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SAISON 2021 - 2022, modifié à

L'Angleterre eut, au cours de son histoire, un roi qui fut complètement normal durant les trente premières années de son règne et complètement fou les trente suivantes. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Clémentine Portier-Kaltenbach retrace le long et très agité règne du roi George III d'Angleterre… 

Dans les premiers temps de son règne, George III connaît une extraordinaire popularité. Mais au fil des épreuves, sa gouvernance tourne au désastre. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Clémentine Portier-Kaltenbach raconte les 59 ans de règne de George III. 

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Un roi très économe aux goûts simples

Sa majesté se lève à 5 heures du matin et allume elle-même sa bougie, à la veilleuse qui brûle toute la nuit dans sa chambre. Le roi s’habille lui-même. A 6 heures il va à la chapelle où il dit ses prières du matin de la façon la plus édifiante. Il monte à cheval pendant deux ou trois heures pour faire un peu d’exercice, puis il lit un livre religieux ou un traité de morale jusqu'à l'heure où ses ministres viennent le consulter sur les affaires de la nation. Pour le souper il prend une croûte de pain et un verre d'eau.

Honnête homme, bon mari, frugal, chaste, travailleur inlassable, profondément pieux ; un roi que la presse pare de toutes les vertus, en tout cas au début de son règne. Et de fait, George III est né sous de bons auspices. Lorsqu’il voit le jour le 4 juin 1738, il est le premier roi d’Angleterre issu de la très germanique maison de Hanovre à être né sur le sol britannique, et le premier à adopter l'anglais comme première langue, là où son grand-père avait besoin d'un interprète pour s'adresser à ses sujets.

George le proclame lui-même haut et fort à son peuple : « Né et éduqué dans ce pays, je trouve ma gloire dans le nom de l’Angleterre ». Dans le texte original, il a écrit Britain plutôt qu’England pour ne pas froisser ses amis écossais, mais selon l'écrivain André Maurois, il est bien anglais : d'aspect, de manières, de langage et de caractère. Le côté Hanovre n’est pour lui qu’un souvenir de famille.

 

Lorsqu’il monte sur le trône en 1760, le peuple britannique est en liesse et attend beaucoup de lui : la fin d'une guerre ruineuse avec la France et l’Autriche, l'essor du commerce maritime et la mise au pas des colonies américaines. Dans les premiers temps de son règne, George III connaît donc une extraordinaire popularité. Profondément pieux, il peut passer des heures à prier.

George III a des goûts très simples, il est particulièrement frugal et sobre. Économe, il réduit son train de vie au maximum et s'attelle à mettre fin aux gaspillages de tous ordres. Cela va d’ailleurs parfois un peu trop loin : par souci d'économie, il fait par exemple interdire le chauffage dans les serres de Kew, laissant ainsi mourir tous les orangers qui faisaient la joie des promeneurs. George considère que tout le monde doit faire comme lui et savoir se contenter de peu. Surveillant très étroitement ses comptes, il n'augmente quasiment jamais ses domestiques et décide également de supprimer les pourboires.

Mais s'il a des oursins dans les poches, il traite cependant les gens avec bonté, parle volontiers avec eux et ne s'offusque jamais des libertés de langage qu'ils prennent avec lui. Bien souvent, il se promène incognito et lors de ses longues promenades dans la campagne, entre à l'improviste dans une chaumière, s'installe sans façon au foyer, bavarde avec ses occupants et laisse quelques pièces en partant. Dans le parc de Windsor, il fait installer un moulin, où les paysans les plus pauvres peuvent faire venir moudre leurs grains gratuitement. C’est l'un des paradoxes de ce roi économe dans les petites choses ; il est prodigue dans les grandes puisqu'il donne des sommes astronomiques à des organisations charitables, le tout sur sa cassette personnelle.

