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SAISON 2020 - 2021

C'est une figure exceptionnelle qui a bouleversé bien des codes littéraires et sociaux. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte la vie très originale de George Sand, autrice célèbre et femme libre au XIXe siècle. 

C'est une femme engagée, qui a lutté ​à sa façon contre la société conservatrice du XIXe siècle et pour la cause des femmes. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur l'enfance, le mariage, les amours et les engagements d'Amandine Aurore Lucile Dupin,  mieux connue sous le nom de George Sand.

Un matin de l’été 1836, le sous-préfet de Nérac, dans le Lot-et-Garonne, Georges-Eugène Haussmann, 27 ans, est interrompu dans ses ablutions matinales par son domestique. Il lui tend la carte d’un homme arrivé de Paris à l’instant dans une calèche de Poste. C’est un avoué qui demande à être reçu sans tarder. Haussmann s’habille en hâte et reçoit le mystérieux visiteur dans son cabinet. Cet auxiliaire de Justice déclare qu’il accompagne la baronne Dudevant, autorisée par une ordonnance du président du Tribunal Civil de la Seine à reprendre sa fille Solange, enlevée par le baron son époux, dont elle est séparée depuis octobre 1835. 

La fillette, âgée de 7 ans, est retenue par son père au château de Guillery, en bordure de la forêt landaise. L’avoué précise que c’est urgent car on craint que le père n’emmène sa fille en Espagne pour la soustraire à la Justice française. Haussmann, un peu interloqué, lui demande en quoi cette affaire le concerne. L’avoué sort alors deux lettres. La première est  signée du ministre de l’Intérieur. Celui-ci  prie le Sous-Préfet de prêter son concours à l’entreprise de la baronne Dudevant qui n’est autre que Madame George Sand, célèbre femme de lettres. La deuxième demande émane de la sœur d’Haussmann, dont le mari est un ami de George Sand. Elle prie son frère d’aider cette "femme désolée". 

Le Sous-Préfet gagne alors la calèche arrêtée sur la Place d’Armes. Au fond de la voiture, se tient George Sand. La trentaine, le regard sombre et la coiffure en bandeau, elle arbore sa tenue favorite : redingote et pantalon. Et encore, à ce moment-là, elle ne fume ni la pipe ni le cigare ! Ses deux romans "Indiana" et "Lélia" lui ont donné la gloire littéraire. Mais pour l’instant, elle n’est qu’une mère inquiète. Pendant qu’on change les chevaux de la calèche, on prépare la voiture du Sous-Préfet. 

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Haussmann et l’avoué se rendent chez le procureur du roi. L’avoué sort une troisième lettre du Garde des Sceaux. Cette-fois, elle est destinée au procureur. Celui-ci est très contrarié. Le baron Dudevant est un grand propriétaire foncier du pays et maire de son village. Il craint les réactions des habitants. Il doit néanmoins s’exécuter et requiert un huissier. Et si le besoin s’en fait sentir, la gendarmerie est prête, elle aussi, à intervenir. 

George Sand s’installe à côté d’Haussmann pour suivre la voiture où ont pris place l’avoué et l’huissier. Haussmann ne la connaît pas mais il a souvent entendu parler d’elle. Le sous-préfet n’est pas du tout séduit, il la trouve petite, peu coquette et manquant de tout charme féminin. Pendant le trajet, elle lui révèle pourquoi son mari a enlevé leur fille. C’est une raison inhabituelle. Une fois de plus, George Sand est une pionnière : elle verse une pension alimentaire à son mari ! Un geste incroyable à l’époque ! Elle a décidé qu’il n’en aurait plus besoin puisqu’il vient d’hériter de son père. En gardant la petite Solange près de lui, son ancien mari pensait pouvoir aussi garder la pension ! 

Lorsqu’ils arrivent au château, l’homme remet l’enfant à sa mère en lui disant qu’il ne peut que céder à la violence qui lui est faite. George Sand réplique, Haussmann s’interpose pour mettre fin au débat. Il ramène tout ce petit monde à la Sous-Préfecture. George Sand, sa fille et l’avoué vont y séjourner quelques jours. Le sous-préfet y organise des dîners. Toute la région s’y précipite pour connaître le célèbre George Sand. Sa venue à Nérac est un événement. À la fin du séjour, l’illustre invitée offre à Haussmann son briquet-bijou... mais il ne fume pas ! Elle lui répond :"Lorsque vous viendrez me voir à Nohant, je vous donnerai le reste, un narguilé ! La fumée fraîche à l’eau de rose, voilà bien votre affaire !"

