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SAISON 2022 - 2023, modifié à

SÉRIE SPÉCIALE - L’historienne Virginie Girod achève son récit autour de l’histoire du naufrage du Titanic, dans une série inédite en 4 parties. Le 15 avril 1912, vers 2 heures du matin, il reste 1.700 personnes à bord du paquebot en train de couler dans l’Atlantique Nord et seuls quatre radeaux pliables sont encore disponibles. Beaucoup de passagers sentent la mort approcher désormais. Certains chantent même des cantiques. Lord Bruce Ismay, le président de la White Star Line, ne devrait pas monter à bord des derniers canots de sauvetage disponibles, question d’honneur. Mais quel choix va-t-il faire ? Et avec quels fantômes devra-t-il vivre ? Dans cet épisode du podcast "Au cœur de l’Histoire" produit par Europe 1 Studio, Virginie Girod retrace les derniers instants du Titanic, de ses passagers rescapés et de tous les autres.

 

"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio. 

Ecriture et présentation : Virginie Girod 

- Production : Adèle Humbert 

- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud 

- Réalisation : Clément Ibrahim 

- Musique originale : Julien Tharaud 

- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis 

- Communication : Kelly Decroix 

- Diffusion et rédaction : Eloise Bertil 

- Visuel : Sidonie Mangin

Retrouvez tous les épisodes de notre série sur le Titanic :

Episode 1 - Episode 2 - Episode 3 - Episode 4

Il est presque deux heures du matin, en ce lundi 15 avril 1912. Lord Bruce Ismay, le président de la White Star Line, s'est rendu utile autant qu'il a pu pour participer à l'évacuation du paquebot. Il sait que le Titanic va sombrer dans quelques minutes. Il reste 1700 personnes à bord et seuls quatre petits radeaux pliables sont encore disponibles. Ismay se tient devant le radeau C qui vient d'être déplié près de la passerelle des officiers. Il ne devrait pas songer à y prendre place, question d'honneur, et pourtant, silencieusement, presque lentement, il enjambe le plat bord et s'assoit à l'intérieur, au milieu des femmes.

À quelques pas, le deuxième lieutenant Charles Lightoller dirige d'une main de fer la mise à l'eau du radeau D. Pas question de déroger au code d'honneur de la mer : à part deux marins pour les manœuvres, aucun homme n'embarquera dans ce radeau. Alors que plusieurs hommes se ruent vers l'embarcation, il brandit son arme. Les témoignages des survivants et le sien sont contradictoires : impossible de savoir s’il a juste sorti son pistolet, tiré en l'air, ou touché un passager. Quoi qu'il arrive, le mouvement de foule cesse. L’équipage forme alors une chaîne autour du radeau pour ne laisser passer que les femmes. Alors que l'esquif va être mis à l'eau, Lightoller reçoit l'ordre d'un supérieur de prendre place à bord. Le lieutenant refuse. Deux passagers de première n'ont pas sa force d'âme, ils sautent du bastingage dans l'embarcation sur le point de toucher l'eau.

À bord, de très nombreux passagers, comme bien des marins, ont accepté l'idée de leur mort imminente. Beaucoup le perçoivent comme une forme de sacrifice et n’ont même pas chercher à se sauver pour laisser leur place à une personne qui en aurait plus besoin que. Certaines dames de première, comme la jeune Miss Evans, s'extirpent de deux canots de sauvetage où on veut la faire monter de force pour mourir en héroïne romantique et blasée, avec ses amis milliardaires, John Thayer et George Widener. Pour eux, c'est une question de décence ou d'honneur

La majorité des passagers restés à bord ont reflué vers la poupe pour échapper à la montée des eaux du côté de la proue. Certains chantent des cantiques. Les hommes de troisième classe sont enfin autorisés à rejoindre les ponts supérieurs mais au vu de la situation, peu tentent leur chance. Quelques centaines de passagers se pressent encore près du quartier des officiers où se trouvent les deux derniers radeaux. La pente du bateau est si forte que les manœuvres s'annoncent périlleuses, d'autant plus que les lumières électriques commencent à vaciller.

