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SAISON 2020 - 2021

C'est une référence de la littérature du XIXe siècle, une femme qui multiplie les liaisons amoureuses ​et créatives, et qui s'investit corps et âme dans les causes qu'elle défend. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte l'idylle entre George Sand et le compositeur Frédéric Chopin mais aussi l'expérience révolutionnaire de l'autrice.

En 1836, George Sand rencontre le compositeur Frédéric Chopin. Ce sera le début d'une grande histoire d'amour. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur l'idylle entre les deux artistes et décrit l'engagement politique et social de cette figure du XIXe siècle.

George Sand a 32 ans quand elle entend, pour la première fois, Chopin jouer dans les salons de l’Hôtel de France chez Liszt et Marie d'Agoult. "Quelle femme antipathique !" note le musicien, choqué par son style vestimentaire ! Il a 26 ans mais déjà une étonnante carrière de surdoué et il est la coqueluche de Paris. Né en Pologne, il a été un enfant prodige. Dès l’âge de 8 ans, il compose, et donne son premier concert à 9 ans. A 19 ans, il est le premier pianiste polonais. Le 1er novembre 1830, il quitte la Pologne pour un grand voyage avant de se fixer définitivement à Paris en 1831. Là, il a la chance de pénétrer dans la société aristocratique qui organise ses récitals. 

Si elle n’a pas fait bonne impression sur le prodige, George Sand, amoureuse de la musique, est tout de suite sensible au charme romantique du compositeur. Elle remarque ses yeux bruns et vifs, son merveilleux sourire, sa taille élancée, ses belles mains effilées mais aussi son élégante pâleur (due à un début de tuberculose). Elle espère faire venir le musicien à Nohant à la fin de l’été 1837. Il refuse. A l’automne, il accepte de la revoir à Paris. La fiancée polonaise de Chopin s’est éloignée de lui sur l’ordre de ses parents qu’inquiétait la toux persistante de leur futur gendre. Désespéré, il avait alors écrit dans son journal : "Si quelqu’un voulait me mettre en lisière, je serais très content". 

Ce quelqu’un sera George Sand. Insensiblement, il finit par s’attacher à elle. Ils se voient beaucoup au début de l’été 1838 et deviennent amants. La santé fragile de ses enfants et la toux persistante de Chopin incitent George Sand à transporter ses pénates aux Baléares pour passer l’hiver 1837-1838 sur l'île de Majorque. Ils s’installent d’abord à Palma, avant de se réfugier à l’ouest de l'île, dans l’isolement presque total de la chartreuse de Valldemosa.  George Sand y écrit un nouveau roman. Elle le raconte :"J’ai écrit "Spiridion" à Majorque, dans une chartreuse en ruines, entre deux mers, un endroit magnifique, un hiver affreux. Nous avions loué une cellule de chartreux composée de trois pièces et d’une cuisine en plein vent. J’étais là avec Chopin et mes enfants. Mon fils était malade de croissance et Chopin, malade de naissance !"

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La beauté sauvage des lieux inspire à Chopin ses admirables préludes et ballades mais pour George, c’est une sorte d’enfer. Elle doit faire les courses, cuisiner et soigner le musicien dont l’état s’aggrave. Elle décide de rentrer par petites étapes, par l’Espagne. Si le séjour à Majorque a été fructueux pour le travail du couple, le très mauvais temps et les maladies des uns et des autres l’ont transformé en cauchemar. Heureusement, l’été suivant, l’installation à Nohant sera beaucoup plus sereine. Pour la romancière, c’est un changement définitif de vie. Chopin n’aime pas la campagne à priori mais l’air du Berry lui convient et il va beaucoup mieux. Tandis qu’elle écrit, il compose assis auprès d’elle sa Sonate en Si bémol majeur et son deuxième nocturne. Chopin note dans son journal : "Je ne veux vivre que pour toi".

