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SAISON 2019 - 2020

En 1929, le train qui relie Paris à Istanbul est bloqué pendant douze jours à cause de la neige. Cet événement inspirera à Agatha Christie son célèbre roman policier : "Le crime de l'Orient-Express". Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous emmène à bord d'un train mythique.

Cet hiver, les retards de trains ou leur annulation, conséquence de la grève contre la réforme des retraites, ont fait la Une des médias. Mais les TGV français ne sont pas les seuls à avoir connu des déboires. En février 1929, le train le plus romantique du monde, l’Orient-Express, à destination d’Istanbul, a été immobilisé plusieurs jours. Il avait pour ainsi dire disparu des radars ! Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte l'histoire de la panne de train qui inspira Agatha Christie. 

Parti de Paris le 31 janvier 1929, le Simplon-Orient-Express, l’une des branches du légendaire Orient-Express, avance péniblement en Thrace orientale, c’est à dire en Turquie, après la frontière bulgare. Une tempête de neige et des congères freinent sa progression sur la voie unique. A 130 km de son terminus, au village de Tcherkesskeuy (Çerkezköy), la luxueuse rame est bloquée. Impossible d’avancer et bientôt, de faire machine arrière car la neige tombe en abondance et se transforme en glace. La température descend à -25 degrés ! Toute la partie européenne de la Turquie est figée par le froid. Le train lui-même est presque dissous dans cet univers blanc. Seuls les filets de vapeur et les lanternes révèlent la locomotive immobilisée.

Les secours ? Il n’y en pas ! Le personnel des deux voitures-lits, des fourgons et de la voiture-restaurant se démène, héroïque, pour assurer la survie des voyageurs. L’un d’eux, un Britannique, qui ne voyage jamais sans sa paire de fusils Holland & Holland, abat d’une balle un loup rôdeur aux alentour du train. Le loup avait faim, les voyageurs aussi. Comme dans Le Petit Chaperon rouge, c’est le loup qui perd et fait son apparition, imprévue, comme seule viande à la cuisine mais, hélas, presque froid ! 

L’eau est gelée, le charbon manque, la pression tombe, le chauffage n’est plus qu’un souvenir. Le Simplon-Orient-Express, le train le plus luxueux du monde, celui des voyages de noces romantiques vers les lacs italiens et Venise, semble s’enfoncer dans les entrailles d’une planète de glace. Rapidement, des plaques de neige et de givre recouvrent le train comme un sarcophage nacré. Il est momifié par des murs de neige de 5 m de haut !

L'Orient-Express a disparu

Sur le Bosphore, où le train, réputé pour sa ponctualité, était attendu, une stupéfiante rumeur agite le Bazar de l’ancienne Constantinople, devenue Istanbul et qui a perdu son statut de capitale au profit d ‘Ankara en 1924 : L’Orient-Express a disparu !

Ce n’est pas croyable ! Comment un tel train peut-il être effacé du paysage,des gares et de son itinéraire bien connu ? Les lignes téléphoniques et télégraphiques sont hors d’usage.  Même la gare de Tcherkesskeuy (Çerkezköy), près de laquelle l’express est arrêtée, est isolée du monde ! A la Compagnie des Wagons-Lits et des Chemins de Fer turcs, aucun employé, aucun chef de gare ne sait où est le fameux train ! 

De con côté, le personnel de l’express-fantôme, en prenant de grands risques, monte sur les toits des voitures, essayant de faire fondre de la glace avec des briquets pour donner à boire aux passagers une eau à peine tiède. La cuisine n’a plus de réserves, ni vin, ni alcools ! Des paysans du village, venus en curieux, proposent des soupes et des œufs à prix d’or car, évidemment, les voyageurs d’un tel train dont on a tant parlé, sont forcément riches ! Un poulet est acheté à la valeur d’un bijou ! Un maharadja offre des morceaux de pains rassis à ses compagnons. Ils lui ont presque coûté le prix d’un collier de perles ! Et les femmes qui l’accompagnent sont frigorifiées ! 

De laborieuses tractations permettent d’alimenter les plus fortunés mais le chef de cuisine veille à partager les achats dans ce marché  imprévu... Il faut nourrir tout le monde, en première et en deuxième classe : le chef de train y veille ! Hélas, bientôt, l’angoisse paralyse les compagnons de cette incroyable mésaventure. Quand la nuit tombe, de grands oiseaux tournent au-dessus de train en poussant des cris sinistres ! Et si des loups attaquaient le train ? Ou des brigands ? Tout le monde s’enferme dans ses cabines et des messieurs, avec le personnel, organisent une veille, armés de leurs fusils de chasse. La lueur des bougies faiblit et les  batteries de secours sont déchargées... On ne voit plus rien !

