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SAISON 2020 - 2021, modifié à

Après un début de carrière prometteur au théâtre, Alexandre Dumas connaît la gloire et la fortune grâce à ses romans historiques. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars revient sur la trajectoire littéraire, mais aussi sur les frasques amoureuses et financières de cet auteur légendaire, fantasque et bon vivant.  

A partir des années 1840, Dumas consacre une grande partie de son temps à l'écriture de romans historiques. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte ce qui a inspiré ce tournant dans sa carrière et revient sur les conquêtes et les excès de celui que son fils qualifiait d'enfant, même au soir de sa vie. 

Dumas et les femmes

Dans les années suivant le fameux bal qu’il donne le soir du 30 mars 1833, Alexandre Dumas continue d’écrire des pièces. Il commence à voyager, et surtout, il accumule les conquêtes féminines. Il le dira, sur le ton de la plaisanterie : "Je ne veux pas exagérer mais je crois bien que j’ai de par le monde plus de cinq cents enfants !"

Le spécialiste de Dumas Claude Schopp avertit quant à lui que la vie sexuelle et sentimentale de l’auteur décourage tout recensement. Depuis sa première maîtresse Aglae Tellier, lingère séduite à Villers-Cotterêts lorsqu’il avait quinze ans, jusqu’à Olympe Audouard, conquise en 1868, la liste est impressionnante ! On renonce à toutes les citer. Il y aura, bien sûr, Laure Labay, la mère de Dumas fils, toute une série de comédiennes (une bonne vingtaine !), de Belle Krelsamer, mère de sa fille Marie, à Marie Dorval, Virginie Bourbier, Eugénie Sauvage, une cantatrice célèbre Caroline Ungher, et une chanteuse noire, Fanny Gordosa, rencontrée en Italie, qui lui manifeste "une passion furibonde". 

Il va néanmoins se marier… une fois. Le 1er février 1840, à une certaine Ida Ferrier, elle aussi comédienne. Elle est riche. Le témoin du marié est Chateaubriand et la cérémonie religieuse a lieu à Saint-Roch. Evidemment, ses noces déclenchent de violentes réactions de la part de ses innombrables maîtresses. Le couple fuit en Italie pour que Dumas puisse travailler. Il s’installe à Florence jusqu’à septembre 1841. Dumas rentre seul à Paris. Son épouse le trompe avec un grand d’Espagne. La comédienne Mlle Mars résume : "Alexandre a quitté Florence convaincu de son malheur et on dit, quoi qu’il n’en convienne pas du tout, qu’ils sont séparés."

La séparation est finalement actée en 1844. 

Dumas se lance dans le roman historique 

En 1841, alors qu’il est à Florence, Alexandre Dumas rencontre le roi Jérôme, frère de Napoléon et souverain détrôné de Westphalie, et sa fille la princesse Mathilde. Ils se lient d’amitié et le monarque demande à l’écrivain de raconter Napoléon à son fils de 19 ans, surnommé Plon-Plon, la France qu’il ne connaît pas, et de lui faire visiter l’Italie. 

Aussitôt, Dumas propose de l’emmener à l’Ile d’Elbe. Le 27 mai 1842, ils débarquent à Portoferraio. Ils visitent tous les lieux marqués par la présence de l’empereur lors de son séjour forcé de neuf mois. En quittant l’endroit, ils s’attardent sur un îlot voisin, Pianosa, où Dumas chasse les lapins et les perdrix rouges. Ils aperçoivent alors, au loin, un magnifique rocher en forme de pain de sucre. Pourquoi ne pas y aller aussi ? On demande à l’équipage du  bateau comment s’appelle cette île : "Monte Cristo". Dumas est fasciné : "A mesure que nous avancions, Monte-Cristo semblait sortir du sein de la mer et grandissait comme le géant Adamastor. Je n’ai jamais vu plus beau manteau d’azur que celui que le soleil levant lui jeta sur les épaules."

Malheureusement, ils ne pourront y débarquer. L'île est soumise à une quarantaine. Ils se contenteront d’en faire le tour. Mais Monte-Cristo laissera à Dumas un souvenir impérissable. Il se lance alors dans l’écriture de ses romans historiques. En 1838, Gérard de Nerval lui a présenté un jeune écrivain, Auguste Maquet. Celui-ci considère l’auteur comme un grand frère, il l’adore. En juillet 1843, au moment où Dumas rentre définitivement à Paris, les deux hommes décident de travailler ensemble. L’écrivain ne s’en cachera pas. Le 17 janvier 1845, devant les membres de la Société des Gens de Lettres, il dévoile la plénitude d’une collaboration restée jusque-là clandestine : "Nous avons fait en deux ans, Maquet et moi, les Mousquetaires, huit volumes, la suite des Mousquetaires, dix volumes, la fille du Régent, quatre volumes, la Reine Margot, six volumes, le Chevalier de Rouge-l'Île trois volumes, en tout quarante deux volumes."

