisonniers communiquent  à son insu. Le 23 mars, Saint-Mars répond à Louvois qu’il a trouvé, en effet, dans l’appartement de Fouquet un trou  pratiqué dans la cheminée grâce auquel il était en relation constante avec Lauzun, enfermé à l’étage inférieur. Mais cela n’a plus d’importance car dans cette même lettre, Saint-Mars annonce à son ministre la mort de l’ex-Surintendant. Il a succombé à une crise d’apoplexie, peut-être consécutive à la découverte de ses conversations avec Lauzun. 

Pour Saint-Mars, la mort de Fouquet est une catastrophe car elle s’accompagne de la libération de Lauzun. Le Roi lui pardonne d’avoir communiqué avec Fouquet. Il lui pardonne tout, car il a trop besoin de lui. En effet, la Grande Mademoiselle veut bien faire une donation de sa fortune au duc du Maine, le bâtard chéri du Roi, mais elle y met une condition : la libération de Lauzun qu’elle aime toujours et qu’elle veut épouser.

Que faire pour neutraliser Eustache Danger ? Louvois demande à Saint-Mars de remettre les deux domestiques  Danger et Larivière dans leur cul-de-basse-fosse, mais de persuader Lauzun que les deux valets de Fouquet avaient été libérés à la mort de leur maître. C’est exactement à ce moment que commence l’élaboration  par  Saint-Mars du secret du masque de fer…

D’Exilles à Sainte-Marguerite

Louvois décide alors de  nommer Saint-Mars gouverneur du fort d’Exilles dans le Piémont avec les deux prisonniers de la tour d’en bas, c'est-à-dire Larivière et Danger. Les autres condamnés resteront à Pignerol. La mise au secret de Danger sera plus facile à gérer.

Saint-Mars va passer plus de cinq ans à Exilles en compagnie de ses deux prisonniers. Il assure Louvois qu’il les garde sévèrement. Il a pris toutes les mesures nécessaires pour qu’ils n’aient aucun contact avec qui que ce soit. Mais Saint-Mars s’ennuie… Les journées sont longues à Exilles. Début janvier 1689, Louvois lui accorde le gouvernement des îles Saint-Marguerite et Saint-Honorat au large  de Cannes. Il est éperdu de reconnaissance envers son ministre. Enfin du soleil !

La même année, Larivière, le valet de Fouquet, meurt. Saint-Mars n’aura donc à emmener avec lui qu’un seul prisonnier, Eustache Danger. Il imagine alors, pour bien prouver qu'il a avec lui un prisonnier de la plus haute importance, de lui faire porter le fameux masque de fer. Le voyage sera effectué par chaise à porteurs et le prisonnier manquera d’étouffer en cours de route : le port du masque lui est insupportable. Saint-Mars avait une autre raison de faire porter un masque à Eustache Danger : il avait reçu l’ordre de l’escamoter et de faire croire à tous qu’il avait été libéré. Il ne voulait pas courir le risque qu’il soit reconnu par les soldats qui l’avaient vu dans l’appartement de Fouquet.

Lorsqu’on gagne par bateau l'île Sainte-Marguerite, on voit tout de suite, accrochée à un éperon rocheux, une ancienne forteresse réaménagée par Vauban. A l’intérieur de l’enceinte du fort, une prison donne directement sur la mer. On peut encore voir la chambre du masque de Fer. Elle fait face à la baie de Cannes. C’est une pièce sombre mais spacieuse, de 30 m2 environ, dont la fenêtre est protégée par trois rangées de grilles que ronge l’air marin avec des murs de près de deux mètres d’épaisseur et une entrée munie de deux lourdes portes cloutées. Jamais un rayon de soleil n’y pénètre. 

Cette chambre a été aménagée peu avant son arrivée en 1687. Il va y être enfermé jusqu’à la fin du mois d’août 1698, date à laquelle Saint-Mars va conduire le prisonnier à la Bastille dont il vient d’être nommé Gouverneur. Cette-fois, le transfert sera fait en litière et il ne portera plus de masque de fer mais un masque de velours avec des armatures métalliques lui permettant de s’alimenter. Le lieutenant de cette forteresse, Etienne Du Junca, raconte l’arrivée du prisonnier: "Jeudi 18 septembre, à trois heures après midi, M. de Saint-Mars, Gouverneur du château de la Bastille, est arrivé, pour sa première entrée, venant de son gouvernement des Îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, ayant avec lui dans sa litière un ancien prisonnier qu’il avait à Pignerol, lequel il fait tenir toujours masqué, dont le nom ne se dit pas et, l’ayant fait mettre en descendant de sa litière dans la première chambre de la tour de la Bazinière, en attendant la nuit, pour le mener moi-même, à 9 heures du soir, dans la troisième chambre seul, de la tour de la Bertaudière que j’avais fait meubler de toutes choses quelques jours avant son arrivée."

Le port obligatoire du masque de velours 

Jusqu’à la fin de sa vie, le prisonnier devra porter un masque de velours et non de fer chaque fois qu’il se rend à la messe ou quand il doit rencontrer le médecin de la Bastille. Ce dernier n’a jamais vu son visage, pas plus que l’aumônier de la Bastille qui le confessait. Jusqu’au bout, Saint-Mars a entretenu le mystère autour de la personnalité de son prisonnier dont il connaissait pourtant parfaitement l’identité et qui ne présentait plus aucun danger pour la monarchie. Il se délectait sans doute de toutes les rumeurs répandues sur ses possibles identités. Il devait être le gardien d’un immense secret, du moins le croyait-on et derrière ce masque, on ne pouvait qu’imaginer un personnage important. 

Le 19 novembre 1703, le prisonnier au masque de velours noir se sent mal en sortant de la messe. Il meurt à 10 heures du soir. Il sera enterré le lendemain, à 4 heures de l’après-midi dans le cimetière Saint-Paul-des-Champs, de la paroisse de la Bastille. Sur l’acte de décès établi à la sacristie, on lui donne le nom de Marchioly, âgé de 45 ans environ. Le nom est inspiré d’un ancien prisonnier de Pignerol, Matthioli, mort depuis dans la prison de sainte-Marguerite. 

L’âge est sans doute erroné puisque le médecin de la Bastille lui en donnait 60 environ. Pour Jean-Christian Petitfils, il n’y a pratiquement aucun doute sur l’identité du Masque de fer : c’était bien Eustache Danger. Mais Saint-Mars avec son utilisation du masque de fer puis de velours avait permis d’imaginer tant d’autres identités infiniment plus prestigieuses. Le masque de fer deviendra beaucoup plus célèbre après sa mort que de son vivant !

 

Ressources bibliographiques :

Jean-Christian Petitfils, Le masque de fer, entre histoire et légende (Perrin, 2003, réédition Tempus 2004)

Jean-Christian Petitfils, Le masque de fer démasqué ? (Les énigmes de l’histoire de France, Perrin/Le Figaro Histoire, 2018)

 

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Laurent Sirguy
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo 
Graphisme : Karelle Villais