Le Sous-Préfet a été parfait. Il pourrait presque jouer dans une comédie de l’ancien amant de George Sand, Alfred de Musset ! Mais comment et pourquoi la baronne Dudevant est-elle devenue la célèbre George Sand ?

Une enfance dans le Berry

La petite Amandine Aurore Lucile Dupin, qui naît le 1er juillet 1804, hérite d’une double ascendance étonnante. Par son père, Maurice Dupin, elle descend des Koenigsmark et des rois de Pologne. Très tôt devenue veuve, la mère de Maurice, Aurore Dupin, a acheté le château et le domaine de Nohant, au cœur du Berry pour fuir la tourmente révolutionnaire. Promu officier, Maurice est revenu de la campagne d’Italie de Bonaparte avec une ravissante compagne, Sophie de Laborde.  Cette fille d’oiseleur a été un peu comédienne avant d’arriver en Italie dans les bagages d’un général… 

La liaison du jeune couple est désapprouvée par Aurore mais est néanmoins régularisée le 5 juin 1804 par un mariage secret qui précède de peu la naissance de celle qui deviendra George Sand. Le prénom d’usage retenu pour l’enfant est celui de sa grand-mère : Aurore. Sophie était aussi arrivée avec une petite fille de 5 ans, née d’une liaison antérieure. Rien de choquant pour Maurice qui avait lui-même un fils naturel, Hippolyte, auquel George Sand restera liée toute sa vie. 

La belle-mère considère sa bru comme une fille de peu, incapable d’élever correctement la petite Aurore. En 1808, Maurice meurt brutalement, d’un accident de cheval. La grand-mère en profite pour pousser sa belle-fille à s’installer à Paris. La petite Aurore reste à Nohant où elle est élevée. Elle est déchirée entre l’éducation aristocratique que lui impose sa grand-mère et le goût d’une vie légère et sans principes. 

Elle est confiée à un précepteur qui l’initie au latin, aux mathématiques et aux sciences naturelles. Cet homme est instruit, bon, généreux et totalement excentrique. Il encourage Aurore à se singulariser. Tandis  que sa grand-mère la forme à la musique, elle lit aussi "L’Iliade", se raconte des histoires et court les champs avec des petits paysans. Mais sa mère lui manque. Elle projette alors secrètement d’aller la rejoindre à Paris. Sa grand-mère, qui en est informée, entre dans une grande colère et se venge en lui racontant le passé trouble de Sophie. Aurore a 13 ans. Elle est bouleversée mais accepte, alors, d’achever son éducation au couvent des Augustines Anglaises à Paris, où sont élevées toutes les jeunes filles du Faubourg Saint-Germain. 

Le couvent va la marquer. Elle y montre un certain mysticisme qui l’imprégnera toute sa vie. En 1820, elle regagne Nohant où sa grand-mère espère la marier. Mais celle-ci meurt à Noël 1821. A 17 ans, Aurore se retrouve à la tête d’un vaste domaine. Elle occupe son temps entre l’équitation et  la lecture. Elle s’imprègne de Chateaubriand et de Rousseau, s’initie aux comptes du domaine. Totalement livrée à elle-même, elle accepte d’épouser le premier  homme qui lui demande sa main. Le 12 décembre 1822, elle est unie au baron Casimir Dudevant, fils naturel d’un baron d’Empire.

Un mariage très décevant, la fuite à Paris

Le couple réside en permanence à Nohant que Casimir gère comme il peut, c’est à dire pas très bien. Il est bon, peu compliqué, mais il n’aime ni la lecture, ni la musique ni les longues conversations que souhaite son épouse. Ce qu’il aime avant tout, c’est la chasse et la "dive bouteille", ce qui n’arrangera pas son humeur… En 1823, naît leur fils Maurice, prénommé comme son grand-père. Mais ni le mariage ni la maternité ne peuvent combler la carence affective dont souffre Aurore, et surtout apaiser son besoin d’épanouissement.

A l’été 1825, en villégiature à Cauterets, dans les Hautes- Pyrénées, elle tombe amoureuse d’un Bordelais cultivé, Aurélien de Sèze. Cette passion restera platonique et essentiellement épistolaire. Peu après, c’est une liaison bien réelle qu’elle entame avec Stéphane Ajasson de Grandsagne, un  jeune savant originaire du Berry. Il est plus que probable qu’il soit le père de la petite Solange qui naît le 13 septembre 1826. Mais très vite, Aurore s’aperçoit que Stéphane ne lui apporte pas grand-chose . Elle l’écrit à un ami :"Je prévois que Sténie, avec les moyens de parvenir, n’arrivera jamais à rien. Je le sais moi-même depuis longtemps. Je n’ai jamais cru qu’aux yeux du monde j’eusse à m’enorgueillir un jour de ma liaison et à me glorifier dans la personne de mon ami. Tout au contraire."