 

George III, passionné d'exploration et d'agriculture

Comme son homologue français Louis XVI, le roi George III se passionne pour les explorations géographiques, la recherche de terres nouvelles, de produits nouveaux. C'est sa curiosité qui va permettre à l’Angleterre de s'emparer la première des principales voies maritimes du globe. C’est également sous son patronage que le capitaine Cook part pour Tahiti et que Samuel Wallis va faire le tour du monde. Il a été le premier souverain britannique à recevoir un enseignement scientifique ; sa collection d'instruments scientifiques et mathématiques est aujourd'hui exposée au musée des sciences de Londres.

Passionné d'agriculture au point d'adresser des articles sous pseudonyme aux Annales de l'agriculture il est capable d'interrompre sa promenade à cheval s'il aperçoit un bon cochon dans un enclos. Un jour, au cours du discours du Trône, alors que la guerre fait rage en Amérique, il entretient longuement le Parlement de son inquiétude au sujet de la maladie des bêtes à cornes. L’incident lui vaudra le surnom de « Farmer George », George le fermier. Mais le soin méticuleux qu'il accorde à la gestion de chacun de ces dossiers lui en fait négliger d'autres, bien plus importants.

Avec des goûts aussi rustiques, George III est plus heureux à la campagne qu'à la cour, dont l'étiquette est d'une grande sévérité. Le protocole exige en effet que l'on s'éloigne de lui à reculons, qu'on ne le regarde jamais dans les yeux et qu'on ne lui adresse jamais la parole en premier. La vie quotidienne à la cour est d'une désespérante monotonie. Hormis quelques belles fêtes de temps en temps, tout y est rigide. En présence de la reine, nul n'a le droit de s'asseoir et chacun, y compris ses propres fils, doit donc rester debout aussi longtemps qu'il plaira à la reine.

La reine, justement : Charlotte de Mecklembourg-Strelitz. Née le 19 mai 1744, elle est considérée comme petite, plate, insignifiante, sans beauté et sans culture. Elle va donner quinze enfants à George, dont elle a fait la connaissance le jour même de leur mariage. Ils formeront un couple uni et George III lui sera parfaitement fidèle jusqu'au bout – moins par amour que par sens du devoir. À son propos, l'autrichien Bombelles note dans son journal en 1784 : « Je ne sais plus qui a dit que la grâce était plus belle que la beauté, mais on en sent la vérité en voyant la reine d’Angleterre. Elle est laide dans tous ses traits, elle plaît dans son ensemble ».

 

Contre toute attente, les goûts modestes du roi suscitent plus de critiques que d'admiration. Aux yeux des puissants, il est un pingre dont la vie bourgeoise et rangée est abominable. L'époque est à la dépense, au jeu, à la prodigalité, à la dissipation, au plaisir et au cynisme ; Londres est un gigantesque casino où d'immenses fortunes se perdent chaque soir entre deux banquets. Ramener leurs maîtres ivres morts chez eux fait partie du quotidien des domestiques londoniens.

Illustration caractéristique de cette vie bourgeoise et rangée que l'on reproche au roi : la pratique du « terrassing ». Il s'agit pour le roi de se promener en famille au beau milieu du public, sur l'une ou l'autre des grandes terrasses qui s'étendent le long des façades du château de Windsor. Pour tous les membres de la famille, c’est une corvée dont on se passerait bien, en particulier pour la reine. Mais on ne peut y échapper : il faut donner l'image d'une monarchie à la fois impressionnante par ses apparences et accessible au public. La petite princesse Amelia, âgée de 3 ans, pouvait s'amuser à parader à la tête de la famille royale mais l'aîné se plaignait d'être ainsi forcé à marcher sur la terrasse, les dimanches soir, en rémission de nos péchés.