Chacun pour soi

Le capitaine Smith se rend dans la cabine radio et autorise les deux agents à quitter leur poste. Jack Phillips hoche la tête et poursuit ses appels à l'aide en diffusant la position exacte du navire en perdition. Harold Bride enfile son gilet de sauvetage et passe dans sa cabine récupérer ses économies. En sortant, il tombe nez à nez avec un soutier qui tente de subtiliser le gilet de sauvetage de Phillips. Bride lui saute dessus, le plaque au sol, et le cogne jusqu'à ce que l'homme s'évanouisse. Alors qu'il relève la tête pour reprendre son souffle, il entend le bouillonnement de l'eau qui s'engouffre dans les coursives toutes proches. Cette fois, l’opérateur radio Jack Phillips abandonne son poste, enfile son gilet et les deux télégraphistes foncent vers le quartier des officiers tout proche, où ils aident au dégagement du radeau B.

Dans la précipitation, celui-ci tombe sur le pont A puis dégringole sur le pont B lors de la tentative malheureuse de mise à l'eau. La voix métallique du capitaine Smith résonne dans un mégaphone, il relève ses marins. Maintenant, c'est chacun pour soi.

D’un coup, l'avant du bateau s'enfonce de plusieurs mètres dans l'Atlantique, avalé par une vague noire. Les opérateurs radio Jack Phillips et Harold Bride font partie de ceux qui rallient à la nage le radeau B, qui flotte à l'envers. Bride se hisse dessus comme il peut pour tenter d'échapper à l'eau glacée et Phillips s’y cramponne, encore immergé dans l'eau. Le deuxième lieutenant Charles Lightoller nage aussi, mais un courant l'aspire vers le fond, il lutte de toutes ses forces. Son salut vient de la première cheminée du Titanic qui se détache et chute dans l'eau dans une pluie d'étincelle et de suif. Une bulle d'air chaud projette Lightoller loin du courant d'eau froide qui l’aspirait. il parvient à agripper une corde du radeau B et se hisse sur l'embarcation.

Le Titanic se déchire en deux

Depuis les canots, les rescapés contemplent l'horreur. L’électricité vient de s'éteindre, le bateau est si incliné que tout ce qui n'est pas arrimé glisse dans un fracas diabolique, on entend les cris des passagers à bord. Bruce Ismay tourne le dos à la scène, il est incapable de regarder le naufrage.

Soudain, un bruit terrifiant s'élève dans l'air. Le bateau se déchire entre la troisième et la quatrième cheminée, la poupe retombe brutalement sur l'eau mais la partie avant, toujours accrochée à l'arrière par la quille, l'entraîne dans les profondeurs. La poupe se dresse à la verticale, la quille cède enfin, l'arrière du Titanic flotte comme un bouchon quelques dizaines de secondes, une minute. Le temps semble suspendu. Et puis la poupe coule à pic, entraînant dans l'eau les derniers passagers accrochés au bastingage. Il est deux heures vingt du matin.

Après les bruits de métal déchirés, les bouillons infernaux des vagues et les cris désespérés, le silence vrille soudainement les tympans des rescapés. La température de l'eau est entre 0 et 4 degrés. Au contact de la peau, elle provoque une douleur si vive qu'elle paralyse la majorité des naufragés. Seuls les plus athlétiques parviennent à nager grâce à leur gilet. Les naufragés flottent, la tête hors de l'eau, au milieu des débris du paquebot de rêve. Le froid les engourdit, la douleur s'atténue, ils ferment les yeux. L’hypothermie les tue en moins d'une heure.

Les passagers des canots n'osent pas venir au secours de ces malheureux, ils craignent que leurs embarcations prises d'assaut ne chavirent. À bord du canot numéro 1 où se trouve uniquement la famille Duff Gordon, un soutier envisage un sauvetage. Le bateau est presque vide mais Lucy, la papesse de la mode, s'insurge énergiquement. Alors le soutier renonce, les autres se taisent. Un peu plus tard, les marins se plaignent d'avoir tout perdu. Ils savent que la White Star Line ne les dédommagera pas et arrêtera de les payer après l'heure du naufrage. Dans un grand élan de générosité, Sir Cosmo Duff Gordon offre cinq dollars à chacun d'entre eux.