La liaison s’arrête bientôt. Aurore est déjà sur le chemin de l’émancipation. A l’été 1830, elle rencontre le Berrichon Jules Sandeau, 19 ans, étudiant en Droit à Paris. Elle décide de l’y suivre. Mais pour cela, il faut qu’elle trouve un arrangement avec son mari... Le prétexte est la découverte d’une sorte de testament écrit par son époux et dans lequel il la juge très sévèrement. Elle négocie avec lui d’être entretenue à Paris six mois par an, sur le revenu de Nohant. Ils se partageront les enfants. Le 4 janvier 1831, elle se lance dans le Paris bohème et bouillonnant d’après les trois Glorieuses et la Révolution qui a chassé Charles X du pouvoir.

Aurore devient George Sand

Aurore est la maîtresse de Jules Sandeau. Elle vit dans des logements successifs plutôt modestes mais très vite elle connaît le succès grâce à son acharnement et avec l’aide des "Berrichons de Paris", notamment celle de Henri de Latouche, qui l’engage au Figaro dont il est le tyrannique directeur. Elle écrit un premier livre avec Jules Sandeau "Rose et Blanche" en 1831. Il est bizarrement signé  "J. Sand". On ne peut savoir si l’auteur est un homme ou une femme. En réalité, c’est Sandeau qui lui a suggéré le pseudonyme de Sand. Elle a retenu de lui la moitié de son nom mais se sépare de son mentor qui l’a trompée... avant de le pleurer ! 

Elle choisit alors comme prénom George, sans s. Elle a 28 ans et elle décide de ne plus parler d’elle qu’au masculin. Sa tenue favorite est désormais la redingote et le pantalon. Elle fume la pipe et le cigare. Par son apparence, elle proteste contre les mœurs bourgeoises, et s’installe en quelque sorte entre deux sexes. Elle ne veut pas être masculine. Elle veut juste gommer les caractéristiques féminines les plus voyantes. Elle déteste la coquetterie et pratique une sorte de coquetterie à l’envers. Elle publie son premier roman écrit seule "Indiana" en mai 1832, suivi en novembre de "Valentine" et le 31 juillet 1833 de "Leila".  

Ces trois livres sont d’immenses succès. On ne parle plus que d’elle. Elle est sacrée d’emblée "romancière" par les plus féroces critiques dont Sainte-Beuve, qui deviendra son plus fidèle ami. Elle voit s’ouvrir les portes de "La Revue des Deux Mondes", fondée en 1829 et qu’on appelait "L’écurie du génie". La Revue s’engage à lui verser une rente annuelle de 4.000 Francs contre 32 pages de copie hebdomadaire. Grâce à ses livres, au Figaro et à La Revue des Deux Mondes, George Sand assure, par son travail acharné, son indépendance financière. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle a renoncé à l’amour et au bonheur.

Une liaison avec Alfred de Musset

Au début de l’été 1833, George Sand rencontre l’éblouissant dandy Alfred de Musset. Il lui déclare sa flamme. Elle succombe elle aussi. Elle le raconte à son ami Sainte-Beuve dans une lettre du mois d’août :"Je me suis énamourée et cette fois très sérieusement d’Alfred de Musset. Ceci n’est plus un caprice. C’est un attachement senti… Je suis heureuse, très heureuse, mon ami. Chaque jour, je m’attache davantage à lui, chaque jour je vois s’effacer en lui les petites choses qui me faisaient souffrir, chaque jour je vois luire et briller les belles choses que j’admirais. Et plus encore, par-dessus tout ce qu’il est, il est bon enfant, et son intimité m’est aussi douce que sa préférence m’a été précieuse."

Il a six ans de moins qu’elle et il est le poète à la mode. Il vient de publier "Rolla" dans lequel il exprime le mal du siècle. Il est le poète romantique par excellence. Il est aussi débauché et use sa jeune vie, et surtout ses nuits, dans la recherche du plaisir. Sa passion pour George Sand est sincère, elle est aussi auréolée de gloire que lui. Ils semblent faits l’un pour l’autre et pourtant cette passion sera brève. 