 

Un roi vaniteux à l'intelligence médiocre

Tout bien considéré, entre sa passion pour les bêtes à cornes, les livres, les règlements militaires et les boutons d'uniformes, sa flûte à bec, le terrassing et son affreuse bigote de femme à laquelle il est sinistrement fidèle, voilà un roi qui, décidément, ne comprend rien à son époque. « Ce roi est tellement vieux jeux », doit-on murmurer sous cape dans les soirées londoniennes.

George III prend son rôle de roi très au sérieux et s’y consacre avec ardeur, nourri de la doctrine exposée par le philosophe britannique Henry St John : « Le roi patriote doit régner et gouverner. Pourquoi obéirait-il aux ordres d'un cabinet de quelques grandes familles, d'un parlement qui ne représente pas le pays ? A lui au contraire de devenir, contre les oligarchies, le champion de ses sujets. Sur lui, les yeux de tout un peuple sont fixés, remplis d'admiration et brillants d'affection ».

Cette doctrine, en l'incitant à établir un pouvoir personnel, suppose qu'il soit capable de mater le Parlement et l'expose donc à de graves conflits. Pour y arriver, il lui aurait fallu un peu de sens politique et de souplesse : toutes choses dont il ne possède pas une once. Au contraire, il considère comme une rébellion insupportable toute opposition à sa volonté. Sous des dehors bonhommes, Farmer George est vaniteux et vindicatif, doté d'une intelligence médiocre, et rancunier. Il aimait d'ailleurs à dire : « Ce que je n'oublie pas, je ne le pardonne pas ».

Il va par ailleurs trouver face à lui tout au long de son règne des politiciens parmi les plus brillants de l'histoire de l’Angleterre, comme William Pitt, Pitt le Jeune ou James Fox, représentants des Whigs, une puissante oligarchie qui tenait ses propres intérêts pour ceux de l’Angleterre. Loin de reprendre les choses en main, le roi va au contraire, par ses maladresses et son incompétence fonder à jamais l'omnipotence ministérielle.

 

Le refus de l'indépendance américaine

Sous son règne, la situation intérieure ne cessera de se dégrader. Il se refuse par exemple à accepter la situation aux Amériques. Le 4 juillet 1776, jour de la déclaration d'indépendance des Etats-Unis, il écrit dans son journal : « Rien d’important n’est arrivé aujourd’hui ». On pense irrésistiblement au journal de Louis XVI, qui gouverne alors la France au même moment. Mais le journal de George III n’est pas un simple journal de chasse, il s'agit plutôt d’y transcrire les événements majeurs du jour. A ses yeux, l'indépendance des Etats-Unis n'en est pas un, il ne veut rien savoir.

Après la signature de l’indépendance, il perd sa majorité au Parlement et il s'en faut de très peu qu'il ne perde sa couronne. L'esprit de révolte qui règne aux Etats-Unis gagne l’Angleterre, donnant lieu à de graves émeutes à Londres. En de telles circonstances, un James Fox, le brillant adversaires de William Pitt le Jeune, aurait pu devenir un remarquable instrument pour le roi, mais celui-ci réprouve tellement son style de vie, ses paris absurdes, ses amours tapageuses, qu'il préfère se passer de ses services. Dès lors, Fox va se vouer corps et âme à la cause de l'opposition.

Le royaume connaît alors une grande instabilité sur fond de scandale parlementaire. Au moment même où l'ordre semble rétabli survient la nouvelle de la défaite de Yorktown qui entraîne la capitulation de l’Angleterre en 1781. George III s'entête à vouloir écraser la rébellion dans les colonies, alourdissant encore une dette humaine et financière déjà insupportable, alors que Pitt le Jeune souhaite au contraire promouvoir l'indépendance. L'avenir lui donne raison : les colonies américaines deviennent un état souverain, ce qui met George III au désespoir. Il ne pourra s'empêcher de pleurer en voyant le jeune ambassadeur de la nouvelle République venir lui remettre ses lettres de créance.

