Annonces de Macron pour le pouvoir d’achat : une facture de dix milliards, c’est grave ?

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La facture des mesures pour le pouvoir d’achat annoncées par Emmanuel Macron devrait être salée, avec le risque de voir le déficit s’aggraver. Mais, à moyen terme, l’impact pour l’économie devrait être limité.
ON DÉCRYPTE

Pour désamorcer la crise des "gilets jaunes", Emmanuel Macron a mis le paquet sur le pouvoir d’achat. Dans son allocution télévisée de lundi, le président de la République a annoncé plusieurs mesures en faveur des plus modestes : un coup de pouce de 100 euros pour les travailleurs payés au Smic, l’avancement de la désocialisation et de la défiscalisation des heures supplémentaires, l’exonération de la hausse de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2.000 euros par mois… Autant de gestes qui devraient en revanche grever le budget de l’État, autour de dix milliards d’euros. Faut-il pour autant s’en inquiéter ?

Une facture à huit, dix ou même onze milliards ?

Emmanuel Macron n’a pas précisé le coût des mesures annoncées, tâche qui devrait incomber à Édouard Philippe, qui doit détailler le package du président devant les députés mardi après-midi. Mais, très vite, de premiers chiffres ont circulé lundi soir. Le secrétaire d’État auprès du ministre de l'Action et des comptes publics Olivier Dussopt a ainsi avancé un coût de "huit à dix milliards d’euros" en 2019. Une estimation confirmée mardi matin par Benjamin Griveaux.

Des mesures coûteuses. Dans le détail, le coût de la défiscalisation des heures supplémentaires est estimé à 1,5 milliard d'euros de manque à gagner d'impôt sur le revenu. Cette évaluation date de 2017, alors que cette mesure était envisagée par le gouvernement Valls. La désocialisation (exonération de charges sociales) sur les heures supplémentaires, qui a déjà été votée par l'Assemblée pour 2019, doit coûter deux milliards d'euros environ. Soit un total de 3,5 milliards d’euros pour cette seule mesure sur une année pleine. Mais la facture pourrait être moindre, le temps qu’elle s’applique dans les entreprises.

L’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités touchant une pension entre 1.200 et 2.000 euros (en-dessous, le taux réduit s’appliquait déjà) pourrait coûter entre 1,5 et 2 milliards d’euros. Le coût de l’augmentation de la prime d’activité est plus flou : ce coup de pouce (en réalité une accélération du calendrier prévu jusqu’en 2021) pourrait être évalué entre 900 millions et 2 milliards d’euros.

 

À tout cela, il faut ajouter la suppression déjà annoncée de la hausse des taxes sur le carburant et le gel des tarifs du gaz qui devraient coûter environ 4 milliards d’euros, ainsi que le chèque énergie et les aides pour la prime à la conversion (500 millions d’euros). Soit une facture totale qui pourrait grimper, dans le pire des cas, à plus de 11 milliards. Sans compter le manque à gagner sur les éventuelles primes de fin d'année puisqu’elles sont défiscalisées et désocialisées.

Une explosion du déficit public en 2019 ?

Première conséquence directe : le déficit public devrait bondir en 2019, au risque de fâcher Bruxelles. La France prévoyait jusqu'ici un déficit à 2,8% du PIB (comme en 2018) mais les mesures annoncées par Emmanuel Macron pourraient le faire bondir à 3,5% voire 3,6% du PIB. La France va devoir "sans doute creuser le déficit" public, a d’ailleurs reconnu le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand, évoquant une sortie de route "strictement temporaire". Alors qu’Emmanuel Macron se posait en gendre idéal auprès de l’Europe avec une trajectoire budgétaire modèle pour les prochaines années, son image à Bruxelles risque d’être un peu écornée.

L'Élysée maintient le cap budgétaire. Pour l’instant, l’UE ne se précipite pas. La Commission européenne a indiqué lundi soir son intention d’étudier attentivement l'impact budgétaire des mesures annoncées par Emmanuel Macron. "Nous suivons de près les mesures potentiellement nouvelles annoncées, mais nous ne pouvons pas faire de commentaires avant qu'elles ne soient correctement annoncées et détaillées", a déclaré le vice-président de l'exécutif européen, Valdis Dombrovskis.

Pas d’affolement non plus du côté de l’Élysée, qui affirme que la France a "un peu de marge" budgétaire et que les gestes promis ne "remettent pas en cause la maîtrise de la dépense publique". En revanche, aucune précision quant à savoir si la France maintient son objectif d'un déficit inférieur à 3% de PIB pour 2019. La présidence a souligné qu'"en 2019 notre prévision sur le déficit est loin des 3%, hors CICE qui est un pur jeu d'écriture comptable, ce qui nous laisse un peu de marge".

La France sereine à moyen terme

Ces déclarations laissent entendre que le gouvernement pourrait décider d’activer un levier imprévu : la transformation du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) en baisse de charges pérennes pour les entreprises dès l'an prochain. Cette mesure aurait pour effet, pour l'année 2019, de verser aux entreprises à la fois 20 milliards de CICE, qui est remboursé au titre des années précédentes, et 20 milliards supplémentaires immédiatement au titre des baisses de charges de l'année en cours.

Le report du CICE, une solution crédible. Si cette bascule était décalée d'un an, sujet qui pourrait être sur la table lors d'une réunion à l'Élysée avec les grandes entreprises mercredi, cela permettrait d'économiser 0,9% de PIB sur le budget 2019, soit près de 20 milliards d'euros, selon un chiffrage lundi de la Fondation Jean Jaurès. "Si le gouvernement doit financer ses mesures, ça peut être une discussion", a reconnu Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, mardi sur Europe 1. Benjamin Griveaux, a de son côté estimé qu'il n'y avait "pas de raison" pour que la transformation du CICE au 1er janvier en baisse de charges soit reportée.

Que l’exécutif décide ou non de laisser filer le déficit en 2019, il fera valoir auprès de la Commission européenne sa trajectoire sur le long terme. Emmanuel Macron et son gouvernement prévoient en effet un déficit public de 0,9% à partir de 2020 et un retour à l’excédent en 2022. "La conversion du CICE en baisses de charges patronales, c'est pour une année", en 2019, et "l'année d'après, nous n'aurons pas cet effet d'accumulation des deux mesures et on retrouvera un rythme en dessous des 3%", a maintenu Richard Ferrand mardi.

Un choc de consommation. Par ailleurs, avec les gestes promis, Emmanuel Macron mise implicitement sur un rebond de la consommation. Le coup de pouce aux smicards, l’exonération de CSG pour quelque 3,6 millions de retraités, les heures supplémentaires désocialisées et la prime de fin d'année (si les entreprises jouent le jeu) représentent des revenus supplémentaires disponibles immédiatement pour les consommateurs, potentiellement réinjectés rapidement dans l’économie. Avec à la clé des recettes pour l’État sous la forme de taxes.