Le premier véritable roman historique d’Alexandre Dumas est, évidemment, "Les Trois Mousquetaires". C’est la lecture des "Mémoires de M. d’Artagnan", qui lui donne le point de départ. D’Artagnan rencontre, dès son arrivée à Paris sous le règne de Louis XIII, les mousquetaires de M. de Tréville, ceux qui vont devenir ses amis : Athos, Porthos et Aramis. Le roman est publié en feuilleton dans le journal "Le Siècle" en mars 1844.

Il est alors intitulé "Athos, Porthos et Aramis". Mais le directeur du journal est désespéré par ce titre, qui perturbe les lecteurs à cause de ces noms à consonance grecque : ils font croire à une aventure mythologique ! Il propose à Dumas de le remplacer par "Les Trois Mousquetaires". L’auteur est d’accord même s’il trouve cela illogique puisque, en réalité, ils sont quatre ! Mais "Les Quatre Mousquetaires", ça sonne beaucoup moins bien…

Le succès est immense. Suivra, publié aussi en feuilleton mais dans "Le Journal des Débats", d’août 1844 à janvier 1846, ce qui est probablement le chef d'œuvre d’Alexandre Dumas : "Le comte de Monte-Cristo". On sait d’où vient ce nom… L’histoire s’inspire d’un fait-divers raconté par un archiviste en 1838, "Le diamant de la vengeance". Effectivement "Le comte de Monte-Cristo" est le roman de la vengeance. Dumas écrit rapidement un premier jet et le fait lire à Maquet. Celui-ci trouve qu’il a n’a pas traité la partie la plus intéressante de la vie du héros, le début : ses amours avec Mercedes, la trahison de Danglars et de Fernand, les dix années de prison avec l’abbé Faria, et l’évasion. 

En l’état, Dumas commence son histoire de vengeance à Rome avant que le comte de Monte-Cristo ne gagne Paris. Il approuve Maquet. C’est en prison qu’Edmond Dantès évolue, acquiert un immense savoir et une prodigieuse culture grâce à l’abbé Faria. C’est aussi en prison que l’abbé Faria lui révèle l’existence du trésor caché dans l'île de Monte-Cristo. Une fortune qui  permettra au héros de se transformer en comte de Monte-Cristo et d’assouvir sa vengeance.

Encore un  triomphe ! "La Reine Margot" paraît dans la presse simultanément, de 1844 à 1845. La machine est lancée. En 1845, la suite des "Trois Mousquetaires", "Vingt Ans après", "Le Chevalier de Maison  Rouge" et "La Dame de Monsoreau" finissent d’assurer la gloire littéraire de Dumas. Il est enfin célèbre, populaire… et immensément riche.

Dumas le bâtisseur 

Si les romans font sa gloire, Alexandre Dumas n’a pas renoncé au théâtre. Sa fortune lui permet de construire son théâtre, le Théâtre Historique, boulevard du Temple. C’est une salle immense, 2 000 places, conçue en forme d’ellipse. La décoration est luxueuse, les fauteuils et les garnitures des loges sont en velours grenat, le rideau d’avant-scène est rouge et or. 

Le théâtre est inauguré le 20 février 1847. On y donne une adaptation de "La Reine Margot". Alexandre Dumas est le principal auteur joué dans cette salle. Il y a aussi Honoré de Balzac, Alfred de Musset et Victor Hugo. Mais le lieu coûte extrêmement cher. La Révolution de 1848 est très dure pour les théâtres parisiens et Dumas, à son grand désespoir, doit vendre le Théâtre Historique en 1850, pour cause de faillite.

Heureusement, en même temps que son théâtre, il a réalisé un autre rêve. Il a fait construire son "Château de Monte-Cristo". Il a acheté un terrain entre Bougival et Saint-Germain, sur la colline des Montferrands, qui offre une vue magnifique sur la Seine. A son architecte Hippolyte Durand, Dumas donne ses ordres : "Vous allez me tracer un parc anglais, au milieu duquel je veux un château Renaissance, en face d’un pavillon gothique entouré d’eau… Il y a des sources. Vous m’en ferez des cascades."

Le château s’appelle Monte-Cristo, le pavillon gothique, le château d’If. Dumas donne une grande fête le 25 juillet 1847, jour de son anniversaire, pour inaugurer l’endroit.

Désormais, c’est là que l’auteur va se réfugier pour écrire tout en accueillant, presque chaque jour, des invités arrivés par chars à bancs de la gare de Saint-Germain-en-Laye. Il leur offre une table somptueuse, met à leur disposition son écurie pour quatre chevaux et sa remise pour trois voitures. Il raffole des animaux. Il leur consacre un livre "Histoire de mes bêtes". On y rencontre ses quatorze chiens, trois singes, des chevaux nommés Athos, Porthos et Aramis, un faisan doré, un coq appelé César, des perroquets et le vautour Jugurtha, ramené d’Algérie ! Il adore Monte-Cristo, mais comme son théâtre, la propriété lui coûte trop cher. Par autorité de justice, le château est mis en vente en janvier 1848. Le rêve n’aura duré qu’un an.