 

En 25 ans de règne et malgré toute sa bonne volonté, il n'a réussi qu'à mener son royaume au bord de l'abîme : perte de l’Amérique, corruption scandaleuse aux Indes, humiliation par la France qui, au terme du traité de Versailles, récupère en 1783 les territoires perdus vingt ans auparavant, notamment ses comptoirs en Inde, Gorée et le Sénégal, Dunkerque la Martinique et la Guadeloupe. Et pour finir, toute puissance du parti Whig au parlement. De tous ses échecs, George III porte seul la responsabilité : sa tentative de pouvoir personnel s'achève en désastre.

Dans ce contexte, la popularité dont il jouissait au début de son règne n'est plus qu'un lointain souvenir. Désormais, on le brocarde, on le chantonne on le calomnie dans des pamphlets et les caricaturistes reproduisent à cœur joie sa silhouette alourdie, ses yeux globuleux et son menton effacé dans la graisse.

 

La folie de George III était en fait une maladie rare

Au cours de son règne, George III aura cinq grandes crises, la plus fameuse d’entre elles ayant duré d'octobre 1788 à février 1789. Il offre alors à son entourage consterné un spectacle ahurissant. Le 11 juin 1788, une semaine après son 50e anniversaire, le monarque est victime d'une montée de bile très aigue. Il est très agité, fébrile, ressent de violentes douleurs d'estomac. Sur les recommandations de son médecin, il part séjourner cinq semaines dans la station thermale de Cheltenham et semble se remettre.

Quelques mois plus tard, mêmes causes, mêmes effets, avec en plus des douleurs aux jambes. Une crise de goutte, pense-t-on alors, mais d'autres symptômes étranges surviennent bientôt. La façon de parler du roi, d'ordinaire lente et majestueuse à force d'application, devient saccadée, incohérente. Toutes ses phrases sont hachées d’étranges onomatopées ou de « What, what », dont l'effet comique est irrésistible.

Dans l'ensemble cette fantaisie semble d'abord inoffensive ; on se contente de diminuer la fréquence des grandes réceptions et des sorties publiques. Mais les choses prennent progressivement un tour préoccupant. George III devient insomniaque, il erre de nuit dans son château, en proie à des hallucinations, croit voir Londres sous les eaux. Il gesticule, a des accès de sueur, délire et ne reconnaît pas sa femme, sur laquelle il crache. Il parle et parle encore, une loquacité exténuante à laquelle il semble incapables de résister, jusqu’à en avoir l'écume à la bouche.

Ses urines sont bleues, ce à quoi son médecin, qu'il traite constamment de vieil étron, n'a aucune explication. Ventouses, purges, saignées, sangsues pour drainer les humeurs, tout y passe. Le roi ne peut plus se gouverner, souille ses vêtements. Un jour qu'il semble à peu près cohérent, il assiste à une représentation du Messie de Haendel à la cathédrale de Worcester. Il se lève et se met à battre furieusement la mesure devant une assistance médusée, apostrophant les musiciens, parlant tout haut.

On le voit aussi s'amuser comme un enfant : un rien le plonge dans une exaltation incompréhensible. Il pose à tout bout de champ des questions souvent indiscrètes dont il n'attend jamais les réponses, passe à autre chose et tout à coup se met à rire à gorge déployée. Levé avant l'aurore, il court partout, saisi d'une curiosité et d'une bougeotte dont rien ne peut interrompre le cours.

 

George III ne souffre pas d'une maladie mentale mais d'une affection rare : la porphyrie intermittente aiguë, une maladie du foie qui provoque fréquemment des symptômes mentaux : irritation, agitation, insomnie, fatigue et dépression. Aujourd'hui on établirait un diagnostic en regardant uniquement la couleur des urines très caractéristique : bleu, rouge ou pourpre. On trouve dans les comptes rendus de ses médecins trois références à la couleur des urines : « couleur pourpre en laissant un cercle bleu sur les parties supérieures du verre ».

