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SAISON 2020 - 2021

Moins d’un an après "Les Trois Mousquetaires", Dumas livre une suite : "Vingt ans après". Elle sera suivie par "Le Vicomte de Bragelonne" en 1847. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte les faits historiques réels qui ont inspiré les nouvelles aventures de d’Artagnan et de ses acolytes. 

"Les Trois Mousquetaires" connaîtront deux suites : "Vingt ans après" dès 1845 et "Le Vicomte de Bragelonne" deux ans plus tard. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars détaille les événements historiques dans lesquels Dumas a puisé la matière de ces deux romans. 

"Vingt ans après"

A peine a-t-il fini "Les Trois Mousquetaires" qu’Alexandre Dumas songe à la suite qu’il va titrer "Vingt ans après". Mais il ne faut pas croire qu’il n’est occupé que par cette série. Elle est parue dans le journal "Le Siècle" de mars à juillet 1844. D’août 1844 jusqu’à janvier 1848 "Le Journal des Débats" publie en feuilleton "Le comte de Monte-Cristo". Entre-temps, de fin 1844 à avril 1845, le journal "La Presse" propose à son public "La Reine Margot". C’est à partir du 21 janvier 1845 que "Le Siècle" publie la suite des Trois Mousquetaires, "Vingt ans après". Dumas est un  bourreau de travail.

Entre la fin de la publication des "Trois Mousquetaires" et le début de celle de "Vingt ans après", il ne s’écoule que six mois ! C’est important pour les lecteurs : ils n’ont pas attendu trop longtemps pour connaître la suite des aventures de leurs héros préférés. Pire ou plus extraordinaire, Dumas décide d’en faire une trilogie. Il a déjà en tête son troisième volume, qui se déroulera dix ans plus tard et s’appellera "Le vicomte de Bragelonne". Des jalons sont déjà posés pour la suite.

Pourquoi choisir de faire vieillir ses héros de vingt ans d’un seul coup ? C’est pour changer de contexte historique. Plus d’omnipotent cardinal de Richelieu mais le rusé Mazarin. Plus de pouvoir royal affermi par un ministre génial mais, au contraire, une période très confuse et très mouvementée pour la France : celle de La Fronde. Quant à l’Angleterre, qui joue, comme dans le premier épisode, un rôle important pour nos héros, elle est en proie à une guerre civile où Cromwell défie la roi Charles 1er. 

Un contexte mouvementé dans les deux cas, idéal pour Dumas qui va pouvoir développer encore son imagination romanesque. Une fois de plus, il dispose d’une énorme documentation pour son travail. 

Deux grandes collections paraissent à l’époque, regroupant les principaux mémoires du temps de Louis XIII et de la régence d’Anne d’Autriche, l’une de Petitot, parue en 1829, l’autre de Michaud, publiée en 1839. Également un précieux essai sur les métiers et les usages du XVIIe siècle de Jean-François Barrière, paru en 1828. Enfin et surtout les historiettes de Tallemant des Réaux, une mine dont il faut se méfier un peu car les histoires sont lestes, les détails piquants, alors que les lecteurs de la Monarchie de Juillet sont plutôt pudibonds…

Il y aussi la Biographie Universelle de Michaud dont il va beaucoup se servir. Pour l’Angleterre, c’est encore plus facile. Le ministre Guizot vient de faire paraître "Histoire de la Révolution d'Angleterre" accompagnée d’une collection de mémoires et documents parmi lesquels le compte-rendu du procès du roi Charles 1er. C’est largement suffisant pour alimenter l’intrigue de Dumas… 

Que sont devenus d’Artagnan et ses compagnons ? 

D’Artagnan est le seul des quatre héros à être resté le même malgré ses vingt ans de plus. Il est toujours mousquetaire au service de la reine et de son ministre Mazarin. Il les sert avec dévouement. Pour accomplir ses missions il part à la recherche de ses anciens compagnons car Mazarin a besoin d’hommes fidèles et résolus. 

Un seul va se laisser convaincre, le débonnaire Porthos, devenu le sieur Porthos du Vallon de Bracieux de Pierrefonds ! Il rêve d’un titre de baron, s’occupe de ses riches  terres picardes. Malgré tout, il ne résiste pas à l’appel de d’Artagnan.  