A l’automne, il faut pourtant rentrer à Paris, au 16 rue Pigalle puis rue Taitbout. Ce quartier, au bas de Montmartre, est habité par de nombreux artistes. On l’appelle "La Nouvelle Athènes". C’est à l’occasion de ce retour dans la vie parisienne que Chopin se lie avec Eugène Delacroix. Le principe de l’été à Nohant et de l’hiver à Paris est acquis. Delacroix peint dans un atelier aménagé spécialement pour lui par son hôtesse. La sœur de la célèbre cantatrice la Malibran chante, elle aussi, et Chopin l’accompagne. Tous les étés de 1841 à 1848, le groupe se retrouve à Nohant. Si Maurice, le fils de George Sand a déjà installé pour distraire les invités de sa mère un théâtre de marionnettes, c’est Chopin, lui-même un mime de génie, qui va créer le théâtre de Nohant.

Apparemment, l’idylle entre Chopin et Sand continue. Ils s’admirent mutuellement. Elle a une véritable passion pour la musique et le conseille avec pertinence. Lui l’aime sincèrement mais il est facilement jaloux. Elle assume allègrement la charge de l’aimer et de le protéger. Elle accepte même de vivre souvent dans la chasteté pour ménager les forces du malade. Chopin lui doit sûrement des années de bonheur et peut-être même une prolongation de sa fragile existence. 

Cependant, à partir de 1843, de petites failles apparaissent dans leurs relations. George paraît lasse car la maladie de son amant le rend très nerveux et susceptible. Ils vivent en famille, avec les enfants qui ont grandi. Maurice, maintenant âgé de 20 ans, adore sa mère. Solange, bientôt 16 ans, se croit mal aimée et a tous les prétextes pour s’y opposer et donner toujours raison à Chopin. Elle est belle et insolente et a de plus en plus d’influence sur le musicien. Un jour, celui-ci adresse un reproche à Maurice qui parle de quitter Nohant. George Sand soutient son fils. Chopin baisse alors la tête et lui dit qu’il ne l’aime plus. En 1847, le compositeur quitte Nohant pour ne plus y revenir. Désormais, George Sand ne peut que s’inquiéter à distance de la santé de son "Chopinet". Elle le raconte elle-même à la cantatrice Pauline Viardot :"Voyez-vous Chopin ? Parlez-moi de sa santé. Je n’ai pas pu payer sa fureur et sa haine par de la haine et de la fureur. Je pense à lui souvent comme à un enfant malade, aigri et égaré." Chopin meurt à 39 ans, sans la revoir, le 17 octobre 1849 à Paris. Entre-temps, George Sand a fait son expérience révolutionnaire.

George Sand et la Révolution de 1848

Déjà ébranlé par la campagne des banquets en 1847, le régime de Louis-Philippe est de plus en plus impopulaire au début de 1848. En février, le renvoi du Premier ministre Guizot n’apaise pas les Parisiens en colère. Une fusillade fait de nouvelles victimes chez les révolutionnaires. Des barricades sont dressées, les insurgés marchent sur les Tuileries et s’apprêtent à envahir le château. Le roi est obligé de s’enfuir en toute hâte au moment où les émeutiers ont réussi à s’introduire dans la salle du Trône et à la ravager. 

George Sand est aux anges ! Elle qui était en proie à des difficultés affectives et financières se métamorphose d’un seul coup. Il faut dire que depuis une douzaine d’années, elle s’était familiarisée avec le cénacle républicain. Elle a collaboré à des revues de combats aux côtés de Lamennais et de Leroux. Elle s’était pratiquement érigée en directrice de conscience de plusieurs écrivains prolétariens. Enthousiasmée au début mars par l’ampleur et la dignité des défilés populaires, particulièrement lors des obsèques des victimes de l’insurrection de février, George Sand n’hésite plus. 

