Désolé, ce contenu n'est plus disponible.
  • Copié
SAISON 2020 - 2021

Le 2 décembre 1804, pour sa fastueuse cérémonie de sacre, Napoléon se pare d'une épée hautement symbolique... Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", en partenariat avec le château de Fontainebleau où se tiendra l'exposition "Un palais pour l'Empereur, Napoléon Ier à Fontainebleau" à partir du 15 septembre, Jean des Cars vous raconte l'histoire de cette arme exceptionnelle. 

A l’hiver 1804, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, des milliers de Français sont réunis pour assister au sacre du Premier Consul. Napoléon a revêtu un grand manteau de velours rouge ouvert qui dévoile une somptueuse épée. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars revient sur l’histoire de cette arme mythique, symbole du parcours militaire de Napoléon.

 

Pleinement Empereur depuis le sénatus-consulte du 18 mai 1804, Napoléon souhaite que la prestation de son serment constitutionnel ait pour cadre un lieu prestigieux. Ce ne sera évidemment pas Reims, trop marqué par le sacre des Bourbons, ce sera Paris. Après avoir écarté Saint-Louis des Invalides et le Champ de Mars, il impose Notre-Dame. Aux aspects civils du serment, Napoléon veut ajouter une célébration religieuse en présence du Pape. Il veut invoquer le droit divin. Il lui faut donc une fastueuse cérémonie de sacre, comme celle de Charlemagne, son modèle. 

La date est fixée au dimanche 2 décembre 1804. Cela donne le temps de négocier avec le Pape et de préparer minutieusement le protocole de la cérémonie. C’est aux architectes Percier et Fontaine que Napoléon a confié le décor intérieur et extérieur de la cathédrale. Outre la volonté d’un  décor magnifique, il fallait camoufler le très mauvais état de la cathédrale qui avait souffert des dégradations des révolutionnaires : la plupart des statues des saints étaient décapitées. On sait qu’il faudra attendre la parution, en 1831, du roman de Victor- Hugo “Notre-Dame de Paris” pour que la décision soit prise de restaurer la cathédrale. C’est Viollet-le-Duc qui en sera chargé.

La préparation de la cérémonie 

Le choix de Percier et Fontaine est une évidence. Ils ont aménagé la Malmaison, la résidence campagnarde du Premier Consul avant d’édifier, plus tard, l’Arc de Triomphe du Carrousel et d’exécuter de grands travaux aux palais du Louvre et des Tuileries. Toutes les fêtes nationales organisées sous le règne de Napoléon 1er seront ordonnées par leurs soins. Ils sont considérés comme les maîtres du style Empire. Contre la façade, ils vont édifier un porche triomphal composé de quatre grands arcs gothiques. Sur les deux principales colonnes, on reconnaît les statues de Clovis et de Charlemagne incarnant pour la France, l’un la monarchie, l’autre l’Empire. A l’intérieur, Percier et Fontaine vont aménager des tribunes et font tendre sur les murs des panneaux de soie  boutons d’or, brodés au fil d’or aux armoiries de l’Empire. Aux tribunes, des rideaux de velours bleu, eux aussi brodés et frangés d’or, sur lesquels apparaît le monogramme de l’Empereur.

Vous voulez écouter les autres épisodes de ce podcast ?

>> Retrouvez-les sur notre site Europe1.fr et sur Apple PodcastsGoogle podcasts, Deezer, SpotifyDailymotion et YouTube, ou vos plateformes habituelles d’écoute.

>> Retrouvez ici le mode d'emploi pour écouter tous les podcasts d'Europe 1

 

Le dimanche 2 décembre 1804, Paris s’éveille sous la neige et par un froid de -10°. Avant l’aube, le Préfet de Police Dubois a fait déblayer et sabler les voies qu’empruntera le cortège pour aller des Tuileries à Notre-Dame. Des troupes, habillées de neuf, forment une haie sur trois rangs tout au long du trajet que vont emprunter l’Empereur et le Pape. Entre 15.000 et 20.000 personnes ont été invitées à prendre place dans la cathédrale. Leur placement protocolaire est d’une extrême précision. La plupart sont des agents de l’Etat mais il y a aussi les représentants des grandes municipalités de province, des préfets, des sous-préfets, les élites du centre du pouvoir, sénateurs, législateurs, tribuns, conseillers d’Etat, maréchaux, généraux et ministres du culte.