Athos, dans sa gentilhommière tourangelle, a repris son titre de comte de la Fère. Il veille à l’éducation de son fils, Raoul, qu’il a eu avec une célèbre Frondeuse, la duchesse de Chevreuse. Il ne se joint pas à d’Artagnan. 

Quant à Aramis, il est finalement entré dans les ordres, ce qui ne l’empêche pas d’ourdir des complots avec la belle duchesse de Longueville. 

Pour ce qui est des valets, Planchet s’occupe de sa confiserie rue des Lombards, Mousqueton est intendant des terres de Porthos, Bazin est sacristain de Notre-Dame. Seul Grimaud reste l’ombre de son maître Athos.

Les réticences ou refus d’Athos et Aramis à l’appel de d’Artagnan s’expliquent par une raison évidente : avec Porthos, ils servent Anne d’Autriche et Mazarin, alors qu’Athos, Aramis et leurs duchesses sont du côté de la Fronde. Il est temps d’en dire quelques mots.

La Fronde, théâtre du nouvel épisode 

La Fronde proprement dite a duré de 1648 à 1653. Le livre "Vingt ans après" n’en couvre qu’une partie, de Janvier 1648, début des premiers mouvements populaires jusqu’au au printemps 1649, quand le jeune Louis XIV, la régente et Mazarin rentrent dans Paris. 

La Fronde était une révolte de la noblesse et du Parlement, mécontents de l’accroissement du pouvoir royal obtenu par Richelieu. Ils croient pouvoir profiter de la minorité du roi Louis XIV – qui a 10 ans en 1648 – pour reconquérir leurs anciennes prérogatives. 

Les Frondeurs exploitent l’impopularité de Mazarin et l’irritation du peuple provoquée par diverses mesures financières du cardinal : réduction des rentes, augmentation de l’octroi (c’est la douane) et divers impôts. Un édit d’avril 1648, qui suspend pour quatre ans le traitement des Cours souveraines, met le feu aux poudres. Les parlementaires refusent de l’enregistrer. 

Pire : sous l’inspiration de Paul de Gondi, coadjuteur de l’archevêque de Paris, ils décident de se réunir au Grand Conseil, à la Cour des Comptes et à la Cour des Aides pour délibérer des affaires de l’Etat. Mazarin déclare ces édits contraires aux droits du roi et fait arrêter deux parlementaires parmi les plus vindicatifs. Les Parisiens se soulèvent lors de la Journée des Barricades le 26 août 1648. 

Le petit roi, la régente et Mazarin doivent fuir Paris et se réfugier à Saint-Germain-en-Laye le 5 janvier 1649. Mazarin fait assiéger Paris par l’armée de Condé. Effrayés, les parlementaires s’empressent d’accepter la paix de Rueil le 1er avril 1649. Elle leur garantit l’amnistie et fait de Gondi un cardinal. C’est dans cette période que se passe "Vingt Ans après". Une Fronde des Princes suivra mais elle n’est pas dans le feuilleton.

Parallèlement, l’Angleterre est en pleine guerre civile. Le roi Charles 1er, devenu très impopulaire, fait face à une révolte des parlementaires, des bourgeois des villes et des petits propriétaires ruraux. Ils affrontent l’armée royale et ont à leur tête un chef militaire remarquable, Cromwell qui vainc à plusieurs reprises l’armée royale. Charles 1er, réfugié en Écosse, est arrêté en 1647. Il est détenu dans un château du Hampshire où il jouit d’une certaine liberté mais refuse de traiter avec le Parlement. Il est jugé en janvier 1649 et condamné à être décapité.

Dans toute cette période, d’Artagnan protège le jeune roi, la reine et Mazarin. D’abord au Louvre lors de la terrible Journée des Barricades, puis pendant la fuite de la Cour à Saint-Germain-en-Laye. Dumas sait bien ce que sont les barricades. Il a vécu, avec son ami Victor Hugo, les Trois Glorieuses de la Révolution de 1830. Ses évocations de la foule en furie sont d’un réalisme qui sent le vécu.