La fin d’un géant

En 1851, pour échapper aux créanciers, Alexandre Dumas s’installe à Bruxelles. L’année suivante, il accompagne à Anvers Victor Hugo qui s’embarque pour son exil volontaire à Jersey. En Belgique, Dumas rédige onze ouvrages vendus en Europe et jusqu’aux Etats-Unis. Il se renfloue provisoirement mais il est toujours aussi dépensier. Après plusieurs incursions à Paris pour obtenir un concordat sur ses dettes, il regagne définitivement la ville le 18 novembre 1853. Trois ans plus tard, il y fait jouer "L’Orestie" qui obtient un très grand succès. En 1858, il entreprend un immense voyage en Russie jusque dans la région du Caucase. Il livre sa conception du voyage : "Voyager, c’est vivre dans toute la plénitude du mot ; c’est oublier le passé et l’avenir pour le présent. C’est respirer à pleine poitrine, jouir de tout, s’emparer de la Création comme d'une chose qui est sienne. C’est chercher dans la terre des mines d’or que nul n’a fouillées, dans l’air des merveilles que personne n’a vues…"

En Russie, il se rend bien sûr à Saint-Pétersbourg où il est fêté comme une icône car ses livres ont un immense succès dans la société impériale, et il admire le lac Ladoga. A Moscou, il visite le champ de bataille de Borodino avant de parcourir la steppe puis regagne la France par Constantinople qu’il ne visite pas car il estime n’avoir pas assez de temps pour découvrir cette ville unique.

L’année suivante, en 1859, il achète un yacht, Emma. Il parcourt la Méditerranée à son bord avant de rencontrer Garibaldi en Sicile. Il admire ce futur héros de l’Unité Italienne. Il lui fournit des armes et le retrouve en septembre 1860, après qu’il ait conquis la Sicile et se soit emparé de Naples. 

Dumas y reste trois ans. Il s’intéresse aux fouilles de Pompéi et d’Herculanum. Il écrit une histoire des Bourbons de Naples, se considérant comme un vrai napolitain. Il ne rejoint Paris qu’en février 1864. Il assiste alors au mariage de son fils Alexandre avec la princesse Narychkine. Son héritier a bien réussi. Il n’a pas pu se faire un prénom puisqu’il porte le même que son père, il est simplement "Dumas Fils" et connaît la gloire en publiant, en 1848, "La Dame aux Camélias". 

Le fils est le contraire de son père. Il ne fait rien à la légère, il tient ses promesses, il fait des économies, prépare son avenir et ne rêve que de la vie à la campagne. Quand on lui parle de son géniteur, qu’il adore, il répond en plaisantant : "Ne m’en parlez pas ! C’est un enfant que je n’ai pas pu élever !"

Mais en 1869, la santé de Dumas Père commence à décliner. Pour se reposer, il s’installe à Roscoff afin de travailler à son Grand Dictionnaire de la Cuisine, dont cet incorrigible gourmand rêve depuis toujours. En mars l’année suivante, il en fait remettre le manuscrit à l’éditeur. Le livre est malheureusement inachevé. Peu importe, c’est Anatole France qui lui donnera sa forme définitive.

Mais l’air de Roscoff n’a pas guéri l’écrivain. Il dit souffrir d’une maladie du cœur qui l’empêche de marcher. Il rentre à Paris, se fait transporter aux obsèques de Lamartine. Des grands auteurs du XIXe siècle, ils ne sont plus que deux, Hugo et lui. Dumas s’installe dans son appartement du boulevard Malesherbes, il a vendu ses meubles pour payer son loyer. 

Il ressent douloureusement la guerre franco-prussienne. Après Sedan, son fils s’inquiète de le savoir à Paris menacé par un siège. On le hisse dans un train à la gare Saint-Lazare pour le conduire à Dieppe, dans une maison appartenant à Dumas "junior". En arrivant, à demi paralysé, il lui dit : "Mon fils, je viens mourir chez toi."

Il s’éteint dans la nuit du 4 au 5 décembre 1870, à l’âge de 68 ans. Son fils est auprès de lui. Il est enterré à Villers-Cotterêts. Le 30 novembre 2002, il est transféré au Panthéon pour le deux centième anniversaire de sa naissance. Alain Decaux, qui prononce le discours, l’accueille ainsi : "Enfin ! Alexandre, te voilà…"

 

Ressources bibliographiques : 

André Maurois, de l’Académie française, Les trois Dumas (Hachette, 1957)

Claude Schopp, Alexandre Dumas, le génie de la vie (Fayard, 2002)

Alain Decaux, de l’Académie française, Dictionnaire Amoureux d’Alexandre Dumas (Plon, 2010)

 

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"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Graphisme : Karelle Villais