Les portes de la cathédrale se sont ouvertes à 6 heures du matin. Pendant la cérémonie, le Te Deum de Paisiello, des motets de Le Sueur et le Vivat de l’Abbé Roze seront interprétés par deux orchestres, une fanfare, des chœurs et des solistes, en tout quatre cents artistes prennent place et accordent leurs instruments. Le froid ne doit pas aider les chanteurs ! A 9 heures, les dix voitures du cortège du Pape quittent les Tuileries. Elles arrivent à l’archevêché où Pie VII revêt les ornements pontificaux avant d’entrer dans la cathédrale glacée (il n’y a pas de chauffage) et de prendre place sur son trône. A 11 heures, c’est au tour du couple impérial de gagner la cathédrale dans un cortège de vingt-cinq voitures. Leur carrosse est attelé de huit chevaux blancs.

Napoléon et Joséphine, eux aussi, passent par l’archevêché où ils vont revêtir leurs habits de sacre. Napoléon se pare d’une tunique de satin blanc à franges d’or et d’un grand manteau de velours rouge brodé d’or doublé, d’hermine et ouvert sur le côté. Cette tenue pèse quarante kilos ! Le manteau ouvert de l’Empereur permet de voir l’épée du sacre qu’il porte au côté. Ce joyau symbolise la trajectoire de ce génie militaire qui, à la force de l’épée, devient Empereur des Français.

La conception de l'épée du sacre 

Cette épée a une histoire. Elle n’a pas été conçue pour le sacre. Napoléon la possédait déjà. Après le coup d’Etat du 18 Brumaire 1799, Bonaparte avait instauré en France le Consulat, un  triumvirat dont il était le Premier Consul, les deux autres étant Cambacérès et Lebrun. Ce régime était évidemment inspiré par l’Antiquité romaine. Dès 1800, Napoléon commence à réformer la France : fondation de la Banque de France, création des préfectures et des cantons, établissement d’une nouvelle monnaie, le Franc Germinal. Le Premier Consul se veut le fondateur d’une France moderne en mettant fin à la période révolutionnaire. Il bâtit une nation autour d’une ambition commune :

"On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérances."

C’est pour le remercier de ce rétablissement de l’ordre et de la reprise économique de la France que le 23 septembre 1801, le gouvernement de la République offre au Premier Consul une somptueuse épée d’apparat. Réalisée par la prestigieuse Manufacture d’Armes de Versailles, faite d’or et dotée d’un fourreau en écaille de tortue, l’épée est éblouissante. C’est le grand artiste parisien Jean-Baptiste Claude Odiot (futur fournisseur de l’Empire) qui cisèle son orfèvrerie de griffons enroulés. Il convoque ainsi un imaginaire médiéval et fait de cette épée l’héritière de Durandal, la lame mythique de Roland, le neveu de Charlemagne. Avec elle, Bonaparte incarne le héros national, digne successeur  de Bayard.

"Je n’ai pas succédé à Louis XVI mais à Charlemagne" avait proclamé Bonaparte en 1799. Sur le côté de l’épée, le caducée symbolise la réussite commerciale tandis que le miroir enroulé d’un serpent figure la prudence. C’est une allégorie du bon gouvernement. Marie-Etienne Nitot, le plus célèbre joaillier d’Europe, qui avait été celui de la reine Marie-Antoinette et fera plus tard la renommée de la maison Chaumet, s’est chargé du sertissage des cristaux et du jaspe sanguin. Mais l’ornement le plus spectaculaire de l’épée est sa coquille où scintille le Régent, le plus beau diamant du monde, célèbre pour sa pureté, sa dimension et la qualité de sa taille. C’est le régent qui en avait fait l’acquisition en 1717 pour la Couronne de France. Cette pierre, de 140 carats 50, découverte en Inde en 1698 par l’Anglais Thomas Pitt, s’appelait alors le grand Pitt. Son propriétaire l’avait proposé à tous les souverains d’Europe, y compris à Louis XIV, grand amateur de diamants, qui l’avait refusé en raison de son prix. C’est poussé par le financier Law que le régent se décide à acheter ce diamant pour le coût fabuleux de 2 millions de Livres. Il s’appellera désormais le Régent. L’acquisition se révélera une excellente opération puisqu’en 1791, il a été estimé à six fois son prix d’achat. 