Le sauvetage des rescapés

Seul le canot numéro 4 part en expédition de sauvetage. Pendant que les marins rament, les femmes sortent de l'eau cinq hommes. Deux mourront de froid dans la demi-heure suivante. Plusieurs nageurs se tiennent comme ils peuvent au radeau B qui flotte à l'envers, à cause de la vague qui l’a emportée. Les hommes qui sont parvenus à monter dessus, à l'instar du deuxième lieutenant Charles Lightoller, ne les aide pas à se mettre au sec car l'embarcation menace de céder. Un gentleman agreement se met en place, chacun fait ce qu'il peut sans nuire aux autres. À bout de force, l'opérateur radio Jack Phillips lâche le radeau, déjà happé par la mort. Ceux qui en sont capables se mettent à prier d'une seule voix. Lightoller reconnaît Harold Bride tout près de lui et le questionne sur les secours. On attend le salut du Carpatia, du Baltic ou de l'Olympic, tous à plusieurs heures de là.

À bord du canot numéro 14, le jeune lieutenant Lowe respecte les ordres donnés par ses supérieurs. Il attache son embarcation à trois autres canots et un radeau pliable et prend la tête de la flottille. Il répartit ses passagers dans les canots afin d'en libérer un complètement et d'aller repêcher des naufragés. En faisant passer les femmes de son canot dans un autre, il remarque une dame bien soucieuse de cacher son visage. Il lui arrache son châle et découvre un homme qui se déguisait en femme pour être évacué. Avec mépris, il le pousse dans le canon numéro 12. L’expédition de sauvetage de Lowe est un échec : il navigue au milieu des cadavres congelés et ne sauve que deux personnes, mais refuse d'abandonner. Enfin, il entend un appel au secours. Le garçon de bain Harold Phillimore flotte sur un panneau de bois. Lowe met de longues minutes à ramer entre les cadavres pour le sortir de l'eau. C’est son histoire qui inspira le sauvetage du personnage de Kate Winslet dans le film Titanic de James Cameron.

Les feux du Carpatia

À 4h du matin, les rescapés, transis de froid et désespérés, aperçoivent enfin les feux du Carpatia. Les canots se mettent à ramer dans sa direction. Avec l'aube, le ciel prend des teintes roses, les naufragés aperçoivent des formes blanches refléter la lumière du matin, on dirait qu'ils sont entourés de voiliers. Ce sont en réalité des icebergs, il y en a partout autour d'eux.

Au petit matin, tous les survivants ont pris place à bord du Carpatia. Les passagers les accueillent avec des couvertures, le personnel de bord leur offre du café des gâteaux. Bruce Ismay fuit ses compagnons d’infortune. Le chirurgien du Carpatia le repère sans le reconnaître, il le prend pour un simple naufragé sous le choc et insiste pour qu'il se mette au chaud et avale une soupe. Le président de la White Star Line refuse et demande une faveur : rester seul dans un endroit calme. Le chirurgien conduit Ismay dans sa propre cabine où il restera cloitré jusqu'à l'arrivée à New York.

La nouvelle du naufrage du Titanic a gagné la côte américaine grâce au relais radio des navires transatlantiques. Le mardi 16 avril 1912, le New York Times fait sa une sur le drame. L’opérateur du Carpatia tente de dresser des listes des survivants avant l'arrivée du navire à New York. Les rescapés survivent comme ils peuvent à leur traumatisme, ce qui rend la situation explosive à bord du Carpatia. On moque les veuves trop démonstratives, on vilipende l'aristocrate qui se plaint d'avoir des ampoules parce qu'elle a dû manipuler une rame, on houspille les marins qui ont refusé d'aller chercher les naufragés qui agonisaient dans l'eau froide.

Dans un coin du bateau, Alice Cleaver, la gouvernante du banquier Hudson Allison, tient entre ses bras le bébé de son patron. Elle sait que ses employeurs et leur fille sont morts parce qu'ils n'ont pas réussi à quitter le Titanic. La femme de chambre Violet Jessop a quant à elle retrouvé la mère du bébé qu'on lui a confié quand elle est montée sur le canot de sauvetage. Pour elle, c'est un soulagement.

