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SAISON 2022 - 2023, modifié à

[A l'occasion du couronnement de Charles III] Découvrez le récit inédit consacré à Elizabeth Ire, raconté par Virginie Girod. D’abord écartée de la succession au trône d’Angleterre, elle deviendra finalement reine le 17 novembre 1558 à la mort de sa demi-sœur, Marie Tudor. Elle choisit de ne jamais se marier, afin de conserver son pouvoir, ce qui lui vaudra le surnom de "reine vierge". Femme la plus puissante du XVIème siècle, Elisabeth soignait son image de souveraine intransigeante, volontaire et courageuse, qualités qu’elle mettra un point d’honneur à conserver jusqu’à sa mort. Celle qui a lui donné le plus de fil à retordre est une autre femme : Marie Stuart, la reine d’Écosse. Suite à leur affrontement, l’Écosse a été intégrée au royaume d’Angleterre.

Sujets abordés : Monarchie anglaise – couronnement – Elizabeth Ire - Ecosse – Marie Stuart

"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio. 

Ecriture et présentation : Virginie Girod 

- Production : Camille Bichler

- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud 

- Réalisation : Clément Ibrahim 

- Musique originale : Julien Tharaud 

- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis 

- Communication : Kelly Decroix 

- Visuel : Sidonie Mangin

Nous sommes à Londres en février 1587. Elizabeth Ière, souveraine incontestée d’Angleterre depuis presque 29 ans prend la plume. C’est l’âme en peine qu’elle écrit à son petit cousin Jacques VI d’Écosse pour lui annoncer la condamnation à mort de sa mère, Marie Stuart, en résidence surveillée sur ses terres depuis 19 ans.

Les mots de la reine vierge sont pleins de commisération. Elle évoque un « événement lamentable commis contre sa volonté ». Certes, Élizabeth n’aime pas avoir la mort d’une autre reine sur la conscience. Ça vient souiller sa vision de sa propre majesté divine. Mais Marie Stuart l’a bien cherché. Et le pire, c’est que même morte, elle lui cause encore des tracas : elle passe à la postérité pour une martyr !

La Renaissance a été une période propice aux femmes. Partout en Europe, qu’elles soient reines ou régentes, elles prennent un pouvoir considérable au point d’hystériser les prédicateurs les plus misogynes comme le réformateur de l’Église écossaise John Knox. Dans ses écrits, il fustige « le monstrueux gouvernement des femmes » et les deux femmes qui lui déclenchent ses crises sont deux cousines : Elizabeth Ière et Marie Stuart.

Deux enfances différentes

Élizabeth a trois ans quand elle passe de princesse à bâtarde. Son père, le roi Henri VIII, la rejette après avoir fait assassiner sa mère Anne Boleyn. Elizabeth grandit dans une misère relative mais son précepteur veille à développer son esprit qu’il juge « masculin ». À cette époque, on considère qu’une femme intelligente à quelque chose de viril et il faut le voir comme un compliment.

Quelques années plus tard, Henri VIII se ravise et réintègre sa fille dans l’ordre de succession. Elle est en troisième position après son jeune frère Édouard et sa grande sœur Mary. Le jeune Édouard VI meurt prématurément sur le trône à 15 ans. La nouvelle reine Marie, fille de l’espagnole Catherine d’Aragon, est une farouche catholique. Elle s’est mise en tête de ramener son pays dans le giron de Rome et de mettre fin à l’hérésie protestante. Sa politique se solde par de nombreux massacres et elle gagne le surnom de Bloody Mary, Marie la Sanglante.

Elle aussi meurt prématurément des suites d’une maladie. C’est comme ça qu’Elizabeth est sacrée reine en 1559 à l’âge de 25 ans. Cette protestante déjà rompue au jeu des intrigues politiques va tout faire pour ramener la paix dans son royaume. Pour ça, elle veut gouverner seule, sans mari pour lui dicter sa conduite et se prévaloir de sa couronne. Et ça, c’est vraiment audacieux pour une femme de son époque.

L’enfance de Marie Stuart est très différente de celle d’Elizabeth. Elle succède à son père Jacques V d’Écosse quelques jours seulement après sa naissance. Ce bébé-reine est entouré d’un régent zélé et d’une mère catholique au caractère bien trempé, la française Marie de Guise.