A son sacre en 1722, Louis XV l’a porté sur le bandeau de la plus belle couronne jamais réalisée. Louis XVI aussi le portera sur sa couronne de sacre. Le Régent faisait partie des joyaux de la Couronne de France qui ont quitté Versailles en 1791 pour être conservés au nouveau Garde-Meubles, notre actuel Hôtel de la Marine, place Louis XV, nommée alors place de la Révolution et aujourd’hui place de la Concorde. Après la destitution du Roi en août 1792, lors des terribles massacres de septembre, le Garde-Meubles a été pillé pendant six jours, du 10 au 16 septembre. Tous les joyaux de la Couronne disparaissent, y compris le Régent. Très peu de joyaux furent retrouvés mais le Régent et le Sancy, trop connus et donc invendables, ont pu être récupérés. Le Directoire a mis plusieurs fois le Régent en gage auprès de banquiers étrangers. C’est en 1801, qu’il est récupéré par Bonaparte Premier Consul. Bien qu’icône de l’Ancien Régime, il attribuait à ce joyau une valeur de talisman, le symbole du retour à la prospérité de la France et son indépendance vis-à-vis des argentiers. Que le Régent soit serti dans son épée est hautement révélateur. Depuis le Moyen Âge, l'épée illustre la prérogative royale de rendre la Justice. Le Roi confie ce symbole du pouvoir, la garde de l’épée vers le bas, à son Connétable faisant de lui le premier officier de la Couronne, garant de la sauvegarde du royaume. Avec cette épée, Bonaparte devient en quelque sorte le Connétable de la République.

Le Premier Consul l’arbore volontiers dans toutes ses manifestations publiques. Il la porte au côté sur le célèbre tableau d’Ingres peint en 1804, intitulé "Portrait de Napoléon Bonaparte Premier Consul". En costume rouge à broderies d’or, la main droite glissée, comme à l’accoutumé, dans l’ouverture de son habit, il pointe de la main gauche un acte administratif posé sur une table. 

Une épée immortalisée par le peintre François Gérard 

Il aime tellement cette épée qu’elle sera son épée de sacre. Un grand tableau de Gérard représente Napoléon 1er revêtu de son costume de sacre, couronné de lauriers d’or, une émeraude à l’annulaire de sa main droite gantée de blanc dans laquelle il tient le sceptre surmonté d’un aigle, sa main gauche glissée contre son épée.  À côté, sur un coussin,  sont posés la main de Justice et le Globe surmonté d’une croix, symboles de sa puissance. Ce tableau est exposé au château de Fontainebleau face à la vitrine qui contient l’épée du sacre. Napoléon est dans une pose hiératique. Le  Premier Consul est devenu Empereur. François Gérard s’inspire du célèbre portrait de Louis XIV en costume de sacre de Hyacinthe Rigaud. Ce tableau ne sera achevé qu’en 1805. La peinture était destinée à Talleyrand, ministre des Relations Extérieures mais elle connaît un tel succès qu’elle va vite devenir le portrait officiel de l’Empereur.

Une série de répliques est commandée à l’artiste. Elles sont offertes à la famille impériale, aux grands dignitaires ou envoyées dans les ambassades françaises, par exemple à Vienne, à Amsterdam ou à Constantinople. Le portrait conservé à Fontainebleau est le plus ancien de la vingtaine d’exemplaires existants encore aujourd’hui. Grâce à Napoléon, la France, transformée en Empire, reprend sa place sur l’échiquier diplomatique international. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Las Cases explique la stratégie de Napoléon :

"On le fit Empereur, il créa des Grands et se fit une Cour. Toute l’Europe le reconnut. L’Empereur rétablit au dehors tout ce qui le mettait en harmonie avec les autres Cours de l’Europe. Mais au-dedans, il ajusta l'Étiquette ancienne avec les nouvelles mœurs."

Napoléon et Joséphine à Notre-Dame

Nous avions laissé Napoléon et Joséphine revêtant leurs costumes de sacre. Ils vont, eux aussi, faire leur entrée dans la cathédrale. Le protocole de la cérémonie a été longuement discuté avec le Pape. Elle va durer trois heures. Il était prévu que Napoléon ne communierait pas, que le pape bénirait les Regalia (Orbe, sceptre, main de Justice), que l’Empereur se couronnerait lui-même après quoi, il couronnerait Joséphine. Ensuite, le Saint-Père se retirerait dans la sacristie pour ne pas avoir à assister au Serment Constitutionnel qui rappelait les idées de la Révolution et surtout faisait explicitement référence au Concordat. Tout se passa comme prévu. Ce qui témoigne de cet évènement pour le monde entier et plus encore pour les Français est, évidemment, l’immense tableau de David intitulé "Le sacre de Napoléon".

