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SAISON 2022 - 2023, modifié à

[Retrouvez la suite de ce récit dans le deuxième épisode ] Découvrez l’histoire de Roland Garros, racontée par l’historienne Virginie Girod, dans un récit en deux parties. Il a donné son nom au tournoi de tennis sur terre battue, mais Roland Garros était en réalité l’un des plus grands aviateurs français. Découvrez la première partie de cet épisode consacré à un personnage hors du commun. 

Sujets abordés : Aviation - Avions - Mécanique - Innovation - Record 

"Au cœur de l'Histoire" s'adresse aux passionnés d'histoire mais aussi à ceux qui cherchent à apprendre l'Histoire facilement. Que vous souhaitiez renforcer votre culture générale, ou réviser une leçon d'histoire vue en cours sans passer par les manuels scolaires, ce podcast est fait pour vous.

Pour aider les élèves en préparation du brevet ou du bac d'Histoire-Géographie, "Au cœur de l'Histoire" aborde à travers les destins de divers personnages les grands chapitres du programme scolaire de Troisième ainsi que du programme scolaire de Terminale : Révolution française ; Première Guerre mondiale ; régimes totalitaires dans l'Europe de l'entre-deux-guerres ; Seconde Guerre mondiale, Régime de Vichy, Collaboration et Résistance ; création de l'Union Européenne…

"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio. 

Ecriture et présentation : Virginie Girod 

- Production : Camille Bichler (avec Florine Silvant)

- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud 

- Réalisation : Clément Ibrahim 

- Musique originale : Julien Tharaud 

- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis 

- Communication : Kelly Decroix 

- Visuel : Sidonie Mangin

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Nous sommes dans le Var, le 23 septembre 1913. Il est 5h52 du matin. Les premières lueurs de l’aube teintent de rose le ciel de la base aéronautique navale de Fréjus-Saint-Raphaël. Au milieu des militaires, il y a une civile nommée Marcelle. Elle regarde son compagnon Roland Garros dans l’habitacle de son monoplan Morane-Saulnier. Le moteur du petit avion ronronne déjà. La traversée de la Méditerranée sans escale, l’aviateur en rêve depuis longtemps. 800km sans se poser. C’est presque de la folie.

Le monoplan s’élance enfin dans les airs. En quelques minutes, Roland Garros est déjà à 1000 mètres d’altitude. Il a traversé les brumes matinales. Il est maintenant dans un ciel limpide. Il ressent un bonheur intense. Le bourdonnement égal du moteur apaise ses inquiétudes. Tout va bien se passer. Ça fait moins de deux heures qu’il a quitté Saint-Raphaël quand un éclatement sinistre de métal brisé lui vrille les entrailles. Devant lui, un trou s’est formé dans la taule de son avion. Le vent vient lui coller sur le visage des gouttes d’huile noires qui s’échappent de ce trou. Roland Garros se dit qu’il va mourir par luxe, pour vivre une jolie aventure… mais quand même, l’idée de sa propre mort imminente, ce n’est pas rien. Le moteur continue à tourner régulièrement. Il sent sa vibration jusque dans son corps…

Son avion peut tenir. Tout près de lui, il aperçoit les côtes de la Corse. S’il choisit la prudence et décide de se poser, ce sera la fin de son rêve…

 

Un élève qui s'illustre dans les disciplines sportives

Roland Garros naît à Saint-Denis de la Réunion, à l’ombre du Piton de la Fournaise le 6 octobre 1888. 1888, c’est l’année du premier décollage d’un dirigeable motorisé… Certains diront que c’est un joli hasard… d’autres, une prophétie. Mais revenons à la Réunion. L’île possède alors le statut de colonie. L’empire colonial français est proche de son apogée et renforce sa présence en Asie.

C’est pour ça que le père de Roland décide de s’installer en Cochinchine en 1892. Alors qu’il quitte son île à 4 ans, Roland gardera un fort sentiment d’appartenance à la Réunion où vivent encore aujourd’hui des descendants de sa famille.

La Cochinchine dans laquelle vit le jeune Roland a été annexée par la France en 1862. Elle correspond au Sud du Vietnam actuel. À Saïgon, son père, Maître Garros exerce le métier d’avocat d’affaires où il défend les intérêts des colons qui font fortune dans le commerce et l’exploitation des terres. Roland vit une enfance choyée et protégée. C’est sa mère qui lui fait cours jusqu’au début du cycle secondaire.