Le radio télégraphiste Harold Bride est pris en charge par le chirurgien. Il a une jambe tellement glacée qu'il pourrait bien la perdre mais ce n'est pas pour ça qu'il pleure : il a vu mourir d'hypothermie son collègue Jack Phillips, sous ses yeux. Le deuxième lieutenant Charles Lightoller a repris du poil de la bête. Avec d'autres marins qui ont survécu, ils récapitulent chaque moment du naufrage pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. Ses deux supérieurs, le premier lieutenant Murdoch, l'homme à la barre quand le Titanic a heurté l'iceberg, et le capitaine Smith ne sont pas à bord du Carpatia. Lightoller est certain qu'ils se sont suicidés. D’ailleurs, un capitaine n'est pas censé survivre au naufrage de son bateau si tous les passagers et les membres d'équipage n'ont pas été sauvés.

L'arrivée des survivants à New-York

Le jeudi 18 avril 1912, en fin d'après-midi, le Carpatia arrive à New York. Le quai est noir de journalistes et de curieux, les canots du Titanic sont amarrés à la place du paquebot sur le quai de la White Star Line. Leur présence ne fait que rendre l'absence du paquebot plus évidente.

Très vite, une enquête est ouverte. Les survivants sont auditionnés et leurs témoignages sont si précis qu'on pourrait refaire l'histoire du naufrage du Titanic, minute par minute. Une somme de détails converge vers l'inéluctable naufrage : la fatalité semble avoir tiré les ficelles de cette tragédie. Désormais, les rescapés doivent apprendre à vivre avec leur traumatisme.

Violet Jessop reprend du service sur le Britannic, le troisième sister ship de l'Olympic et du Titanic, qui ne sera finalement pas nommé Gigantic. Elle sera à bord quand le bateau torpillé coulera pendant la Première Guerre mondiale et elle y survivra encore. Cela lui vaudra le surnom de reine des naufrages.

Alice Cleaver ne sera jamais vu comme une sauveuse d'enfants et on lui imputera la mort de ses employeurs. Le petit Trevor sera rendu à sa famille paternelle. La comtesse de Rothes est encensée par la presse pour avoir manié de ses blanches mains le gouvernail de son canot de sauvetage. La nouvelle riche, Molly Brown, est surnommée l'Insubmersible dans tous les tabloïds. Madeleine Astor se voit confier l'héritage de John Jacob Astor, d'une valeur de 5 millions de dollars, à condition de ne jamais se remarier. Mais la veuve de 19 ans décline cette offre pour convoler quelques années plus tard.

Sir Cosmo Duff Gordon et sa femme Lucy cherchent à passer pour des bons samaritains car ils ont donné cinq dollars aux marins de leurs canots. Malgré les robes de deuil de Lucy et ses larmes de crocodile, l'opinion ne leur est guère favorable. Le couple conserve le soutien infaillible de la bonne société londonienne qui continue à se fournir dans les boutiques de mode de Lucy.

En tant qu'officier le plus gradé ayant survécu, Charles Lightoller défend bec et ongles ses confrères, non par fidélité à la White Star Line, mais par loyauté envers sa hiérarchie et les marins morts. Son efficacité et son sens de l'honneur font de lui l'un des héros de cette nuit tragique. Il continuera à travailler pour la White Star Line mais ne recevra jamais le commandement d'un navire, par superstition. En 1940, pendant la deuxième guerre mondiale, il participera avec son bateau personnel à l'évacuation des troupes britanniques de Dunkerque.

710 personnes ont survécu au naufrage du Titanic, 1517 sont mortes. Bruce Ismay doit vivre avec leurs fantômes et le poids de sa lâcheté. En 1912, il est l'homme le plus détesté entre Londres et New York. L’année suivante, on lui retire la présidence de la White Star Line. Il ne quittera presque plus ses résidences personnelles jusqu'à la fin de sa vie.

Le 14 juillet 1986, le sous-marin Alvin découvre l’épave du Titanic, qui gît par 3810 mètres de fond. Sa carcasse en deux morceaux témoigne de la violence du naufrage. On peut encore voir des assiettes cassées au pied des vaisseliers ouverts, des lunettes oubliées, une poupée esseulée rongé par la rouille et les micro-organismes marins. Le Titanic disparaîtra totalement dans les décennies à venir mais il restera longtemps encore le personnage principal du plus épique naufrage de l'histoire maritime.

 

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