Le peintre a choisi  de représenter le moment où Napoléon s’apprête à poser la Couronne sur la tête de Joséphine, agenouillée devant lui. C’est, en effet, l’artiste que Napoléon a choisi pour immortaliser ce moment historique. L'œuvre est  de dimensions impressionnantes : 6 mètres 21 mètres de haut, 9,79 de large. David a réalisé les croquis avant le sacre pour les décors et pendant pour croquer les personnages. Il mettra quatre ans pour achever ce tableau qui ne sera présenté au salon qu’en 1808. Napoléon se trouve, bien sûr, au centre de la composition. Le Pape, assis sur son trône derrière lui, semble las. Joséphine, agenouillée sur un coussin de velours bleu brodé d’or attend que l’Empereur pose la couronne sur sa tête. Les maréchaux et la famille impériale sont sur le côté droit, les ambassadeurs et Talleyrand sur la gauche. Dans la tribune que l’on voit de face, en arrière de Joséphine, trône Madame Mère. C’est une demande de Napoléon. En réalité, elle n’a pas assisté au sacre de son fils. Elle était à Rome auprès de son fils Lucien, fâché avec l’Empereur à cause de son mariage… avec une veuve divorcée. Madame Mère voulait toujours être auprès de son enfant le plus malheureux. Mais pour la postérité, il n’était pas imaginable qu’elle ne soit pas présente au sacre de Napoléon. Et bien sûr, on voit très bien l’épée du sacre, à la ceinture  du souverain.

Un autre peintre, Ingres, qui avait déjà représenté le Premier Consul en habit de velours rouge, la future épée du sacre au côté, a livré, lui aussi, un magnifique portrait de "Napoléon 1er sur le trône impérial en costume du sacre". L’Empereur, assis, tient de la main droite le sceptre, la Main de Justice est glissée le long de sa jambe gauche et appuyée sur son bras. Toujours sous le bras gauche de l’Empereur, la magnifique épée du sacre est bien visible. Son visage est moins serein et plus concentré que sur le tableau de Gérard.

Mais cette épée du sacre que l’Empereur avait tellement appréciée va cesser de lui plaire. Elle sera démantelée dans la plus grande indifférence, quelques années plus tard, en 1812. Elle a été le symbole de son accession au pouvoir. Il est maintenant Empereur depuis huit ans et s’apprête à envahir la Russie. Le Régent est alors desserti de la coquille de l’épée pour orner une nouvelle arme, le glaive de l’Empereur, réalisé par François-Regnault Nitot, le fils du joaillier de l’épée du sacre. 

Toutefois, Nitot récupère l’épée dessertie. Il la proposera, en 1852, à Napoléon III pour son “Musée des Souverains”, créé au premier étage de la Colonnade du Louvre. Aujourd’hui, les pierres qui sertissent l’arme sont des copies. Le Régent va continuer à être un  diamant de la Couronne. Il ornera celle du sacre de Charles X puis un diadème de l’Impératrice Eugénie. Il sera épargné lors de la désastreuse vente des Joyaux de la Couronne en 1887. Il est toujours exposé aujourd’hui au Musée du Louvre. L’épée reconstituée est offerte en 1880 au prince Victor Napoléon en exil dans une sorte de sarcophage reliquaire qui rappelle les grandes heures du règne de Napoléon 1er. C’est seulement à cette époque qu’elle reçoit son nom "d’épée du sacre". Un siècle plus tard, en 1979, le prince Napoléon et la princesse Marie-Clotilde lèguent une importante partie du trésor familial à l’Etat. L’épée rejoint alors les collections du musée napoléonien de Fontainebleau où on peut l’admirer aujourd’hui.

 

Ressources bibliographiques :

Thierry Lentz, Napoléon, l’album, Perrin, 2015

Thierry Lentz, Napoléon, Dictionnaire historique, Perrin, 2020

Pierre Branda, Joséphine, le paradoxe du cygne, Perrin, 2017

Jean Tulard, de l’Institut (direction), Dictionnaire Napoléon, Fayard, 1987

 

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Laurent Sirguy
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo 
Graphisme : Karelle Villais

Cet épisode a été réalisé en partenariat avec le château de Fontainebleau. Vous pourrez y découvrir l'exposition "Un palais pour l'Empereur, Napoléon Ier à Fontainebleau" à partir du 15 septembre.