Une mésaventure qui fait la Une des journaux

A Istanbul, on finit par mesurer l’ampleur de cette catastrophe sans précédent : il n’y a plus aucune nouvelle du train ! Enfin, on envoie une locomotive chasse-neige, américaine, à la rencontre du train perdu. Elle mettra cinq jours pour arriver. Heureusement, elle est équipée de deux chasse-neige, un à l’avant, un à l’arrière. Ainsi, elle peut manœuvrer dans les deux sens. De son éperon rouge, en acier, la machine de secours déchire lentement le mur glacé, dans un bruit de craquement inquiétant. 

Après cent vingt heures de lutte contre les éléments, la voie est enfin dégagée et la locomotive chasse-neige peut enfin remorquer, à très petite vitesse, le convoi des naufragés. Ils ne sont pas au bout de leur peine ! A 40km/h,le Simplon Orient-Express naufragé mettra encore trois interminables jours à atteindre la gare européenne d’Istanbul, celle de Sirkeçi. 

Les voyageurs, épuisés, sont accueillis en héros et en miraculés.  Le directeur de la ligne, en redingote, ne sait plus comment s’excuser ! Des médecins, des infirmières, des employés des chemins de fer, plutôt honteux, sont là avec des couvertures, des victuailles, des gâteaux sucrés et du champagne et un thé brûlant au milieu d’une foule de curieux et de vendeurs de toutes sortes de souvenirs. 

Il y aussi, évidemment, des journalistes : l’odyssée du Simplon Orient-Express fera la une des journaux turcs et même du monde entier car une telle mésaventure est sans précédent. Et quelle mauvaise image pour le prestige du premier train international du monde ! Il avait été lancé de Paris, le 6 octobre 1883 par le Belge Georges Nagelmackers, un pionnier du confort sur rails, fondateur de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits.

Trois records battus

Alors, se déroule une scène surprenante.  Les voyageurs tiennent à saluer le courage de tout le personnel du train, du chef de traction au plongeur de la cuisine. Viennois, Napolitains, Britanniques et même le Maharadjah et un diplomate français qui étaient à bord, tous et toutes signent, avec leurs noms, qualités et adresses, une lettre collective de félicitations. Ils en oublient qu’ils ont failli mourir de froid et de faim. Sur cette déclaration, solennelle et reconnaissante, datée du 12 février 1929, on peut lire : "Nous, voyageurs du Simplon-Orient-Express, témoignons que les employés du train, au risque de leur santé, sont montés sur les toits des wagons en pleine tempête afin de nous approvisionner, autant que possible, en eau. Et bien que manquant de charbon pour maintenir une température à peu près supportable, tous, sans exception, ont fait leur devoir jusqu’au bout ".

L’aventure fait le tour du monde, avec des détails parfois surprenants ou invérifiables. Contentons nous de ce qui est avéré : il est exact que le Simplon-Orient-Express bat, involontairement, trois records : celui du retard (cinq jours), celui de la durée totale du voyage (douze jours contre trois, durée du trajet normal) et cela sans une seule plainte ou réclamation, ce qui constitue un autre genre d’exploit ! 

Les spécialistes font la comparaison avec le Transsibérien russe, qui ne met que douze jours pour parcourir, par tous les  temps, plus de 10.000 kms, de l’Europe à l’Asie. Et lui affronte, sans retard, les redoutables hivers de l’Oural et de la Sibérie.  La presse britannique relaie les journaux turcs. Ainsi, dans le Times de Londres  du 11 février, sous le titre " L’incurie de la Compagnie des Chemins de fer orientaux ", on lit cette opinion d’un  quotidien d’Istanbul : "Ainsi que nous l’avons annoncé hier, la longue détention dans les neiges des passagers de l’Orient-Express a pris fin. Ce n’était pas trop tôt. Et à ce propos, quelques réflexions s’imposent : si l’on songe que pour venir en Turquie, le convoi a traversé les derniers contreforts des Alpes, à la frontière entre l’Italie et la Yougoslavie, les Balkans et le Rhodope, la région de Nis, en Macédoine, où les neiges atteignent par endroits une hauteur moyenne de dix mètres, la plaine bulgare enfin et que partout, il a pu passer sans incident pour venir en Thrace orientale où la neige ne dépasse pas cinq mètres, non ne peut s’empêcher de penser de constater que l’organisation des Chemins de fer orientaux est inférieure chez nous à ce qu’elle est dans les petits Etats voisins ".

Pourquoi un tel écho international ?

Certes, ce retard est historique mais l’affaire s’est achevée sans drame : il n’y a eu ni mort ni blessé. Alors, au-delà de la réputation du fameux train, pourquoi l’événement prend-t-il une si vaste dimension ? C’est à  cause de l’originalité de la circulation des trains de la Compagnie Internationale des Wagons- Lits et des Grands Express Européens (c’est sa dénomination complète). 