À 12 ans, Roland part seul à Paris où il est scolarisé au prestigieux collège Stanislas. Mais comme il attrape une pneumonie, son école décide de l’envoyer dans un établissement de Cannes où le climat devrait mieux lui convenir. Pendant toute sa scolarité, Roland s’illustre dans les disciplines sportives. Il excelle en cyclisme, en foot mais aussi en piano… ce sportif aurait donc une sensibilité artistique ! Secrètement, dans ses rêves, il imagine qu’il vole… c’est un rêve impossible… à moins que… on verra plus tard !

Sous le charme des machines

Roland retourne à Paris pour sa terminale et intègre ensuite HEC. Son diplôme en poche, il ouvre sa propre concession automobile. On est en 1908. On peut dire qu’il est à pointe de la nouveauté dans un Paris encore encombré d’hippomobiles, des voitures à cheval.

Les défis mécaniques le passionnent. C’est sans doute ça qui l’amène dans un meeting aérien près de Reims à l’été 1909. Celui-ci est tellement célèbre qu’une gare ferroviaire temporaire a été construite pour le desservir. Cet événement draine 800 000 spectateurs. Il faut imaginer ce que ça représente : c’est presque l’équivalent de la ville de Marseille.

Les meetings aériens, c’est la grande mode de l’époque. On est au temps des fous volants, quand des machines improbables parcourent 10 mètres au-dessus du sol sous les hourras des spectateurs. Mais il y a aussi les premiers avions comme la Demoiselle, une sorte de chariot volant qu’on surnomme « la tueuse d’homme » parce que ses accidents fréquents sont mortels. Le Blériot XI est plus solide. Ce monoplan - deux ailes et une carling évidée - a permis à Louis Blériot de traverser la Manche en 36 minutes en cette année 1909. C’est un record !

Roland Garros tombe immédiatement sous le charme de ces machines. Il s’achète donc une Demoiselle, ce petit avion ultra léger en bambou et en soie… oui vous avez bien entendu, en bambou et en soie, et il commence à voler avant même d’avoir obtenu son brevet de pilotage. À l’époque, on peut se permettre d’être un autodidacte de l’aviation. Les choses ne sont pas encore bien réglementées.

Quelques mois plus tard, il participe en volant aux fêtes du 14 juillet 1910 à Cholet. C’est dans l’aérodrome de cette ville située près de la Vendée que Garros obtient finalement son brevet de pilotage à l’âge de 21 ans. Roland Garros est encore un débutant mais il est prometteur. Il est donc engagé pour participer à un meeting aérien à New York.

L'embrasseur de nuages

Pour les gens de cette époque, voir les premiers avions voler est comparable à nos émois actuels causés par GPT et le développement de l’Intelligence Artificielle. C’est fascinant et terrifiant à la fois. Sauf que la conquête du ciel, c’est concret. Le public vient pour voir des hommes et quelques rares femmes s’arracher au sol avec des machines improbables.

Pendant ce meeting à New York, tout le gratin de l’aviation se croise. Garros a déjà rencontré John Moisant en France. Quelques semaines plus tôt, cet américain a traversé la Manche avec des passagers en 32 minutes seulement, pulvérisant ainsi le record de Blériot de 4 minutes. Pour la petite histoire, ses passagers ne sont pas n’importe qui. Il s’agit de son mécanicien Alfred Fileux et de sa petite chatte tigrée, Mademoiselle Fifi, qui est à coup sûr le premier félin à avoir traversé la Manche par les airs !

En cet automne 1910 à New York donc, John Moisant et Alfred Fileux sont en train de monter un spectacle aérien qui tournera à travers les États-Unis. C’est le Moisant Circus ! Roland Garros ne réfléchit pas une seconde. Bien sûr qu’il sera de la troupe ! Pendant plusieurs mois, il arpente les États-Unis, le Mexique et Cuba. Il fait de la voltige presque tous les jours. Parfois, il y a quatre représentations quotidiennes. C’est pendant cette belle année que Roland Garros gagne son surnom de « Cloud Kisser » l’embrasseur de nuages.

Mais ce métier de voltigeur n’est pas sans risque et le deuil est la compagne des pilotes. À la fin de cette année 1910, Roland Garros voit son ami John Moisant mourir dans un crash alors qu’il s’entrainait pour la Coupe Michelin. Cette coupe récompense chaque année la plus longue distance parcourue sans escale.

Premier record d'altitude

Après 6 mois de spectacles, Roland Garros rentre en France. Il a 22 ans et des envies de records plein la tête. En cette année 1911, il participe aux trois plus grandes courses européennes : le Paris-Madrid / le Paris-Rome / et le Circuit européen. Mais l’avion de Garros n’est pas le plus puissant. Ses concurrents ont des Blériot et des Antoinette qui volent bien plus vite que sa Demoiselle. Il arrive toujours deuxième et la presse française l’appelle « l’Éternel Second ».