D’Artagnan organise aussi la fuite du petit Louis XIV, de la régente et de Mazarin à Saint-Germain-en-Laye au début de 1649. C’est dans cette période durant laquelle le cardinal fait le siège de Paris qu’il va le charger, ainsi que Porthos, de se rendre en Angleterre auprès de Cromwell, pour discuter du sort de Charles 1er et d’une éventuelle alliance avec la France. 

Au même moment, Athos et Aramis sont aussi à Londres pour tenter de sauver la tête du roi. Là encore, Dumas traite un sujet délicat (la décapitation d’un roi), sujet particulièrement sensible lorsqu’on sait que le propre père de Louis-Philippe a voté la mort de son cousin Louis XVI en 1793. 

Mais l’auteur s’en sort très bien. L’exécution de Charles 1er est une lecture bouleversante. Les quatre amis vont se trouver réunis, ayant finalement échoué chacun dans leur mission. Ils font face à un danger commun : l’abominable Mordaunt, créature de Cromwell, mais surtout fils de Milady, qui va les persécuter implacablement. Mordaunt est l’instrument du destin, l’âme damnée de Cromwell, qui reproche surtout aux Mousquetaires d’avoir exécuté sa mère.

Au cours du voyage de retour d’Angleterre du quatuor reconstitué, Mordaunt manque de peu de faire sauter le navire qui les transporte. Mais nos héros parviennent à s’enfuir sur une barque. Mordaunt réussit alors à faire tomber à l’eau le malheureux Athos. Seul le souvenir de son fils le rappelle à ses devoirs et lui permet de planter un poignard dans le cœur de son ennemi…

On peut dire que ce mélodrame est un enchantement de lecture, par la construction, d’abord, et par tous les détails pittoresques que Dumas distille dans son récit : la radinerie de Mazarin qui interdit de changer les draps du jeune Louis XIV plus d’une fois par an, ou la pauvre Henriette d’Angleterre, fille de Charles 1er, alors une enfant, obligée de garder le lit au mois de janvier faute de quelques bûches pour chauffer sa chambre… Heureusement, elle survivra et deviendra duchesse d’Orléans, première épouse du frère de Louis XIV. Étoile éphémère de la Cour du Roi Soleil, elle mourra mystérieusement et permettra à Bossuet de prononcer  un de ses plus célèbres éloges funèbres : "Madame se meurt, Madame est morte".

L’évasion du duc de Beaufort, descendant d'Henri IV et de Gabrielle d’ Estrées, l’un des frondeurs les plus populaires, est un morceau d’anthologie. "Vingt ans après" est très riche en dialogues. D’Artagnan est plein d’esprit et d’humour et même Porthos, sous la plume de Dumas, arrive à faire de bons mots. 

Dans ce roman, les personnages et les événements historiques sont souvent traités sur un mode bouffon et satirique qui rend la lecture réjouissante. Pour arriver à ce résultat, Dumas s’est plongé dans les mémoires du temps. Il est délicieusement irrévérencieux et merveilleusement romanesque. Malgré l’âge des héros, il y aura une suite. Elle se déroule dix ans plus tard et a pour titre "le vicomte de Bragelonne".

Le vicomte de Bragelonne 

"Le vicomte de Bragelonne" est publié par le journal "Le Siècle" du 20 octobre 1847 au 12 janvier 1850. Pourquoi une période aussi longue ? Il y a deux raisons. La première est qu’au milieu de la parution, après une campagne de banquets patriotiques, une Révolution (encore une) balaye en trois jours les 22, 23 et 24 février 1848 la Monarchie de Juillet. Elle est remplacée par une République minée de contradictions qui aboutira au Second Empire. Alexandre Dumas vit littéralement cette Révolution.

En mars 1848, il lance un mensuel "Le Mois", outil pédagogique destiné à l’instruction politique des masses. Il se présente aux élections à l’Assemblée Constituante. C’est un échec cuisant ! Littérature et politique ne font décidément pas bon ménage… Finalement, il rallie, sans conviction, Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la République  française. 