En effet, les voitures-lits, voitures-restaurants et fourgons à bagages sont la propriété de cette société de droit belge, qui les a construits. Et depuis les début des années vingt, les voitures en bois de teck ont été remplacées par des voitures en acier bleu nuit, confortables, et même luxueuses en première classe puisqu’elle proposent de somptueuses, cabines individuelles, une innovation.  

C’est donc un matériel privé, homologué par les États qu’il traverse, qui roule. Dans près de quarante pays, des agences sont chargées des réservations et de l’émission des billets.  En revanche, les locomotives, tenders et tout ce qui concerne la traction et la marche du train, l’entretien des voies, la signalisation, le ravitaillement en charbon et en eau, dépendent des sociétés, étatiques ou privées, qui exploitent la ligne. Autrement dit, dans cette affaire, c’est la compagnie des Chemins de Fer Turcs, concessionnaire de l’exploitation, qui est jugée responsable de cette invraisemblable situation. En effet, c’est sur le territoire turc que s’est déroulé l’incident inimaginable...

Dans l’ancien Empire Ottoman devenue la République  laïque de Mustapha Kemal Ataturk, il est évident que l’orgueil national est manifestement blessé. Ces reportages précis et éditoriaux  sévères font le tour du monde. Ils tombent sous les yeux d’une jeune romancière anglaise. Née Agatha Mary Clarissa Miller, elle est divorcée du major Archibald Christie, un aviateur. Vous l’avez compris : il s’agit d’Agatha Christie, qui s’est fait déjà connaître par un roman policier original "Le meurtre de Roger Ackroyd " ! 

Un roman original

Pour Agatha Christie, le train coupé du monde pendant plusieurs jours va devenir le cadre exceptionnel d’un assassinat qui sera, lui aussi, très original. Née en 1890 dans la très chic station balnéaire de Torquay, celle qui était née Agatha Miller se destinait à être cantatrice. Mais elle n’avait aucun don... Ses parents recevaient des auteurs célèbres, tels Rudyard Kipling et Henry James. Passionnée de lecture, elle ses plonge dans les aventures de deux héros de fiction, Sherlock Holmes et Rouletabille. Et c’est ainsi qu’elle a l’idée de créer son propre personnage, Hercule Poirot en disant : " Je me décidai pour un détective un peu maniaque, méticuleux, très ordonné, un petit homme tiré à quatre épingles et très intelligent. Le nom de Hercule Poirot sonnait bien ".

Agatha Miller, qui épouse l’aviateur Archibald Christie en 1914, est évidemment marquée par la Grande Guerre. Elle sera infirmière volontaire et préparatrice en pharmacie, devenue experte en matière de somnifères, anti-douleurs et même de poisons. Admirant le courage des Français, des Britanniques et des Belges pendant les quatre années du conflit, elle décide que son héros sera un sujet de l’exemplaire et courageux roi Albert 1er, donc un Belge. 

Mais avec son patronyme français, parfois jugé ridicule et son accent, on le prendra souvent pour un Français. Il protestera chaque fois, rappelant sa véritable nationalité. Il aime l’ordre car tout désordre est révélateur d’indices. Il ne faut pas le déranger pendant qu’il déjeune ou dîne. Il ne faut pas davantage qu’un serveur de restaurant ou d’hôtel renverse de la sauce sur son costume ou son smoking car Hercule Poirot est impeccable ! Une tâche, c’est pire qu’un crime ! S’il semble soudain perdu dans ses réflexions, c’est qu’il fait marcher ce qu’il appelle "  ses petites cellules grises " qui vont lui donner la clé de l’énigme. Et il saura mettre en scène, avec un vrai sens du spectacle, sa découverte en réunissant tous les suspects avant de dénoncer le ou les coupables. 

En lisant les journaux qui relatent l’incroyable retard du Simplon-Orient-Express, Agatha Christie choisira le cadre du fameux train coupé du monde pendant plusieurs jours pour raconter un assassinat particulièrement original et spectaculaire. Ce livre, dont l’énigme et la solution sont particulièrement surprenants et inventifs, a été adapté plusieurs fois au cinéma et à la télévision. Mais si vous n’avez pas lu le roman ou vu l’une de ses adaptations sur grand ou petit écran, je ne vous gâcherai pas votre plaisir ! Bon voyage quand même et... bonne lecture !

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars 

Cheffe de projet  : Adèle Ponticelli

Réalisation : Guillaume Vasseau

Diffusion et édition : Clémence Olivier

Graphisme : Europe 1 Studio

Direction Europe 1 Studio : Claire Hazan