Depuis des siècles, les Anglais ne rêvent que de prendre l’Écosse. La politique moins belliqueuse d’Elizabeth fera office de trêve. Mais ce n’est pas un moment d’apaisement pour autant. L’Écosse est divisée en clans qui empêchent toute unité politique solide au sein du royaume. À cette structure politico-administrative complexe, s’ajoute une lutte sanglante entre les familles protestantes et les familles catholiques.

Pour protéger la couronne de sa fille, Marie de Guise se tourne vers son pays natal : la France. Sa fille n’a que 6 ans quand elle arrive à la cour du roi Henri II. Elle est promise à son dauphin François. La petite Marie est donc élevée dans les fastes d’une cour raffinée qui la prépare à devenir reine selon les standards français : c’est-à-dire la mère des futurs héritiers et la représente du charme féminin à la cour. Mais elle est aussi un pion dans la politique de sa belle-famille.

Reine d'Angleterre et reine d'Ecosse

Henri II la pousse à ajouter le lion anglais sur ses armoiries. Le projet est clair : Marie Stuart est l’arrière-petite-fille du roi d’Angleterre Henri VII Tudor. Elle peut tout-à-fait revendiquer la couronne de ce pays au même titre qu’Élizabeth qui est la petite-fille d’Henri VII. Évidemment, Henri II a une idée derrière la tête. Pour lui, comme pour l’empire Espagnol, l’Angleterre est une terre à annexer par tous les moyens pour s’arroger ses richesses. Mais chaque souverain catholique proche du pape espère aussi en finir avec l’hérésie protestante qui alimente les guerres de religion.

Marie Stuart épouse donc le dauphin de France à 15 ans. Elle devient reine de France en 1559 quelques mois après le sacre d’Elizabeth en Angleterre. Pour les Français, Marie doit devenir aussi reine d’Angleterre pour unir les deux royaumes. Mais l’instabilité politique et religieuse en France diffère ce projet.

François II meurt prématurément de maladie en 1560. Son règne n’a duré qu’un an et demi. Son frère Charles IX lui succède. Marie Stuart, veuve à 17 ans, rentre en Écosse dont elle est encore la reine.

Pendant qu’Elizabeth s’impose habilement en reine toute puissante dans son royaume, Marie en découvre un qu’elle ne connaît pas. James Stuart, son demi-frère illégitime, exerce la régence. Protestant convaincu, il a chassé presque tous les catholiques des institutions de pouvoir.

James convainc sa sœur de lui laisser exercer des fonctions de premier ministre officieux. En échange, il lui laissera exercer sa foi catholique alors que les messes sont interdites et il prendra en compte son avis dans le gouvernement. Marie accepte. Son enfance choyée en France ne lui a pas donné le sens politique de sa cousine Elizabeth : elle ne comprend pas qu’elle n’est qu’un pion aux mains des hommes. Si elle avait été maline, elle aurait pris la tête du parti catholique. Au lieu de ça, elle se laisse isoler par son demi-frère.

Guerre froide entre deux reines

Alors qu’Élizabeth refuse farouchement de se marier pour ne pas laisser un homme lui prendre sa couronne, Marie accepte la demande en mariage d’un cousin, Henri Stuart, lord Darnley, petit-neveu d’Henri VIII. Elle voit sans doute cette union comme un moyen de se rapprocher de la couronne d’Angleterre dont elle rêve parce qu’on lui a trop dit en France qu’elle était sienne !

Un petit Jacques naît vite de ce mariage. Marie demande à Elizabeth d’en être la marraine. La souveraine d’Angleterre accepte mais ne prend pas la peine de se déplacer jusqu’en Écosse pour le baptême. Elle propose néanmoins un marché intéressant à la jeune mère : si elle n’a pas d’enfant, elle fera de Jacques son héritier à condition que Marie renonce à ses prétentions sur la couronne d’Angleterre.

Si Marie avait eu des vues moins courtes et si elle avait analysé finement sa cousine, elle aurait accepté ce marché avantageux. Mais par vanité ou par bêtise, elle refuse. Maintenant, c’est la guerre froide entre les deux reines.