Très ébranlé, il se remet à son "Vicomte de Bragelonne" mais la Révolution de 1848 ne suffit pas à expliquer une aussi longue parution. En fait, ce projet de roman est tellement immense qu’il aura deux fois plus de volume que les précédents. 

La période couverte n’est pourtant pas si longue : elle court de la restauration des Stuart sur le trône d’Angleterre en la personne de Charles II par le général Monk en 1660, à la période fastueuse et dissipée des premières années du règne personnel de Louis XIV. 

Le livre traite les fêtes de Fontainebleau du jeune Louis XIV, du surintendant Fouquet, de son ascension et de sa chute dont le point d’orgue est la fameuse fête donnée par Fouquet dans son château de Vaux-le-Vicomte qui rendra Louis XIV jaloux. Pire encore : lors de cette fête, un complot est ourdi pour éliminer le roi et le remplacer par son frère jumeau Philippe, qui se lamentait depuis des années, prisonnier avec un masque de fer dans un cachot de l'île Sainte-Marguerite, une des îles de Lérins. 

Le complot échoue évidemment. La chute de Fouquet entraîne de nouvelles aventures. On voit que le sujet est large. S’y ajoute une histoire d’amour : le jeune Raoul de Bragelonne, fils d’Athos, a été élevé avec Louise de La Vallière. Il en est éperdument amoureux. Mais tout le monde sait que Louise de La Vallière arrivant à la Cour de Louis XIV va ravir le cœur du roi. Tant de péripéties méritaient bien quelques volumes de plus !

Dix ans ont passé depuis la fin de "Vingt ans après". D’Artagnan a maintenant un âge mûr. Il n’est plus Mousquetaire et s’en est allé en Angleterre. Il a capturé le général Monk et il a facilité l’accession au trône de Charles II, sous les auspices de la France. Il a réussi. C’est le début de sa fortune. Il sera désormais constamment auprès de Louis XIV, au milieu des intérêts et des passions dont la Cour est le théâtre.

Le roman devient alors une chronique des amours du roi, de la chute de Fouquet, de l’ascension de Colbert et de l’incroyable histoire du masque de fer. C’est Aramis, devenu général des Jésuites, qui prétend substituer à Louis XIV son frère jumeau, l’homme au masque de fer pour contrer l’autoritarisme évident du jeune roi de France. C’est encore d’Artagnan qui est chargé de sauver la situation. Evidemment, Louis XIV n’est finalement pas remplacé et son jumeau regagne sa geôle.

L’histoire de Raoul de Bragelonne, fils d’Athos, est tout aussi tragique. Fou d’amour pour Mlle de La Vallière, il prend très mal le fait qu’elle devienne la maîtresse du roi. Désespéré, il va se faire tuer dans une bataille. Son père n’y survivra pas. 

Porthos est toujours l’alter ego de d’Artagnan, devenu maréchal de France. Il trouve la mort dans un combat à Belle-Île, refuge de Fouquet, écrasé par des blocs de pierre dans une grotte. La fin de Porthos est un morceau d’anthologie. Dumas fils vient voir son père au moment où il achève ce chapitre. Il le trouve triste, les yeux rougis. Il lui demande ce qui lui arrive : "J’ai un gros chagrin. Porthos est mort ! Je viens de le tuer ! Je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer sur lui. Pauvre Porthos !"

D’Artagnan, à qui désormais tout réussit, se fait tuer à Maastricht. Le seul survivant est Aramis.

"Le vicomte de Bragelonne" n’est cependant pas un livre triste. Il est même extrêmement divertissant. Dumas s’y révèle virtuose, en conteur inspiré et vivifiant. C’est parfois rocambolesque mais il fait tout passer, y compris ses incohérences. Après tout, n’était-ce pas lui qui avait dit : "Il est permis de violer l’histoire… à condition de lui faire un enfant".

 

Ressources bibliographiques :

Simone Bertière, Dumas et les Trois Mousquetaires (de Fallois, 2009)

Alain Decaux, de l’Académie française, Dictionnaire amoureux d’Alexandre Dumas (Plon, 2010)

Et bien sûr, Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne !

 

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"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Graphisme : Karelle Villais