Mais à l'époque, personne ne peut expliquer l'attitude du monarque. Son entourage est stupéfait, son attitude devient par trop extravagante : il salue les arbres comme s'ils étaient humains, en leur serrant les branches, et voit le roi de Prusse partout. Il devient impossible de dissimuler plus longtemps que le roi est fou. Lui-même en convient, dans ses moments de lucidité, et s'en désole.

 

Le prince de Galles qui s'est vu roi trop vite

Il maigrit de façon inquiétante et devient si faible qu'il est obligé de se servir d'une canne pour marche. Il ne supporte même plus la musique qui semble l'épuiser nerveusement. Ses médecins ne savent plus quoi faire ; ils prescrivent le calme et le silence, si bien que Windsor devient une sorte de tombeau où le malheureux monarque est comme enterré vivant. Les cloches ne sonnent plus, la garde est renforcée pour empêcher toute intrusion de curieux.

Certains jours, le roi George oublie qu'il est marié avec sa femme et se croit l’époux de lady Pembroke, un amour de jeunesse. L’automne s’écoule de la sorte, avec des alternances d'amélioration et de rechute.

 

Sur le plan politique, la situation est également très grave. Au moment de la reprise de la session parlementaire en novembre 1788, le roi est tout à fait incapable de prononcer le discours du Trône, ce qui met le parlement dans une situation inextricable car selon la loi, aucune affaire ne pouvait être réglée tant que le souverain n'avait pas prononcé le discours permettant l'ouverture du Parlement. Celui-ci commence, sous cape, à parler régence.

 

Une seule personne se réjouit en son for intérieur du drame qui se joue : c'est le prince de Galles. Aîné du roi, il ne voit pas d'un mauvais œil la dégradation de l'état de son père. Lui-même mène une vie extravagante, dépensant des fortunes, allant de maîtresse en maîtresse. Celui que l'on qualifie déjà de premier gentleman de l’Europe est monstrueusement endetté et William Pitt, qu’il déteste, a refusé de demander au Parlement de quoi éponger ses dettes. Devenir le maître du royaume est donc la seule façon pour lui de résoudre ses problèmes financiers.

Dans ce contexte, la folie de son père est providentielle et il s’en réjouit ouvertement. Il convoque même un aliéniste très en vogue, le Dr Warren, que le roi refuse d'abord de recevoir. Le docteur en question confirme le diagnostic de folie incurable et précise que le roi n'en a plus pour longtemps. Quand bien même il survivrait, le fait même qu'il aboie montre à quel point ses facultés mentales sont atteintes.

Ces informations malveillantes sont évidemment transmises à Londres, mettant sur la table la question brûlante de la régence. Les partisans du prince de Galles en rajoutent : le roi se promènerait maintenant nu dans les couloirs de Windsor, ferait asseoir son médecin sur ses genoux pour lui montrer les étoiles. Les partisans s’invectivent au Parlement, multipliant les nouvelles contradictoires, rassurantes ou alarmantes selon qu'ils en tiennent pour le roi ou pour le prince de Galles.

 

Pendant que le roi est cantonné à Kew, ses deux fils aînés font l'inventaire de ses biens et mettent sous clé les bijoux de leurs parents. Le prince de galles, se voyant déjà sur le trône, fait frapper des pièces portant sa devise. Alors que l'état de son père semble s'être amélioré, lorsqu'il lui rend visite le 23 février, son frère le duc d'York est lui-même de retour à Londres et n’en affirme pas moins que leur père divague plus que jamais.

Mais à leur grand dam, George III semble effectivement se remettre. Fin février, les bulletins de santé sont supprimés et mi-mars, le roi est officiellement guéri. Un service d'action de grâce est donné à Saint-Paul, auquel assistent les deux fils dépités. L’Angleterre se réjouit de la guérison de son roi débonnaire mais George III ne se fait aucune illusion. Il se sait malade et de fait, après une longue accalmie de 12 années, les crises reviendront et se feront plus violentes et plus rapprochées.