Marie Stuart emprisonnée

Alors qu’Elizabeth ramène la paix, la prospérité et la tolérance religieuse dans son royaume, celui de Marie s’embrase. Elle semble tombée dans un piège grossier tendu par ses ennemis protestants. Le prince consort est un homme violent et alcoolique. Elle aurait été poussée par son amant le comte de Bothwell à le faire assassiner dans des conditions rocambolesques. Quoi qu’il se soit vraiment passé, la réputation de Marie est souillée. Une bonne partie du royaume la perçoit maintenant comme une catin et une meurtrière.

Bothwell, qui est acquitté pour le meurtre du prince consort, demande la main de Marie. La reine refuse alors Bothwell l’enlève et la viole. Marie n’a plus d’autres choix que de l’épouser pour laver son honneur. La confédération des nobles écossais la fait arrêter pour ses intrigues et obtient son abdication en faveur de son fils. Jacques VI d’Écosse a seulement un an. Le parti protestant écossais triomphe.

L’année suivante, en 1558, Marie s’échappe de sa prison et lève une armée immédiatement défaite par ses ennemis. Acculée, elle fuit au nord de l’Angleterre sur les terres de sa cousine. Elizabeth sent venir les problèmes. C’est au nord de son royaume qu’il y a le plus de catholiques. Sa cousine pourrait les soulever pour lui voler sa couronne. Par précaution, elle met donc Marie Stuart en résidence surveillée... pendant 19 ans.

Elizabeth, qui refuse de renouer avec la violence de sa sœur aînée Bloody Mary, ne sait que faire de Marie Stuart qui passe son temps à écrire au pape, au roi de France et au roi d’Espagne. Elle maîtrise à la perfection le chiffre et l’art de coder les lettres. Elizabeth doit mettre tout son service de renseignement sur le coup pour déchiffrer les missives de la reine d’Écosse déchue et anticiper les problèmes qu’elle va lui causer.

Pour se débarrasser de sa cousine, Elizabeth doit agir en stratège. James Stuart, le demi-frère de la reine, fournit ce que les historiens appellent les « lettres du coffrets » des lettres d’amour que Marie Stuart aurait écrites à Bothwell et qui laissent entendre – entre les lignes – un complot pour tuer le prince consort. Ce n’est pas assez pour se débarrasser de Marie mais Elizabeth a brisé la réputation de sa rivale. C’est un premier pas vers son élimination.

L'exécution de la reine d'Ecosse

Les années passent et même si Marie Stuart est gardée à vue, elle alimente trop de complot contre Elizabeth qui doit se résoudre à la tuer. C’est ainsi que le renseignement anglais laisse le catholique Anthony Babington se rapprocher de Marie Stuart. Lorsque la reine déchue d’Écosse concède dans une lettre qu’il faudrait tuer la reine d’Angleterre, Elizabeth peut enfin la faire condamner pour haute trahison.

Selon certains historiens, cette lettre attribuée à Marie Stuart serait un faux. Mais le résultat est le même. Le 8 février 1587, après 19 ans de détention, la reine d’Écosse, en martyr catholique dont les mains débordent de crucifix et de rosaires, offre son cou au bourreau. Celui-ci, un peu ivre, s’y reprend à trois fois pour lui couper la tête.

Marie Stuart gagne un statut de victime dans l’Histoire et Elizabeth fait ce qu’elle peut pour négocier avec sa conscience et les impératifs politiques de son royaume. Comme elle l’avait envisagé depuis 20 ans, Élisabeth, qui est officiellement restée une reine vierge, choisit Jacques VI d’Écosse comme successeur. Quand celui-ci monte sur le trône d’Angleterre en 1603 sous le nom de Jacques Ier, il réunit ses deux couronnes.

Charles III, couronné 420 ans plus tard, règne donc sur l’Angleterre mais aussi sur l’Écosse grâce aux habiles stratégies de sa lointaine aïeule Elizabeth Ière.

 

C’est la fin de ce récit consacré à Elizabeth Ière et à son duel de dames avec Marie Stuart. Mais elle n’est pas la seule reine à avoir repousser les limites du royaume d’Angleterre. C’est une autre femme, la reine Victoria, qui va lui donner une portée mondiale et poser les fondations du futur Commonwealth.

Sources :

- Bernard Cottret, Les Tudors, Perrin. 

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