En un éclair,  elle oublie ses malheurs et selon ses propres mots, elle rajeunit de vingt ans. Elle se lance dans des écrits passionnés. Le 3 mars, elle adresse une lettre à la classe moyenne, invitant les petits-bourgeois à s’unir et à trouver la vérité socialiste. Quatre jours plus tard, elle rédige une "Lettre au Peuple" où elle prêche l’union des classes en vue de la Révolution. Suit une lettre aux riches dans laquelle elle leur prédit que "La France sera communiste avant un siècle". Elle crée un hebdomadaire "La Cause du Peuple" qu’elle écrit presque entièrement seule. Les Parisiens lui apparaissent comme "le premier Peuple du monde". Elle dit avoir "le cœur plein et la tête en feu". Elle corrige les épreuves de ses bulletins à même le marbre de l’imprimeur, revêtue de la tenue bleue des typographes. Ses chroniques sont affichées sur toutes les façades des Mairies de France. 

Mais son ardeur est mal interprétée par ses adversaires. Elle est accusée d’être à la solde du Gouvernement Provisoire. Et sa fièvre révolutionnaire va être sérieusement douchée par le résultat des élections du 23 avril. Sur 900 élus, on compte encore 300 monarchistes. Les socialistes les plus progressistes, comme Barbès, sont éliminés. La Seconde République est proclamée le 4 mai. Des émeutes éclatent, de nouvelles barricades sont élevées dans Paris le 23 juin. Le général Cavaignac reçoit les pleins pouvoirs pour mater l’insurrection. Ce sera chose faite le 26 juin. Le bilan est terrible : 4.000 morts du côté des insurgés, 1500 fusillés sans jugement, 15.000 arrestations et de milliers de condamnés à la prison ou à la déportation dans les colonies. Du côté des militaires, on compte 1500 victimes dont six généraux.

A la tribune de l’Assemblée, Cavaignac déclare : "L’ordre a triomphé de l’anarchie". Apprenant ces massacres, Louis-Philippe, exilé en Angleterre, dit son amertume : "La République a de la chance, elle peut faire tirer sur le peuple". Quant à George Sand, désespérée, elle a regagné Nohant. Elle s’explique : "J’ai le cœur aussi triste que si j’avais eu dix enfants tués sur les barricades… J’ai été accablée d’abord d’un tel dégoût en quittant Paris, ensuite d’une telle horreur en apprenant les sinistres nouvelles de juin, que j’ai été malade comme une imbécile pendant bien des jours… Les insurgés de juin ne savaient probablement pas pourquoi ils combattaient. La nécessité des choses, le malaise physique et moral les poussaient fatalement à se laisser exciter par des meneurs qui n’avaient aucune idée sociale que je sache et qu’on soupçonne être des agents de l’étranger et de la réaction bourgeoise extrême." 

Elle comprend que la France qui venait de voter pour les conservateurs n’était pas mûre pour la République. Dès lors, elle va se faire une raison. Pour elle, la Révolution est finie. Désormais, elle ne songe plus qu’à composer en se compromettant le moins possible avec le Prince-Président Louis-Napoléon, le futur Napoléon III. C’est une constante de George Sand de savoir briser net dans toutes ses entreprises lorsqu’elle sent que celles-ci sont vouées à l’échec.

Mélancolique mais résolue, elle "retourne à ses moutons" à Nohant, à sa littérature. Elle se borne à aider les proscrits quand elle le peut. Il reste que pendant quelques courtes et exaltantes semaines, son nom s’est identifié à l’espoir d’une victoire du peuple.

George Sand, "la bonne dame de Nohant"

A Nohant, la vie reprend son cours. C’est là que George Sand apprend la mort de Chopin. Elle écrira :"J’ai perdu ma bonne santé. Cette mort m’a affectée profondément. Oui, il eût fallu que de bonnes paroles eussent été dites à son chevet. Là-haut ou là-bas (je ne sais où nous allons, mais c’est quelque part où l’on est mieux et où l’on voit plus clair), il se souviendra que je l’ai soigné neuf ans comme à peine on soigne son propre fils, que j’ai sacrifié d’excellentes affections et d’honnêtes relations à ses jalousies, à son caprice, que j’ai souffert moralement enfin pour l’amour de lui dans ces neuf ans, plus qu’il n’a souffert physiquement durant toute sa vie. Et pourtant, ce n’est pas peu dire pour lui, le pauvre enfant."