Mais Roland Garros n’est pas du genre à baisser les bras. Il décide de changer d’avion et achète celui d’un de ses concurrents. Il veut battre les autres pilotes sur leur propre machine. Le 4 septembre 1911, il décroche enfin un premier record ! Celui de l’altitude. Il s’est élevé à 3950 mètres du sol.

Garros fait savoir que ce n’est pas la vitesse qui l’intéresse le plus mais l’altitude. Pour voler très haut, les ingénieurs doivent imaginer des machines solides et selon lui, c’est ça le vrai défi technologique.

Son record vaut à Garros un nouvel engagement pour une série de meetings aériens en Amérique du sud. Il pilote désormais un Blériot XI. Ce petit monoplan peut voler à 110km et c’est grâce à cet avion que Garros remporte de nouveaux records.

Il est le premier à traverser la baie de Rio de Janeiro et à survoler la forêt amazonienne. Il emporte même un sac postal entre Sao Paulo et Santos située à une soixantaine de kilomètres l’une de l’autre. Eh oui, ce sont les débuts de l’aéropostale ! À l’heure des emails, ça semble fou !

Le champion des champions

Après quelques mois de tournée, Roland Garros rentre en France en 1912. Il veut tenter le circuit d’Anjou. Il s’agit de parcourir 7 fois la distance entre Angers, Cholet et Saumur, soit de faire plus de 1000 km sur deux jours. Les 33 meilleurs pilotes du monde sont là pour l’événement. La très grande majorité d’entre eux sont sponsorisés par des industriels. Or, ce week end du 16 et 17 juin, la météo est affreuse. C’est la tempête. Les compétiteurs reçoivent donc l’ordre de ne pas décoller.

Roland Garros n’est pas soumis à ces problèmes hiérarchiques parce qu’il vole sur son propre Blériot. Lui, il prendra le départ quand même, malgré le vent et la pluie. Il n’y a qu’un autre pilote pour décoller avec lui dans ces conditions complètement folles. Mais Roland Garros est le seul à finir la course. À lui la victoire remportée grâce à son audace. Maintenant, pour la presse française, l’Éternel Second est devenu « le Champion des champions ».

Dans les mois qui suivent, Roland Garros se rapproche de Raymond Saulnier et de Léon Morane. Ces deux ingénieurs viennent de monter leur propre firme et veulent que Roland devienne leur pilote officiel. 

Le premier essai de Roland n’est pas concluant. Il trouve l’avion Morane-Saulnier trop lourd et trop rapide. Garros ne veut pas un bolide, il veut une machine capable d’aller très haut. Si les deux ingénieurs veulent le revoir, il faudra alléger l’avion et augmenter son autonomie. Les deux ingénieurs modifient leur machine pour créer un avion sur-mesure pour lui. C’est le début d’une fructueuse collaboration.

Les pilotes d’essai sont recrutés sur leurs compétences mais aussi sur le goût du risque. Il y a tant de record à battre ! Avec Morane-Saulnier, Garros devient le premier aviateur à rallier deux continents en traversant la Tunisie et l’Italie avec deux escales seulement. Il est d’ailleurs le premier aviateur à survoler le Vésuve !

Il obtient aussi un nouveau record d’altitude en volant à 5610 mètres. C’est beaucoup plus haut que le Mont-Blanc et c’est l’altitude de certains avions de ligne aujourd’hui mais sans cabine pressurisée !

Tenter l'impossible

Roland Garros passe presque plus de temps dans les airs que sur terre. Même quand il rejoint sa compagne Marcelle sur la côte d’Azur à l’été 1913, il ne peut pas s’empêcher de participer à des meetings. Et puis, cette côte d’Azur, tout ce bleu avec l’Afrique en face. Ça ferait un joli record s’il ralliait l’Afrique sans survoler l’Italie. Garros n’arrête pas d’y penser et commence à préparer son coup avec son équipe. Mais les vents cet été là lui sont défavorables. Il faut attendre le moment opportun.

Nous sommes le 21 septembre 1913 à Paris. C’est dimanche matin et c’est aussi le dernier jour de l’été. Il fait beau. Le téléphone sonne. Garros décroche. C’est son mécanicien au bout du fil. Ça y est, le vent a tourné. C’est le moment de tenter l’impossible : la traversée de la Méditerranée sans escale.

La suite de l'histoire de Roland Garros dans l'épisode 2.