Fin des moteurs thermiques en 2035 : après le véto allemand, quelles conséquences pour l'industrie automobile ?

L'Allemagne a refusé de voter la fin des moteurs thermiques en 2035.
L'Allemagne a refusé de voter la fin des moteurs thermiques en 2035. © NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
  • Copié
Romain Rouillard , modifié à
Ce mardi, l'Allemagne a créé la surprise au conseil de l'Union Européenne en refusant de voter le texte actant la fin des moteurs thermiques d'ici à 2035 dans l'Union Européenne. Si ce rétropédalage allemand a de quoi surprendre, les filières automobiles françaises et européennes ne comptent pas revoir leur copie.

C'est un grain de sable venu brusquement enrayer une machine qui tournait pourtant à plein régime. Validée par les États membres de l'UE et le Parlement européen le 14 février dernier, l'interdiction de la vente de voitures thermiques d'ici à 2035 dans l'Union européenne n'avait plus qu'à passer l'obstacle du conseil de l'UE pour être définitivement adoptée. Or ce mardi, un blocage inattendu a soudainement ralenti le processus. Pour que le texte puisse entrer en vigueur comme prévu, il nécessitait un vote favorable de pays représentant 65% de la population européenne. Et alors que seuls l'Italie, la Pologne et la Bulgarie devaient initialement s'opposer au tout-électrique d'ici à 2035, l'Allemagne, forte de ses 83 millions d'habitants, est venue se greffer au trio, faisant ainsi capoter le vote, désormais reporté sine die.

Un étonnant revirement de situation qui fait souffler un léger vent d'incertitude alors que tout semblait ficelé. Les principaux constructeurs européens ont massivement investi dans l'électrique avec en ligne de mire cette fameuse échéance. Le groupe Renault prévoit par exemple la production de 500.000 véhicules électriques d'ici à 2025, tandis que l'Italien Alfa Roméo a d'ores-et-déjà annoncé qu'il abandonnerait le moteur à explosion dans un délai de quatre ans. 

"Les gagnants pourraient devenir les perdants"

"Aujourd'hui, on a reporté cette interdiction sine die mais cela a prouvé qu'on était capable d'empêcher que certaines choses se produisent. Donc pour faire rentrer nos partenaires allemands dans le rang, des concessions pourront être faites", estime Guillaume Crunelle, expert automobile au sein du cabinet Deloitte. Exemple : développer une filière de "biofuels" ou carburants de synthèse, sans pétrole - donc moins polluants - mais qui nécessiteraient tout de même de conserver des moteurs thermiques. Une technologie sur laquelle certains constructeurs allemands, dont Porsche, ont beaucoup planché.  

"Les gagnants pourraient devenir les perdants", reprend Guillaume Crunelle. "Demain s'il y a des biofuels, il y aura une offre parallèle à l'électrique. Il faudra donc être compétitif dans les deux technologies. Cela signifie investir sur l'électrique mais aussi investir sur le thermique alors qu'on devait arrêter. D'autant qu'une étude que nous avons menée a prouvé que 49% des acheteurs de véhicules électriques seraient prêts à changer si une solution thermique moins polluante voyait le jour", fait valoir Guillaume Crunelle.

Mais selon Arnaud Aymé, consultant spécialiste des transports au sein du cabinet SIA Partners, le développement à grande échelle des biofuels pourrait ne pas profiter aux véhicules du quotidien dans l'immédiat. "Les carburants de synthèse coûtent très cher à produire. Et si une filière monte en puissance, on peut imaginer qu'elle ira en priorité au secteur aérien, car l'avion électrique, ce n'est pas pour tout de suite", souligne-t-il.

"Les marques ne vont pas déconstruire les usines de batterie"

Et s'agissant du cap à mener désormais pour les constructeurs, l'heure n'est pas encore au grand chambardement. "On suit ça de près mais on ne changera pas de stratégie. Si une nouvelle règlementation passe, on s'adaptera", a sobrement répondu le groupe Renault, interrogé par Europe 1. Arnaud Aymé refuse d'ailleurs d'assimiler ce blocage allemand à un cataclysme d'ampleur pour la filière automobile. "Ce qu'il s'est passé il y a deux jours agace les constructeurs car ils n'aiment pas cette instabilité politique. Maintenant, même si la fin des voitures thermiques devaient intervenir après 2035, pour la filière française, par exemple, ça ne changera pas grand chose. Les marques ne vont pas déconstruire les usines de batterie", souligne-t-il. 

Et selon lui, il ne faut pas surinterpréter ce véto allemand au conseil de l'Union européenne. "Ç'a été reporté sine die mais ce n'est pas mort non plus. Cette interdiction de vendre des voitures thermiques en 2035 n'est absolument pas abandonnée". En clair, les chances de voir les constructeurs rétropédaler à leur tour en réinvestissant massivement sur le thermique et l'hybride sont quasiment nulles. "Maintenant, même les États-Unis se mettent à l'électrique. Donc les constructeurs n'ont plus le choix. L'histoire est en marche et rien ne l'arrêtera", assure Arnaud Aymé. Et ce en dépit du scepticisme affiché par certains patrons quant à cette politique du tout-électrique. "Carlos Tavares (le patron de StellantisNdlr) a clairement dit qu'il trouvait ça stupide. Qu'il existait d'autres solutions comme l'hybride rechargeable. Et aujourd'hui, il dit 'je continue à penser cela mais nous sommes un grand groupe alors on doit s'aligner'".