Inexorablement, l'esprit du roi vacille : de longues périodes de dépression et d'abattement succèdent à des moments d'extrême exaltation. On ne peut plus guère lui demander son avis sur les affaires de l'état. La mort de sa fille préférée, la princesse Amelia en 1810, lui porte le coup de grâce et achève de lui faire perdre complètement la raison. Le 5 février 1811, sa déchéance est consommée.

 

Un roi réhabilité

La cérémonie d'investiture du prince de Galles en tant que régent a lieu à Carlton House. Comme George III devient aveugle, phase ultime caractéristique de la porphyrie, on fait matelasser les murs et le mobilier de ses appartements du château de Windsor afin qu'il ne se blesse pas. C’est là qu’il finira ses jours, en chemise de nuit, drapé dans une ample robe de chambre rouge coiffé d'un bonnet de fourrure, vagabondant à l'aveuglette, divaguant, et comme le roi Lear de Shakespeare, croyant entendre les voix de ses filles.

Il fait parfois de longs discours à ses domestiques médusés, reste prostré pendant des heures, la tête sur ses bras croisés. Durant ses crises, il est saisi de convulsions d'une telle violence qu'il faut le maintenir au sol ou le tenir entravé dans une camisole. Sa dernière attaque a lieu avant Noël 1819, soit un mois avant sa mort. Plus de deux jours et deux nuits consécutives sans dormir et sans cesser de parler de manière incohérente, soit 58 heures à parler de façon ininterrompue. Après quoi, il sombre dans le coma.

George III meurt paisiblement, sans douleur, le 29 janvier 1820 au château de Windsor, à 81 ans et au terme d'un long règne de 59 ans.

 

Longtemps après sa mort, la cote de ce monarque a été au plus bas des deux côtés du Channel. Les Anglais le tenaient pour le fou qui leur avait fait perdre l’Amérique et pour nous Français, il restait ce maudit roi d’Angleterre qui nous a volé les Indes et le Canada, et infligé à Trafalgar la plus grande défaite navale de notre histoire.

Entre les fiascos de son règne et sa camisole de force, mal-aimé, vilipendé, raillé, caricaturé, le malheureux George III a longtemps sombré dans l'oubli, ne laissant que le vague souvenir d'un pauvre être souffrant, halluciné et égaré, errant en robe de chambre dans les couloirs capitonnés du château de Windsor, où s'acheva sa triste vie.

Cependant, si quelques trente mille personnes sont venues assister à ses obsèques, censées pourtant être privées, c'est bien qu'il avait été aussi aimé et respecté. plus indulgents que leurs prédécesseurs, les historiens du 20e siècle on contribué à le réhabiliter, partageant l'opinion d'un Sir John Fraser, lorsqu'il écrit : « La plus grande catastrophe de toute l'histoire de la Grande-Bretagne : la rupture avec l’Amérique ne serait sans doute pas survenue si George III n'avait été à la fois d'intelligence médiocre et honnête ».

 

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Ecriture et présentation : Clémentine Portier-Kaltenbach

Production : Timothée Magot

Réalisation : Oscar Vataire 

Diffusion et édition : Clémence Olivier avec Salomé Journo

Graphisme : Sidonie Mangin

 

 

Bibliographie  

George III, Ghislain de Diesbach,  Berger-Levrault, Paris, 1966, 279 pages. 

Histoire de l'Angleterre, André Maurois, Fayard

La promenade sur la terrasse, outil politique et spectacle social à la Cour d’Angleterre, Susan Howard, Traduction et adaptation de Guy Spielmann  Dans Dix-huitième siècle 2017/1 (n° 49) , pages 181 à 193

Le roi fou de Windsor, Bruno Cabanes,  L'histoire N° 192, octobre 1995

« La Folie du roi George »,  film de Nicholas Hytner, 1995