Revenue dans son Berry natal, George Sand va achever ce qu’on peut appeler son "quatuor berrichon". Une ode à cette terre et à ses paysans. Le premier "La Mare au Diable", écrit en quatre jours, avait été publié en 1846. Le second "François le Champi", est achevé en 1849. Suivront "Les Maîtres Sonneurs" en 1853 et le dernier, "La petite Fadette", en 1869. Il y aura aussi "Histoire de ma vie", ses mémoires fleuves qui lui ont valu beaucoup d’attaques, puis le récit de son histoire avec Musset "Elle et Lui" qui provoque un nouveau scandale. Le frère de Musset, qui juge qu’elle s’est accordée le beau rôle dans son récit, réplique par un vengeur "Lui et Elle" ! 

A Nohant, elle n’est pas seule. Son fils Maurice est auprès d’elle accompagné de plusieurs amis. Celui qu’elle préfère est le graveur Manceau. Il va devenir son secrétaire et son amant. Il a treize ans de moins qu’elle, lui est tout dévoué et le restera jusqu’à sa mort en 1865. En 1850, elle écrit à son ami l’éditeur Hetzel :"Oui, je l’aime, lui ! Il est né dans la misère, il n’a reçu aucune éducation, ni morale, ni autre. Il n’a fait aucune étude, il a été en apprentissage… Il est incroyablement artiste par l’esprit. Son intelligence est extraordinaire, elle ne sert qu’à lui et à moi par conséquent… Il a de grands défauts : il est à la fois violent et calculé. Violent, il blesse affreusement. Calculé, il s’impose et cherche la domination. Ses deux défauts le font haïr quand ils ne le font pas aimer."

Comme elle a besoin d’argent, elle s’est orientée aussi vers le théâtre. Une vingtaine de pièces, tirées généralement de ses romans, sont montées à Paris, à l’Odéon et au Gymnase, souvent avec l’aide d’Alexandre Dumas Fils. Mais le théâtre est aussi une occupation à Nohant. On se souvient que Chopin avait été le premier à en faire une institution. Ce théâtre va s’améliorer : on y ajoute une scène en 1851. Des amis et les plus doués des domestiques, comme la servante Marie, y participent. Marie, que George Sand pour bien l’identifier appelle "Marie des poules" a été récemment sortie de l’oubli grâce à une très jolie pièce, "Marie des poules". Tout le monde prête son concours pour le théâtre. Manceau a souvent le premier rôle. Il est aussi bon dans le sérieux que dans le comique et il excelle dans la confection des costumes et l’arrangement des décors. 

Sortant de sa veine berrichonne, à la fin de sa vie, George Sand se lance dans les romans historiques. Ils connaîtront un grand succès : "Mademoiselle La Quintinie", un roman anti-clérical, et "Les beaux Messieurs du Bois Doré" en 1857, une évocation de l’époque Louis XIII.

Elle vit la guerre de 1870 avec un mélange de lucidité et de désespoir et déteste l’épisode de la Commune, considérant qu’elle n’a rien à voir avec les révolutionnaires de 1848. Elle juge même que Barbès aurait certainement "renié les assassins, les incendiaires, les voleurs et les traîtres". Elle meurt le 8 juin 1876, en pleine activité, d’une occlusion intestinale. Son vieil ami Gustave Flaubert pleure à ses funérailles et Victor Hugo écrit : "Je pleure une morte et je salue une immortelle". Incontestablement, elle laisse une œuvre. Elle disait elle-même : "J’ai un but, une tâche, une passion. Le métier d’écrire en est une, violente… Quand elle s’est emparée d’une pauvre tête, elle ne peut plus la quitter". 

Ressources bibliographiques :

Claire et Laurent Greilsamer, Dictionnaire George Sand (Perrin, 2014)

Aline Alquier, George Sand (Éditions Pierre Charron,1973)

André Maurois, Lélia ou la vie de George Sand (Hachette, 1952)

Martine Reid, George Sand (Gallimard, 2013)

 

 

 

Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière 
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Karelle Villais