George Sand s’est déjà inquiétée de l’étrange délire qui s’empare du poète au cours d’une promenade en forêt de Fontainebleau. En décembre, le couple décide de partir pour Venise. Ce voyage ne servira qu’à révéler l’impossibilité de leur amour, aggravé par les dissemblances de leurs caractères et de leurs modes de vie. Musset, grand amateur de maisons closes, n’est pas prêt à une vie commune avec une personne au caractère bien trempé. Arrivés à Venise, ils s’installent au Danieli, la nuit de la Saint-Sylvestre. Dès le début de leur séjour, Musset ne rêve que de débauches nocturnes tandis que pour George Sand les nuits sont réservées au travail. C’est d’ailleurs sa nécessité d’envoyer ses articles à "La Revue des Deux Mondes" qui va la sauver du désarroi. Devant cet échec, Musset lui devient chaque jour plus étranger. Elle tombe malade en février 1834 puis c’est au tour du poète de contracter une inquiétante fièvre qui le tient dix-sept jours entre la vie et la mort.

L’instinct maternel, le souci de protéger et de soigner son amant dont elle se sent responsable, provoquent un de ses élans altruistes dont elle a le secret. Elle veille nuit et jour Musset qui délire. Elle se raccroche alors au jeune médecin appelé pour le soigner, un certain Pagello. Non seulement Pagello soigne avec dévouement Alfred de Musset mais il console aussi George Sand et devient son amant. Le poète flaire une complicité amoureuse entre eux. Il tente de la reconquérir mais c’est trop tard, elle lui échappe. 

Le 29 mars, en larmes, tout comme Pagello d’ailleurs, George Sand laisse partir pour Paris le pauvre Musset qui ne comprend rien à la nouvelle passion de sa maîtresse. Celle-ci va rester quatre mois à Venise en compagnie de son nouvel amant, des mois délicieux au cours desquels elle s’enivre des splendeurs de la ville et travaille aussi énormément. Elle va écrire des romans, des nouvelles et une correspondance avec Musset, considérée comme un sommet de la littérature amoureuse de la période romantique. Cette correspondance révèle une George Sand consciente des limites de la passion et un Musset déchiré mais plus mûr. Ce sont ces lettres qui ont rendu leur couple légendaire. 

Elle rentre à Paris mi-août avec Pagello, sans savoir comment rompre avec lui. C’est un moment de crise pénible avec Musset qu’elle ne veut plus voir... mais qu’elle poursuit dès qu’il s’éloigne ! En septembre, elle rédige un déchirant journal intime dédié au poète. Elle tente ensuite de mettre de l’ordre dans sa vie. Elle renvoie Pagello à Venise et rompt définitivement avec Musset. Elle décide ausi de divorcer de son mari Casimir Dudevant. Elle confie sa cause à son avocat Michel de Bourges. Non seulement, celui-ci va régler son divorce, période où se situe l’incident que je vous ai raconté au début de ce récit, mais il va, lui aussi, devenir l’amant de George Sand. Cet homme, issu d’un milieu très modeste, est un très grand orateur, mais surtout le défenseur attitré des  esprits républicains. Il va communiquer à George Sand sa passion de la République. Elle le raconte elle-même dans ses Mémoires :"Le charme de sa parole me retenait des heures entières, moi que la parole fatigue extrêmement, et j’étais dominée aussi par un vif désir de partager cette passion politique, cette foi au salut général, ces vivantes espérances d’une prochaine rénovation sociale."

D’une certaine façon, Michel de Bourges est son initiateur politique, sa fibre sociale convainc totalement George Sand. Le divorce avec le baron Dudevant est prononcé en août 1836. George Sand récupère Nohant et ses deux enfants. Elle rompt alors sa liaison brûlante et orageuse avec Michel de Bourges. Elle a rencontré Franz Liszt et sa compagne Marie d'Agoult qui a tout quitté pour lui. Elle tombe sous leur charme. Grâce à eux, à Paris, à l’Hôtel de France, 23, rue Taitbout, elle fait la connaissance d’Eugène Sue, l’auteur des "Mystères de Paris", de Chopin, de Victor Schoelcher, promoteur de l’abolition de l’esclavage, du poète Heine et de Lammenais, un prêtre inventeur du catholicisme social. Elle  passe son premier été de femme libre en Suisse, avec Liszt et Marie d’Agoult. Ces nouvelles rencontres lui donnent un certain goût pour la politique mais chez George Sand, l’amour passionné n’est jamais très loin…

 

Ressources bibliographiques :

Claire et Laurent Greilsamer, Dictionnaire George Sand (Perrin, 2014)

Aline Alquier, George Sand (Éditions Pierre Charron,1973)

André Maurois, Lélia ou la vie de George Sand (Hachette, 1952)

Martine Reid, George Sand (Gallimard, 2013)

 

Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière 
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Karelle Villais